En principe, on attend d’un hôpital qu’il sauve des vies, mais pas qu’il donne la mort. Dès lors, comment ne pas s’interroger quand des bébés y meurent suite à un…incendie ? D’autres cas de décès qui laissent perplexes sont régulièrement signalés. Que faire ? Etat, Hôpitaux, professionnels de la santé, assureurs sont interpellés pour, ensemble, proposer des solutions.
Dans la relation responsabilité hospitalière et assurance, il ne serait pas inutile de rappeler ce qui se fait ailleurs pour s’en inspirer. En effet, les différents drames survenus au Sénégal conduisent inéluctablement à s’interroger sur la responsabilité susceptible d’être encourue par les hôpitaux du fait de l’exploitation du service public. Dans les grands pays occidentaux, en France particulièrement, cette forme d’assurance garantit autant des dommages matériels que corporels et cet exemple est à méditer. Le préjudice moral est à prendre en compte. Autre temps, autres mœurs pour faire place à la culture de l’assurance. Pour venir en aide aux victimes directes et par ricochet, le geste d’un Président de la République est louable mais sa sensibilité (yërmande) l’aura poussé à agir face à une carence en système d’indemnisation professionnellement établi en amont : l’assurance.
Apprendre à se prémunir
L’actualité au Sénégal, tel un cycle préétabli, convoque régulièrement un métier noble et où l’on sait se montrer discret : la médecine. Des hôpitaux ont mal soigné s’ils n’ont pas tout simplement refusé de soigner des personnes malades ou victimes d’accidents, ce qui a été largement relayé par les medias. Le souci du partage de bonnes pratiques venues d’ailleurs doit nous obliger à échanger nos idées et expériences à l’intention du public certes, mais aussi des médecins, avocats, magistrats, du Ministère de la Santé, des usagers et autres journalistes appelés à connaître du sujet. En effet, l’environnement économique et social est différent d’un continent à un autre mais l’assurance est une affaire internationale qui ne s’arrête donc pas aux frontières. Son effet d’entraînement est bénéfique à beaucoup de secteurs professionnels, de l’avo cat à l’expert en passant par le garagiste. L’État n’est pas le moins concerné, l’assureur étant considéré par beaucoup comme un collecteur d’impôts sans oublier son rôle d’investisseur. Sans l’assurance, transporteurs, entrepreneurs, maîtres d’œuvre et autres promoteurs auraient un goût du risque tellement modéré que le rythme du développement ne serait pas celui souhaité. Le secteur des assurances est donc si important qu’il serait dangereux de ne pas s’informer de ce qui se passe ailleurs. Il n’y a pas que la réassurance (au plan vertical) qui nous lie à l’extérieur car nous pourrions nous inspirer de méthodes qui ont fait leurs preuves ailleurs. En s’associant davantage par le biais de la coassurance (au plan horizontal), les assureurs nationaux pourraient faire face à plus de risques avec de meilleures capacités de souscription, donc de rétention avant de laisser des primes s’échapper vers l’étranger (l’Europe) qui a moins besoin que l’Afrique de cette manne financière pour son développement. En France, l’assurance de la responsabilité hospitalière est une réalité et on peut citer par exemple la Société Hospitalière d’Assu rances Mutuelles (SHAM), première société française d’assurance hospitalière. Créée en 1927 par des directeurs de différents hôpitaux et devenue un opérateur de référence français et européen, elle est une société d’assurance mutuelle spécialisée dans l’assurance et le management des risques de l’ensemble des acteurs de l’offre de soins : établissements publics et privés (de santé), organisations et professionnels, filières et coopération des acteurs de la santé, du social et du médicosocial (praticiens hospitaliers et autres, libéraux, structures sociales et médicosociales).
S’assurer contre des dommages matériels et corporels
La SHAM a donc, compte tenu de l’étendue des activités des Etablissements hospitaliers et de la diversité des victimes d’acci dents, mis au point « un contrat qui présente la particularité de couvrir tous les aspects de la responsabilité susceptible d’être encourue par les hôpitaux du fait de l’exploitation du service public ». Les conséquences les plus inattendues de la vie hospitalière sont ainsi couvertes. En effet, le développement des parcs automobiles avec pour conséquence une augmentation des accidents de la circulation ainsi que les progrès accomplis par la médecine ont entraîné, vers les hôpitaux, différentes couches de la population. Aussi, les patients d’un certain niveau de vie deviennent-ils pressés et exigeants. Une interprétation excessive fait croire que le médecin est tenu à une obligation de résultats et pas seulement de moyens, ce qui entraîne parfois des réclamations injustifiées. Cependant, un problème juridique de taille oppose deux tendances. Faudrait-il prouver l’existence d’une faute ou suffirait-il de démontrer qu’il y a un lien de causalité entre l’acte médical et le préjudice subi ?
