Je crois que ce n’est pas toujours mauvais de convoquer la fiction pour camper une réalité sociale douloureuse pouvant faire le lit de dommages terribles sur la société. Pour fêter les dix ans de sa présence dans le champ médiatique sénégalais, la TMV (télévision mille volcans), en synchronisation avec ses homologues (télévisions mille collines) — vous vous rappelez tous et toutes ce rôle néfaste que la radio Mille collines a joué dans le déclenchement génocide rwandais — s’est décidée je ne sais pour quelle raison à faire un sursaut d’orgueil et de lucidité pour s’interroger sur sa praxis du journalisme dans un pays comme le nôtre confronté à de multiples défis. Et pour ce faire, la TMV a jeté son dévolu sur un homme d’un certain âge appelé Meuna Saaga Lool Dolli Ci Meuna Kathie (MSLDCMK). En exclusivité, nous vous livrons cette interview accordée par MSLD à la TMV.
TMV : veuillez-vous présenter à no téléspectateurs, Meuna Saago Lool Dolli CI Meuna Kathie…
MSLDCMK : Suis très heureux de répondre à vos questions. J’aime bien me retrouver avec des journalistes comme vous. Cela dit, j’ai échoué dans ma vie professionnelle. C’est pourquoi, pour ne pas rester les bras croisés, j’ai trouvé dans les injures, la médisance, l’affabulation, les mensonges, un créneau assez porteur surtout qu’une partie importante de la population est …demandeuse. Et avec ma nouvelle « profession », on n’a pas besoin d’une formation diplômante. Il suffit tout juste de bien manipuler la langue Wolof, de savoir crier, hurler, vociférer, bref faire le clown pour réussir.
Avez-vous pris conscience du mal que vous faites à votre société dans son ensemble en véhiculant de fausses informations mais aussi et surtout de l’image négative que vous renvoyez à la jeunesse ?
C’est là le cadet de mes soucis ! Dans ce pays, c’est triste mais c’est la vérité, chacun gère ses intérêts à sa manière. Regardez comment le pays fonctionne de l’échelon inférieur jusqu’au sommet de l’Etat ! En me faisant remarquer comme influenceur, ça peut m’ouvrir des perspectives insoupçonnées. A preuve par mes confrères qui ont été reçus par la plus haute autorité de l’Etat. Tout cela pour dire que cette profession – la nôtre, celle des insulteurs — à de beaux jours devant elle parce que reconnue à un niveau élevé de l’Etat. Il s’y ajoute que des moyens substantiels sont dégagés par des responsables politiques, nichés à des sommets insoupçonnés dans la pyramide sociale, pour entretenir et recruter…des insulteurs. Vous vous rappelez ces fameux journaux IL EST MIDI, LE MESSAGER ? C’étaient des journaux de propagande, de mensonge éhonté, de délation. Eh bien, ils sont tous morts de leur belle mort ! Si j’en parle, c’est pour faire le parallèle avec ce que nous faisons aujourd’hui. Ce sont tout juste les supports qui ont changé mais, fondamentalement, les lignes éditoriales restent les mêmes : détruire par l’écrit, le son ou l’image tous ceux ou toutes celles qui contrecarrent le ou les projets de nos employeurs. L’image qu’on renvoie à la jeune génération ? Qui s’en préoccupe ? Le pays marche sur la tête. Jugez-en ! L’école, depuis plusieurs années, connaît une crise cyclique et rien de véritablement sérieux n’est fait pour renverser la tendance. Au contraire, l’école s’enfonce chaque année dans les abysses profonds de la médiocrité crasse. C’est cette école complètement à terre que nous avons avec des enseignants totalement démotivés et qui n’y croient plus.
A vous entendre parler, c’est à désespérer de ce pays ?
Y a de quoi !
Peut-on s’attendre à un sursaut salvateur de votre part vous amenant à rompre avec cette vie de facilité qui frise quelque part l’indignité ?
Cette vie, c’est vrai, est très éloignée de toute forme de grandeur. Mais dans un pays où le mensonge sous toutes ses formes est la chose la mieux partagée, où la parole donnée n’a aucune valeur, vouloir s’ériger en modèle de rigueur, c’est courir le risque de mener une vie remplie de difficultés et de déceptions de toutes sortes. Il faut rentrer comme tout le monde dans le moule qui régit le fonctionnement de notre société pour ne pas mourir idiot et là tu es peinard !
Ne vous arrive-t-il pas d’avoir des remords avec cette vie de saleté et de lâcheté que vous menez, consistant à salir pour de l’argent et autres prébendes, la réputation d’honnêtes citoyens ?
