Les violentes manifestations de mars 2021 avaient véritablement sonné l’alerte chez le Président qui, en toute hâte, avait sorti tel un prestidigitateur de son chapeau le programme « Xëyou Ndaw Yi » d’emploi et d’auto emploi actuellement dans les starting blocks faute de ressources financières adéquates. Un an après, le meeting de l’opposition de ce mercredi 8 juin est venu démontrer à nouveau l’urgence de la question de l’emploi avec une forte mobilisation des jeunes qui y ont pris part.
La question de l’emploi a traversé tous les régimes depuis la mise en œuvre des mesures d’ajustement structurel. Avec le croît démographique, elle s’est aggravée au fil du temps. En 1981, à l’arrivée au pouvoir du président Abdou Diouf, la population s’élevait à 5 740 441 habitants. Le président Abdoulaye Wade préside aux destinées du pays en 2000 avec 9 797 731 habitants et son successeur Macky Sall prend les rênes au moment où le pays compte 13 401 990 d’habitants, avec une frange jeune de plus en plus importante et audible.
Le président Abdoulaye Wade avait rencontré durant son magistère les mêmes difficultés que son prédécesseur à créer des emplois
Promesse de 500.000 emplois sur trois ans via le « Yoonu Yokkuté »
Le candidat Macky Sall avait promis en pleine campagne présidentielle la création de 500 000 emplois sur trois ans via le « Yoonu Yokkuté » ; on sait ce qu’il est advenu de cette promesse aujourd’hui.
L’emploi a été considéré par le président Macky Sall comme devant naturellement découler des 27 programmes sectoriels du PSE (Plan Sénégal émergent) et des structures dédiées comme l’ANEPEJ ou autres PRODAC et DER, alors qu’il aurait fallu orienter vers des secteurs non saturés et mettre en place des programmes de formation adaptés. L’emploi est une question sociétale d’importance dans notre pays en ce qu’il est indissociable de la possession d’un revenu permettant de se loger, se vêtir, se nourrir, mettre ses parents à l’abri du besoin et, surtout pour les jeunes, fonder une famille. Les effets du chômage auraient pu être atténués si tant est qu’un minimum de revenu était alloué aux jeunes sans travail, accompagné de programmes de formation spécifiques permettant à cette frange juvénile d’aborder avec sérénité le marché de l’emploi. La création d’emplois est indissolublement liée à la qualité des ressources humaines, par conséquent à la compétence des demandeurs d’emplois par rapport aux secteurs identifiés et ciblés comme porteurs de croissance. La qualité des ressources humaines dépend à son tour des politiques publiques d’éducation et de formation mises en œuvre.
Dans le cadre de la mondialisation, la règle des entreprises transnationales est de délocaliser leurs activités selon les rendements qu’ils escomptent de leurs investissements. Les critères qu’ils se fondent pour prendre leurs décisions se rapportent essentiellement à l’existence de facteurs de production locaux compétitifs, de politique d’attraction des capitaux via une fiscalité incitative, mais surtout une dotation en ressources humaines compétentes formées aux techniques de production les plus sophistiquées à l’ère de l’économie du savoir. Selon la Banque mondiale, les piliers que sont l’éducation et le capital humain, les technologies de l’information et de la communication, la recherche-développement & innovation sont indispensables à l’économie du savoir et des connaissances.
La source du savoir et de la connaissance est principalement l’école
De plus en plus, la compétition des économies passe par la différenciation qualitative de leurs systèmes éducatifs. En Afrique, il est notoire que l’étroitesse des budgets nationaux ne permet pas l’allocation suffisante de ressources financières pour le développement harmonieux du capital humain. Le Sénégal a connu, et connait encore dans certains endroits, la dispense d’enseignement par des volontaires de l’éducation dotés du seul BFEM en guise de diplôme pour enseigner en école primaire, des classes à double flux, des abris provisoires servant de lieu d’enseignement, entraînant des taux d’échecs scolaire importants, surtout en milieu rural. L’Université n’est pas en reste dans ces contreperformances, malgré les efforts fournis par des enseignants émérites. Les instituts supérieurs privés ne sont pas suffisamment contrôlés pour s’assurer que les enseignements dispensés sont en rapport avec les normes standard.