L’évolution de la responsabilité hospitalière
L’évolution de la responsabilité hospitalière en Europe et notamment en France au cours des quarante dernières années devrait servir d’exemples à nos jeunes États. Des risques nouveaux, imputés aux progrès techniques enregistrés dans l’administration des soins, sont apparus. C’est ainsi qu’il y a eu des réclamations liées à des interventions très délicates à mener ayant nécessité l’usage de microscope opératoire et à des brûlures dues à des incubateurs ou à des bistouris électriques. Il est à noter des erreurs de diagnostic et un manque de vigilance lors des soins postopératoires, ainsi que des incidents causés par des insuffisances d’examen, des accouchements difficiles, l’anesthésie, une paralysie après réanimation ou encore par une erreur de groupe lors d’une transfusion sanguine. L’assurance de la responsabilité hospitalière peut couvrir, comme c’est le cas à la SHAM, les conséquences pécuniaires de la responsabilité que l’État peut encourir du fait de toute personne collaborant à son fonctionnement, des bâtiments affectés à l’exploitation hospitalière, de tous appareils utilisés par ses services, de tous produits fabriqués par ses services même s’ils sont livrés à l’extérieur (exemple de produits pharmaceutiques), de la détérioration ou de la disparition d’objets confiés au personnel hospitalier, de toute activité gérée par budget annexe (ex-école d’infirmières). L’activité des Centres de Transfusion Sanguine doit faire l’objet d’un contrat d’assurance spécial. C’est le principe de la responsabilité pour faute qui domine. Le versement d’une surprime permet de bénéficier, à côté de ces garanties de base, de garanties facultatives couvrant les dommages matériels subis par les collaborateurs du service public au cours de leurs fonctions (le personnel administratif et de soins, les collaborateurs bénévoles, les stagiaires et administrateurs), les dommages matériels subis par l’Établissement lui-même, du fait des agissements des malades hospitalisés ou venant en consultation, les dommages corporels subis par les hospitalisés occupés à de petits travaux et les enfants confiés à l’Etablissement, les dommages corporels et matériels subis et causés par les malades mentaux en placements familiaux, les dommages corporels et matériels causés par les hospitalisés en long séjour et par les enfants confiés à l’Etablissement (responsabilité civile personnelle).
NECESSAIRE COLLABORATION ENTRE RESPONSABLES DE LA SANTE ET ASSUREURS
Il convient toutefois de préciser que la SHAM qui assurait essentiellement des Établissements Hospitaliers Publics, a étendu son offre aux professionnels de santé depuis 2009 et est l’assureur de responsabilité civile médicale (RCM) de référence des établissements de santé (publics et privés à but non lucratif). La RCM est obligatoire en France depuis la loi du 4 mars 2002 sur les droits des malades et la qualité du système de soins. Elle intervient sous trois conditions : faute du praticien, préjudice subi par le patient et lien de causalité entre la faute médicale et le préjudice. Au Sénégal, pour rester couverts dans leur activité, c’est un devoir de recommander aux professionnels de santé de souscrire une assurance, y compris les professionnels libéraux du secteur médical et paramédical. En matière d’assu ran ce, même s’il est son propre assureur, l’État, pour se désengorger, devrait pouvoir lâcher du lest et laisser plus de champ aux assureurs, ne serait-ce que dans des domaines limitativement énumérés. En retour, il pourrait exiger de ces derniers davantage de diligence et une indemnisation correcte pour une meilleure protection des assurés et bénéficiaires de contrats. Dans un autre pays, la Suède, le système d’assurance des malades a connu un changement depuis le 1er janvier 1975. Avant cette date, un malade mental hospitalisé et victime d’un dommage corporel n’était dédommagé que s’il prouvait qu’une faute avait été commise et le dommage causé par un membre du personnel hospitalier. Depuis 1975, une assurance dite assurance des malades permet de réparer, qu’il y ait faute ou non, tous les incidents thérapeutiques en relation directe avec la santé publique et les soins aux malades. Cette assurance a vu le jour grâce à des contrats entre, d’une part, les responsables de la santé et des soins aux malades et, d’autre part, un consortium des principales compagnies d’assu rances. Il existe une limite car le préjudice corporel doit « avoir découlé directement d’un examen médical, de l’emploi de médicaments, du traitement médical ou d’autres mesures similaires et ne pas être la conséquence naturelle ou prévue d’une mesure justifiée médicalement ».