J’ai l’impression que vous vivez dans une autre planète et que vous n’avez rien compris. Qui se soucie de l’avenir de ce pays ? Ne vous laissez pas abuser par ces discours lénifiants martelés à longueur de journée avec des trémolos dans la voix. Ils ne signifient pas grand-chose pour ceux ou celles qui les sortent de leurs bouches : l’essentiel pour ces gens-là, c’est de faire bonne impression. Toute le reste n’est que ruse et leurre ! Ici, chacun cherche à gagner de l’argent comme il peut. Des fonctionnaires, milliardaires, y en a à la pelle dans ce pays ! Des politiciens professionnels, milliardaires, ils sont légion dans ce pays ! Ces gens-là, à ce que je sache, ils font plus de mal au pays que nous autres, influenceurs, abonnés aux injures et autres insanités qui utilisons l’insulte comme stratégie de survie. Ayant échoué partout, il ne nous reste que ça !
Votre mot de la fin Meuna Saago Lool Dolli CI Meuna Kathie !
Je remercie le Ciel, mes parents pour cette réussite inattendue que je connais présentement. Pas un Sénégalais n’ignore mon nom. Mes apparitions publiques donnent lieu à des débordements de foules impressionnants. Tout cela me conforte dans l’idée que je fais œuvre utile et que les Sénégalais, toutes couches sociales confondues, se reconnaissent dans mon travail. » Triste et inutile vie que celle-là mais que voulez-vous ? Si ces gens-là (les insulteurs) existent jusqu’à se mettre au-devant de la scène, c’est que, quelque part, il y a problème dans notre société. Comment une société normale peut-elle tolérer des pratiques en total porte-à-faux avec son histoire, sa culture, sa religion, bref sa civilisation ? Quoi qu’on puisse dire, notre société, à de rares exceptions près, ne tolère pas les excès. Dans certaines de nos ethnies, l’injure publique se lave dans le sang. Mais bon, autre temps, autre mœurs ! J’ai voulu prendre prétexte de cette interview imaginaire pour m’interroger sur le fonctionnement actuel de notre société qui se plait à verser dans le langage ordurier. Et quand on décrypte à la loupe l’échange que la TMV a eu avec MSLDCMK, on se rend compte que cet énergumène n’est pas si bête que ça. Seulement voilà, pour la préservation de ses intérêts, il fait preuve d’une irresponsabilité qui frise la folie. Comment peut-on, pour de l’argent, chercher à briser des vies, à détruire, à vouloir même « tuer » ? Quand vous jetez en pâture la vie de quelqu’un, que les faits évoqués soient vrais ou faux, vous avez perturbé, même si c’est pour un temps limité, la quiétude mentale de l’individu. Quand vous écorchez d’une manière ou d’une autre la dignité de l’individu, qu’il en parle ou pas, vous l’avez blessé. Et j’ai bien aimé cette sortie que j’ai vue dans le Net du docteur Massamba Gueye LBA : « On peut dire sa vérité sans insulter ni blesser. Respectons-nous. Trop c’est trop. La plaie physique se cicatrise mais la blessure morale ne se referme jamais. Nous sommes tous des parents ! Rien ne justifie cette insolence généralisée. Nos enfants nous écoutent ! » Ce penseur émérite a raison. Mais, compte tenu de la configuration de notre société, ce n’est pas demain la veille que ce déferlement de haine qui ne dit son nom va s’arrêter. « Nit dou saga koumou beugue » (On n’injurie pas la personne qu’on porte dans son cœur). Comme il en est ainsi et étant donné que nous sommes tous de potentielles victimes, Dieu fasse que nous soyons assez forts moralement pour faire face au regard réprobateur et parfois même inquisiteur de l’autre lorsque nous serons à notre tour victimes de ces insulteurs. Cela dit, plus je réfléchis sur les faits et gestes de ces insulteurs publics, plus je me dis peut-être à tort qu’on a des malades qui s’ignorent. Quand la personnalité est fragile et qu’elle est en proie à des dysfonctionnements internes graves, l’homme est porté vers les excès. Mais au fait qu’est que ces gens-là apportent à la société en terme de plus-value ? Rien ! Absolument rien ! Sinon contribuer dangereusement à abêtir cette société déjà bien mal en point. Les questions fondamentales d’Education, de Santé, de Développement, ça ne les intéresse pas ! Et c’est malheureux, ils invitent à leurs plateaux des gens comme eux dont les discours suintent la haine et la méchanceté gratuite. Notre société qui vit de ça 24/24 heures, doit se donner les moyens de réfléchir sur son vécu. Au fait, ces télévisions, nouveau format, font peur. Chacun se demande dans son for intérieur à quand mon tour au motif que personne n’échappe aux campagnes de lynchage médiatique, la marque de fabrique de ces médias d’un style particulier. En attendant, j’invite les uns et les autres à se forger une structure mentale assez forte pour ne pas se laisser abattre en ce sens que les insulteurs visent un objectif bien clair : « tuer » ; d’où la nécessité d’avoir un caractère trempé. Mais là aussi il faut s’exercer en permanence, étant entendu que la maturité affective et psychologique ne tombe pas ex nihilo : il faut la cultiver jour et nuit. Le mot de la fin, je vais l’emprunter à Faust : « Homme ! Par ton cerveau puissant, deviens un Dieu, le Seigneur et le maître de tous les éléments. » …
A suivre, la semaine prochaine, incha Allah !