Il est manifeste que le contexte du monde actuel, depuis le mois de mars 2020, a mis en lumière les défis immenses auxquels l’Afrique est confrontée pour sa survie. Il s’agit, entre autres, de la crise sanitaire induite par la pandémie à Covid-19 et celle alimentaire provoquée par la guerre russo-ukrainienne.
Cette mise en lumière éclaire davantage le leadership d’un homme attaché à son continent et à son devenir. J’ai nommé le président de la République du Sénégal, Macky Sall, président en exercice de l’Union africaine (Ua).
En effet, son voyage en Russie le projette au-devant de la scène mondiale, au moment où l’Europe angoisse devant les scènes de destruction des infrastructures et de massacre du Peuple ukrainien et s’ingénie par des sanctions à faire plier la Russie que rien ne semble ébranler. Ce voyage du président de l’Ua donne une dimension nouvelle au continent africain, à ses 1 Md 400 millions d’âmes, en même temps qu’il auréole d’une gloire singulière le leader politique qui porte la voix des hommes et femmes qui peuplent ce continent, berceau de l’humanité.
Et ce n’est pas pour rien que la presse européenne, française en particulier, se jette sur l’événement pour traquer, recueillir la moindre parole de l’homme, de l’Africain qui a osé aller à Sotchi rencontrer l’ogre russe qui fait trembler l’Europe et l’Amérique et lui parler pendant plus de trois heures d’horloge. Macky Sall s’est entretenu avec Vladimir Poutine pour lui exprimer les préoccupations de l’Afrique et des Africains dans cette guerre qui ne les concerne point.
Parler à Poutine pour attirer son attention sur les risques encourus par les peuples africains. «La Russie et l’Ukraine représentent plus de 40 pour cent des importations de blé de l’Afrique. Dans des pays comme le Rwanda, la Tanzanie et le Sénégal, ce chiffre s’élève à plus de 60 pour cent, et en Egypte, à 80 pour cent. Le Bénin et la Somalie dépendent de la Russie et de l’Ukraine pour 100% de leur approvisionnement en blé.» (The New York Times- Alain Peltier -2 juin 2022)
Un temps fort de l’Afrique pour que le monde ouvre les yeux sur le sort qu’on lui fait, à travers cette guerre, en ne se préoccupant que d’Ukraine et d’Europe, quand près d’un milliard et demi d’hommes et de femmes sont menacés de famine du fait de la non-circulation du blé et des fertilisants dont ont besoin les agriculteurs africains pour produire leurs propres céréales, sans compter la tension mise sur les hydrocarbures du fait des sanctions européennes contre la Russie.
Moment de l’Afrique quand Macky Sall, l’Africain, se fait porteur de la voix du monde, de l’espoir de l’humanité, voix des 7 milliards d’hommes et de femmes pour dire à Poutine son aspiration au cessez-le-feu et à la paix. Voix d’Afrique, voix du monde étincelant dans l’obscurité d’une guerre obscure, retentissant plus que les bombes larguées sur Marioupol et Severodonetz et déchirant le voile d’hypocrisie de la bienpensante communauté internationale.
Que dans ces moments-là des esprits chagrins, miasmes ridicules, tentent en vain de chahuter une telle voix, on ne peut qu’en sourire parce qu’ils sont vite foudroyés par la puissante lumière projetée de partout par cette voix africaine, étouffés par sa tonalité universelle.
Dans de telles circonstances, m’inquiète le silence des militants panafricanistes qui proclament partout leur amour pour le continent et leur rêve d’émancipation et d’unité, alors que leur mobilisation dans le sens de renforcer une telle dynamique panafricaine, densifier cette option pour la rendre irréversible, contribuerait à consolider chaque pas accompli dans le sens de rendre à l’Afrique sa dignité. Il est en effet consternant, pour ne pas dire plus, de voir nos camarades panafricanistes célébrer chaque année les pionniers du mouvement que sont Nkrumah, W. Dubois, Cheikh A. Diop, etc. et rester silencieux devant le combat mené par des leaders africains contemporains contre la famine qui s’annonce avec la guerre russo-ukrainienne.
Ce fut également le cas avec la discrimination effroyable du monde occidental à l’encontre de l’Afrique dans la lutte contre la pandémie du Covid-19, sur les masques, les vaccins et la mobilité des Africains. Aucun des actes posés par Macky Sall, Kagamé et Ramaphosa n’a été soutenu par nos amis panafricanistes. Quand il a fallu appeler à un «front commun de l’Afrique dans la gouvernance mondiale et la prise en charge de l’impact du Covid-19», c’est une indifférence tout aussi retentissante que les panafricanistes ont élevé devant cette initiative, pendant que la pandémie décimait des milliers d’Africains.
Ni l’appel à l’annulation de la dette africaine, combat mené dans les années 80 par un Thomas Sankara esseulé, ni la bataille pour une fabrication du vaccin en Afrique n’ont trouvé grâce à leurs yeux pour faire chorus devant le monde de la finance et le nationalisme étroit des puissances occidentales. C’est à se demander sur quoi se mobilisent concrètement les panafricanistes, et qui touche véritablement le sort des populations africaines.
Certains d’entre eux pourtant ont trouvé raisons et justifications à se mobiliser sur un appel de la Bbc contre le régime sénégalais et africain, au nom de la gestion vertueuse du pétrole ; mais jamais quand le Président Macky Sall a demandé à l’Ua, en 2018, de produire un code pétrolier continental commun pour faire face, d’une seule cordée, aux compagnies pétrolières dont la puissance financière, technique et juridique façonne les contrats dans le domaine des hydrocarbures.
(in Afric Telegraph-Mapote Gaye- 13 juin 2018).
