Le Sénégal, c’est soixante-deux ans d’indépendance, un pluralisme politique achevé, deux alternances pacifiques et une belle démocratie, hélas, craquelée depuis quelques années.
Dans un pays où la liberté de manifester est inscrite dans la Constitution, on ne devrait pas assister à la honteuse manipulation de la journée d’hier opérée par des gens qui se réclament du pouvoir.
Quoi de plus normal dans une démocratie que l’opposition appelle à manifester pour exprimer son désaccord au pouvoir. Un exercice somme toute banal dans une démocratie. Où l’on doit accepter que ceux qui ne sont pas d’accord puissent exprimer leur position en toute liberté.
Et où l’on doit arriver à ce qu’au niveau de l’administration, il n’y ait plus de prétextes pour extrapoler sur la tenue d’une manifestation politique de l’opposition en invoquant toujours une imaginaire absence des forces de l’ordre.
Des forces miraculeusement présentes pour réprimer quiconque tenterait d’enfreindre cette manifestation interdite au prétexte de leur absence ! Des forces, surtout, promptes à casser de l’opposant et à humilier les leaders du camp face à celui du pouvoir.
Soixante-deux ans donc après nos indépendances, et eu égard à notre tradition démocratique, les manipulations d’hier, et surtout celles venant du pouvoir, nous paraissent d’une autre époque. Celle des premières années des indépendances de nos pays où les pouvoirs voyaient partout des complots et craignaient même leur propre ombre.
Aux premières heures de la matinée de ce mercredi 08 juin, de folles rumeurs savamment distillées par des éléments du pouvoir ont circulé dans les réseaux sociaux. Une façon sournoise de décourager les plus téméraires à répondre à l’appel de l’opposition. Ce fut d’abord la présence de rebelles / mercenaires que le leader du Pastef, Ousmane Sonko, aurait fait venir à Dakar pour faire pire qu’en mars 2021. Comble de la dangerosité, ces mercenaires devraient procéder à un coup d’Etat.
Rien de moins ! Les auteurs du post largement partagé invitaient les Sénégalais à rester chez eux. A l’évidence, avec la forte mobilisation réussie par l’opposition, personne n’a gobé à ce procédé qui nous parait dégueulasse et qui ne doit pas plaire aux Casamançais. En effet, le fait de vouloir mettre dans la tête des gens que Sonko serait derrière les rebelles prouve que les gens du pouvoir prennent les Sénégalais pour des imbéciles. Alors qu’on pensait qu’ils avaient fini avec leur manipulation, ils sont revenus avec l’annonce de l’arrestation à Grand -Yoff d’un certain Ousmane Kabyline Diatta, un « rebelle notoire » (sic). Bien entendu, il n’était pas par hasard à Dakar.
A en croire ce post attribué au général Moussa Fall de la Gendarmerie, «en prélude à la manifestation de Yewwi, l’Etat avait identifié le mouvement de rebelles vers Dakar ». Ousmane Kabyline Diatta, chef rebelle et numéro 2 de Paul Alokassine, serait ainsi suivi depuis la nuit du mardi par les services de l’Etat et aurait été arrêté. Le même post nous signale que c’est ce qui expliquerait un communiqué de Sonko. L’on ne nous précise pas de quel communiqué de Sonko il s’agissait !
Et l’on pourrait se demander depuis quand un général de notre prestigieuse gendarmerie plastronnait sur les réseaux sociaux pour annoncer l’arrestation d’un rebelle, fut-il le plus grand terroriste. Ce qui nous paraît aux antipodes des procédés de notre prestigieuse gendarmerie nationale. Et le plus macabre de ces post sur les réseaux sociaux est attribué à un groupe qui se réclame de « Macky Family ». Il y est stipulé qu’un bus, qui transportait des patriotes venant de Tamba, se serait renversé en cours de route. Bilan de l’accident : 11 morts sur le coup.
A signaler que tous ces « posts » ont été balancés sur les réseaux sociaux bien avant que le Préfet de Dakar n’autorise la manifestation. Une façon bien entendu de dissuader les militants et sympathisants de Yewwi Askan Wi de rallier la place de la Nation.
Peine perdue puisque cette mythique place était pleine comme un oeuf. Un rassemblement qui s’est déroulé dans une ambiance bon enfant. Un bon coup pour notre belle démocratie. Mais il fallait encore compter sur les coups fourrés du pouvoir.
En effet, c’est notre confrère Ibrahima Lissa Faye qui a dénoncé une autre honteuse manipulation. Celle-ci a consisté au brouillage et blocage des réseaux Internet aux alentours de la place de la Nation empêchant aux journalistes de faire leur travail correctement. « Aucune retransmission ou même aucun échange de données via WhatsApp n’est quasiment possible sur place et aux alentours », dénonce notre confrère. Une journée donc de simple rassemblement de l’opposition durant laquelle on a fait courir les plus folles et bêtes rumeurs. Des rumeurs, hélas, de nature à mettre en danger notre commune volonté de vivre ensemble. Encore une fois, avec ce que notre pays représente en termes de pratiques démocratiques, nous devons apprendre à vivre avec nos différences politiques. Il nous faut surtout rompre avec ce procédé tendant à faire croire aux gens que le plus grand opposant est un rebelle. Tout simplement parce que, c’est vrai, dans sa région d’origine, sévit depuis 40 ans une rébellion armée. Et alors ?
Hier, ce n’est pas Ousmane Sonko qui avait appelé à un rassemblement mais, plutôt, une coalition de partis avec des leaders d’envergure. Malheureusement pour le pouvoir et ses souteneurs, ils ont tout ramené à la personne de Sonko. Lui donnant ainsi beaucoup plus d’aura et en faisant le plus sérieux adversaire du président de la République. Bien réussi !
Que Dieu préserve le président Macky Sall de tels souteneurs que, si on était Sonko, on décorerait lorsqu’on arrivera au pouvoir tellement ils auront balisé pour lui, du fait de leurs conneries, son ascension vers la magistrature suprême !