A l’arrivée, les diplômés de l’enseignement supérieur peinent à trouver du travail, faute d’opportunité et d’adéquation de leurs profils de formation par rapport aux postes, mais également faute de dynamisme en matière d’offre en provenance des entreprises. Dans le secteur moderne ou formel, les opportunités sont plus nombreuses dans le secteur tertiaire (banques, assurances, professions libérales, métiers liés à la téléphonie, aux activités portuaires et aéroportuaires etc.). Dans les domaines agro-industriel et minier, les machines remplacent de plus en plus les hommes ; l’agriculture est davantage du ressort des populations rurales et des maraichers dans des zones bien définies où l’eau est disponible (eaux souterraines affleurantes ou eaux de surface dans les divers bassins hydrauliques) et généralement elle est saisonnière. L’emploi moderne est quasiment figé en volume et se répartit ainsi qu’il suit : environ 150 000 agents de la fonction publique, 250 000 du secteur privé et près de 700 000 du secteur informel. En 10 ans, le PSE n’a pas réussi à briser cette sorte de rigidité malgré des annonces de taux de croissance annuels de l’ordre de 4 à 6 %. Or, l’emploi est le relais le plus approprié de redistribution de la richesse nationale créée annuellement.
A la décharge du Président SALL, des pays du monde développé sont confrontés au même défi. Ce qu’il faudrait lui reprocher c’est de n’avoir pas su poser les fondamentaux d’une école, d’une université, d’instituts de formation performants incitant à la délocalisation ou à la création d’entreprises de pointe (start up). Les décisions d’investissement publics ont plus concerné les BTP, le transport en particulier, sans pour autant impacter la base économique productive d’une croissance endogène. Dans les programmes sectoriels exécutés, on a davantage accordé d’importance au court terme et au visible, nous rappelant à l’occasion l’expression de Keynes selon laquelle « A long terme on est tous morts » ! Cela, pour dire que les décideurs économiques ne voient généralement pas d’avantage pour eux à prendre des décisions qui ne porteraient leurs fruits qu’à long terme, convaincus que les électeurs ne leur sauraient aucun gré d’avoir tenu compte d’un intérêt supérieur, celui des générations futures. S’inspirer de l’exemple de la Finlande en matière de formation de ressources humaines
Dans cet ordre d’idée, l’exemple de la Finlande en matière de formation de ressources humaines est à souligner. Peuplé de 5,5 millions d’habitants, ce pays est reconnu pour la qualité de ses ressources humaines, la performance de son système éducatif allant de l’école primaire à l’Université en passant par ses centres de formation professionnels. La Finlande s’est distinguée de nombreuses années durant (2001-2008) par une croissance économique constante due aux excellentes performances économiques de son champion national « Nokia », prouvant par-là que la recherche et développement doivent être appuyées jusqu’à ce qu’elles aboutissent à l’innovation. Grâce à son approche éducative, la Finlande dispose d’une base plus importante de travailleurs qualifiés, surtout dans le domaine de l’électronique et des technologies de l’information, ce qui la place parmi les pays les plus compétitifs au monde sur le plan de l’innovation.
Les performances des Dragons d’Asie, plus particulièrement de la Chine, sont également liées à leur capacité d’innover qui se mesure en nombre de brevets déposés auprès de l’OMPI (Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle) permettant de mesurer le degré d’innovation d’un pays. Dans le monde, la Chine occupe la première place en termes de brevets déposés, avec 68 720 brevets ; suivent les USA (59 320), le Japon (50 520), la Corée du Sud (20 060), et l’Allemagne (18 643). La firme Huawei de Chine est première avec 5 464 brevets devant Samsung Electronics de Corée du Sud (3 093 demandes) et Mitsubishi du Japon (2 810 demandes). Le Sénégal serait à 13 demandes en 2019.
L’Afrique représente seulement 0, 15 % des dépôts de brevets dans le monde !
L’Afrique représente environ 0,15 % des dépôts de brevets dans le monde, ce qui atteste du faible niveau d’innovation dans le continent. Conclusion La problématique de l’emploi au Sénégal est une question nationale. En cela, elle doit faire l’objet de consensus forts de la même manière que les programmes de développement à long terme pour éviter des remises en cause à chaque changement de gestionnaire de la chose publique. C’est dire que le défi sera le même pour le successeur du président Macky SALL qui subit la sanction de la jeunesse pour cet échec. L’emploi reste en effet une épée de Damoclès suspendue au-dessus de la tête de tous les candidats à la conquête du pouvoir. La solution à cette question ne saurait être l’affaire du seul président de la République.
Afin d’éviter les déceptions dues aux fortes attentes de la jeunesse, ce problème doit être traité en priorité, avec méthode et transparence. Le président Abdou Diouf avait, dès son accession au pouvoir, convoqué les Etats généraux de l’éducation en mai 1981. 40 après, ces assises devraient être convoquées à nouveau pour faire l’état des lieux et dégager de nouvelles priorités consensuelles en matière d’éducation et de formation.