CRISE DE LA NEGLIGENCE MEDICALE
Aux États-Unis, l’on a pu parler, à une certaine époque, de « crise de la négligence médicale » tout simplement parce que les demandes d’indemnités ainsi que le montant des dommages-intérêts versés aux victimes se sont considérablement accrus. De nos jours, on assiste, à travers le monde, à la mise en cause de la responsabilité tant civile que pénale du médecin, que ce soit dans ses activités publiques ou privées. L’on parle dès lors de responsabilité médicale. La loi, qui est faite pour les hommes, doit pouvoir évoluer pour une meilleure protection de ceux-ci, les victimes en particulier. Vu sous cet angle, « dura lex, sed lex » (la loi est dure mais c’est la loi). Cependant, il faudrait attirer l’attention sur le fait qu’en matière médicale, les méthodes modernes utilisées impliquent des prises de risques que l’on ne saurait éviter dans certains cas si on veut arriver à soigner avec succès. Aussi, n’est-il point possible de toujours garantir des résultats certains ou un traitement sans complication.
NE PAS FAIRE PERDRE AU MALADE SES CHANCES DE SURVIE OU DE GUERISON
Toutefois, il ne faudrait pas que le médecin, par sa faute, ou l’Établissement hospitalier, par son défaut d’organisation ou son mauvais fonctionnement, fasse perdre au malade ses « chances de survie ou de guérison ». Aussi, at-on pu penser que la sanction de la faute restera toujours une incitation à l’organisation et à la pratique d’une médecine toujours plus attentive et plus efficace. Elle contribue également à protéger le médecin qui n’en aura pas commise. Une autre solution pourrait être l’indemnisation par l’État mais ne serait-ce pas trop lui demander à lui seul, surtout dans un pays en développement ?
L’EXPERTISE DES ASSUREURS
Au Sénégal, pourquoi ne pas associer davantage les assureurs ? Cela permettrait de développer la prévention des risques, en particulier des accidents hospitaliers d’une part et, d’autre part, informer les dirigeants sur l’assurance et la responsabilité à l’hôpital, les aider à définir leurs besoins en assurance (mise en œuvre de méthodologie, d’outils pour les établissements hospitaliers). Cependant, un assureur peut se retrouver devant le cas d’un assurable (établissement hospitalier) responsable, dans le passé, d’un acte dommageable mais dont on n’a pas suffisamment connaissance ou dont on ne connaît pas l’étendue ou le montant exact de l’indemnisation qui en découlera. En effet, les dommages corporels peuvent évoluer (s’aggraver) avant la consolidation définitive et entraîner une indemnisation plus élevée que ce qui a été initialement provisionné. En d’autres termes, il s’agit pour l’assureur de connaître le coût global des sinistres dont le fait générateur est antérieur à une année considérée mais déclarés au cours de cette année et des suivantes dans l’optique d’une détermination du coefficient de majoration à appliquer à la cotisation de l’année pour prendre en charge le passé. C’est la « reprise du passé » qui nécessite une surprime évolutive sur les trois premières années, en plus de la prime d’assurance (cotisation) normalement payée par l’assuré afin de bénéficier d’une garantie encore appelée couverture. Cette tarification nécessite un calcul assez technique car le risque est différent sur les quatre années et il faut tenir compte de la masse globale des tardifs antérieurs à l’année de déclaration et déclarés durant cette année et les années suivantes.
DISTINCTION ENTRE RESPONSABILITE CIVILE ET RESPONSABILITE PENALE
Pour ce qui concerne le médecin qui exerce, tout comme l’enseignant, le métier le plus noble qui soit, il mérite mieux que d’être livré à la vindicte populaire. Une distinction est à faire d’abord entre la responsabilité civile et la responsabilité pénale, ses activités publiques et privées. En outre, l’aléa (le hasard) est un élément déterminant du contrat d’assurance et la faute ne doit pas être intentionnelle et l’assureur recommande des mesures pour éviter le sinistre ou en diminuer les conséquences. Quant aux victimes, elles méritent plus d’attention et les compagnies d’assurances, faudrait-il y insister, peuvent être associées à la recherche de solutions parce qu’elles ont des propositions à faire. Plus de cotisations équivaut à plus de primes pour les assureurs certes, plus d‘emplois pour les Sénégalais, plus de recettes fiscales pour l’État et plus de garantie pour les victimes. Nonobstant notre propre approche (sénégalaise) et donc au-delà de la souhaitable participation de tous, nous pourrions également nous inspirer de ce qui se passe ailleurs.