C’est le même dédain que nos panafricanistes opposent aux combats portés par le leader africain, Macky Sall, pour le changement de l’ordre international construit depuis le siècle dernier alors que l’Afrique croulait encore sous la domination coloniale, en commençant par l’Onu et le Conseil de sécurité où l’Afrique doit avoir une place permanente avec droit de véto.
Cette voix a retenti à toutes les tribunes où le Président Macky Sall a été invité. Cette revendication légitime et historiquement fondée a résonné dans toutes les enceintes de la diplomatie mondiale, dans les forums de haut niveau tenus partout dans le monde, relayée par tous les médias, partagée sur tous les réseaux sociaux, sans que nos panafricanistes ne daignent la porter, comme une revendication progressiste au service de l’Afrique et des Africains dans leur combat pour la reconquête de leur dignité à travers le recouvrement de leur place là où l’on discute de leur sort. Au-delà du porteur de la revendication, c’est plutôt le contenu et la portée de celle-ci qu’il faut considérer.
Malheureusement, nombre de nos amis panafricanistes n’ont pas la capacité de saisir la direction historique d’un tel combat mené sur le front de la diplomatie, terrain de lutte politique où s’affrontent les intérêts des pays, en l’occurrence des Africains contre ceux des puissances impérialistes qui dominent le monde.
L’espace onusien a entendu la voix de l’Afrique indépendante, non alignée, exclusivement ancrée dans la défense de ses intérêts, préoccupée par le sort de ses populations. Il ne s’en est pas trouvé des amis panafricanistes pour porter cette voix dans les masses, dans toutes les sphères où évoluent les forces vives à même de construire une Afrique unie et forte. Beaucoup ignorent l’ancrage du Président Macky Sall dans le panafricanisme.
Ses anciens camarades de l’université Cheikh A. Diop, je n’en suis pas, pourraient en dire certainement assez pour édifier sur son engagement et sa culture dans le domaine. Cependant, l’on peut, sans se tromper, indiquer que l’orientation panafricaniste que se donne le chef de l’Etat du Sénégal irrigue sa diplomatie.
Les actes qu’il a posés, depuis son accession à la magistrature suprême, vont tous dans le sens de réaliser les Etats-Unis d’Afrique, à travers le renforcement des cadres régionaux et sous-régionaux pour faire face aux défis de la mondialisation. Récemment encore, invité au Forum économique international sur l’Afrique organisé par l’Ocde, Macky Sall a dénoncé l’obsolescence des règles de la gouvernance du monde et appelé à l’instauration d’un ordre mondial plus juste et plaidé pour l’octroi d’un siège à l’Ua comme l’est l’Ue au sein du G20 où les discussions engagent le sort de ses populations. (Le Soleil des 11-12 juin 2022).
De même, le Président M. Sall a de manière répétée fustigé l’arrêt des financements pour les énergies fossiles dont le gaz annoncé par les grandes puissances occidentales et «l’iniquité dans l’évaluation des agences de notation au détriment des pays en développement», l’Afrique en particulier. (Ibidem).
Pour avoir vécu dans le cadre du Mouvement fédéral panafricain (Mfpa), la préparation depuis 2015 du précongrès tenu à Accra (Ghana) en décembre 2018, je puis témoigner de cet engagement que mes camarades responsables du Mfpa peuvent largement confirmer.
Dans cette perspective, deux moments m’ont particulièrement marqué. Premièrement, la visite de la fille de Nkrumah, Samia, à Dakar, que le Président Macky Sall a reçue grâce à l’intermédiation d’un autre panafricaniste, Moustapha Niasse, malgré son agenda chargé et un dimanche, pour exprimer à Samia et au mouvement tout son soutien militant pour la cause.
Deuxièmement, le soutien concret apporté à la mission des Sénégalais qui devaient se rendre à Accra, tant pour la caravane des jeunes que pour les responsables eux-mêmes. Et n’eût été son intervention pratique, le Congrès n’aurait pas pu se tenir et les jeunes caravaniers venus du Sénégal n’auraient pu réaliser leur engagement militant. Or, tant pour le logement et la restauration des congressistes venus de plusieurs coins du monde (Afrique, Amérique, Caraïbe, Europe, etc.) que pour les locaux devant accueillir les travaux, rien n’a été gratuit. Il a fallu payer rubis sur ongle. Cette expérience m’a personnellement édifié définitivement sur le sens de l’engagement politique, panafricaniste en l’occurrence.
C’est dire que les actes concrets posés dans l’anonymat, dans la plus grande discrétion, sont plus efficaces et plus expressifs d’un engagement véritable dans l’option du panafricanisme que les incantations et autres postures théoriques qui n’engagent à rien même si elles ont, dans un monde bouleversé par les médias sociaux, plus de clinquant et produisent plus de bruit et de buzz.
Aux jeunes encore engagés dans le combat panafricaniste, en tant que nécessité historique, je voudrais dire que ceci se réalisera, non par la seule volonté de quelques leaders, quelle que soit leur envergure, mais bien dans la réunion des conditions objectives et subjectives dans une Afrique mûre pour instituer les Etats africains unis.
Et ni l’activisme exalté de certains, fondé sur l’impatience petite-bourgeoise et le subjectivisme volontariste, ni les postures intégristes d’autres liées à l’évocation des martyrs ne peuvent faire advenir une telle situation. Ceci se construira patiemment, chacun jouant sa partition dans tous les secteurs d’activités, sur tous les fronts (de la diplomatie, de la politique, de l’économie, du social, de la culture, du sport, etc.) se soutenant mutuellement, acceptant que s’accomplissent de petits pas positifs dont il faut faire la promotion sans cesse vers l’accomplissement de l’idéal, dans une bonne compréhension des rapports de forces qui structurent le monde.
El Hadji Momar SAMBE
SG du Rta-S elmomarsamb@yahoo.fr