Le Sénégal vit des moments sombres. La déchéance et la déliquescence de notre économie nationale a atteint son paroxysme, un niveau jamais égalé. Cette situation fait le lit de souffrances, multiples et multiformes, des populations. Parmi ces dernières, des franges importantes sont passées, ou sont en train de passer, de ce qu’on qualifiait naguère de classes moyennes à celles des pauvres. Celles qui étaient pauvres constatent la panne de l’ascenseur social et, subséquemment, voient le risque de durer ou d’être condamnées à vivre dans la pauvreté. La situation économique actuelle est difficile pour tout le monde à l’exception d’une minorité de privilégiés qui parvient à capter et à se partager, à son profit exclusif, une grande partie des ressources du pays. À la place de l’émergence économique tant chantée et promise, se développent une exaspération sociale et un ras-le-bol collectif, porteurs de tensions susceptibles de provoquer un cataclysme aux effets dévastateurs, impossibles à cerner dans l’immédiat.
Un tableau économique sombre, voire apocalyptique
En nous fondant exclusivement sur les données rendues publiques par le ministère de l’Économie, du Plan et de la Coopération, plus particulièrement par sa Direction de la Prévision et des Études Économiques (DPEE), la situation économique du Sénégal est plus qu’inquiétante. Elle frôle la catastrophe ! Sans risque de nous tromper, nous pouvons affirmer qu’elle est dans l’abysse. Nul besoin de préciser que les statistiques officielles publiées par la DPEE sont loin de refléter toute la réalité. Donc les situations qu’elles décrivent sont pires que celles que vivent les Sénégalais dans leur quotidien.
Selon la dernière note de conjoncture publiée par la DPEE, et consacrée au premier trimestre de la présente année (2022), le Sénégal a enregistré une réduction de 7,1 % de son activité économique hors agriculture et sylviculture. Ce recul est imputable, en partie, aux ralentissements et aux contre-performances constatés dans le secteur secondaire. En effet, nous observons, par exemple, un recul des activités de 35,9 % dans la fabrication de matériels de transport, de 26,4 % dans l’industrie du caoutchouc, de 21,9 % dans la production de métallurgie et de fonderie ainsi que de 12 % dans les industries extractives. Plus inquiétant, la DPEE prévoit, déjà, une réduction des activités de 3,6 % dans le secteur primaire hors agriculture et sylviculture à la fin de 2022. Ces inquiétudes trouvent leurs origines dans les contre-performances des sous-secteurs de l’élevage et de la pêche, lesquels ont connu un recul de leurs activités respectivement de 2,2 % et de 6,8 %.
Les choses deviennent inquiétantes et prennent une tournure grave lorsque la DPEE nous annonce, qu’à la fin de l’année, le Sénégal fera face à une réduction de ses activités agricoles dans la vallée du fleuve Sénégal du fait d’une diminution substantielle des financements retenus (-13,7 %) combinée à celle des superficies cultivées (-17,4 %). Cette situation s’expliquerait, d’après la DPEE, par le faible taux de remboursement de certaines organisations de producteurs et un niveau élevé de rejet de dossiers de demande de crédit présentés par ces dernières pour faute de garanties solides. Ce qui prouve que l’engagement du gouvernement auprès des organisations de producteurs n’est que factice, et que la souveraineté alimentaire tant déclamée et chantée est réduite à sa simple expression de slogan !
Les pertes d’emplois constituent aujourd’hui l’un des plus sinistres palmarès du gouvernement de Macky Sall. Rien qu’au cours du premier trimestre 2022, le secteur moderne a perdu 1,2 % de ses emplois. Une variation, en hausse, de ces pertes d’emplois est prévue à la fin de l’année compte tenu des réductions d’effectifs annoncées dans le secteur secondaire (-4,7 %).
C’est un euphémisme de dire que les Sénégalais éprouvent de plus en plus de difficultés pour payer leur nourriture, leur logement, leur transport, etc. La débrouillardise (le système D) est devenue la règle. En effet, durant le premier trimestre 2022, l’inflation a progressé de 0,8 % et il est prévu qu’elle atteigne 6,1 % à la fin de l’année. Le Sénégal ne respectera pas donc le critère de convergence nominale de premier rang prévu par le pacte de convergence des États membres de l’UEMOA et relatif à l’obligation de maintenir le taux d’inflation annuel moyen à moins de 3 %. Cette augmentation généralisée des prix est beaucoup plus ressentie sur certains produits de base, notamment la viande de bœuf (2,6 % pour le premier trimestre 2022 et 19,1 % prévus à la fin de l’année), le pain (8,3 % pour le premier trimestre 2022 et 11,8 % prévus à la fin de l’année), le sucre (1,4 % pour le premier trimestre 2022 et 2,9 % prévus à la fin de l’année) et les huiles (1,6 % pour le premier trimestre 2022 et 15,9 % prévus à la fin de l’année). Les mesures annoncées dans le cadre de la Loi des finances rectificative (LFR) n’y feront rien : subvention de 150 milliards FCFA pour l’énergie qui s’ajoute aux 150 milliards FCFA déjà prévus, soit au total 300 milliards FCFA ainsi qu’une autre d’un montant de 157 milliards FCFA pour soutenir les prix des denrées de première nécessité.
Les ménages, le secteur informel et les petits opérateurs économiques qui constituent la principale clientèle des systèmes financiers décentralisés (SFD) ont vu leur endettement augmenter et, en même temps, éprouvent beaucoup plus de difficultés à honorer les crédits qu’ils ont eu à bénéficier. C’est ainsi que, durant le premier trimestre de 2022, le montant des crédits accordés par les SFD s’est accru de 15,7 milliards FCFA comparativement au trimestre précédent. Pendant la même période, le taux de créances en souffrance a augmenté de 0,4 % en s’établissant à 1,1 % du montant des crédits consentis par les SFD.
Enfin, concernant l’endettement et le service de la dette, ils restent très élevés et fragilisent l’économie du pays. L’endettement dépasse maintenant le seuil des 70 % du ratio de la dette publique sur PIB, qui se trouve être l’un des principaux critères de convergence nominale de premier rang prévu par le pacte de convergence des États membres de l’UEMOA. Selon la quatrième revue du programme appuyé par l’instrument de coordination de la politique économique (ICPE) du Fonds monétaire international (FMI), l’endettement du Sénégal devrait atteindre 73 % du PIB en 2021. Concrètement, cela se traduit par un alourdissement du service de la dette : une augmentation des charges d’intérêt sur la dette de 14,2 %, soit 123,1 milliards FCFA payés dans le courant du premier trimestre de 2022 selon la DPEE.
Les facteurs exogènes comme faux alibi, l’incompétence et l’amateurisme les principales raisons
Il est vrai que la guerre russo-ukrainienne et l’embargo des pays occidentaux contre la Russie qui s’en est suivi ont provoqué d’importantes perturbations dans les chaînes d’approvisionnement au plan mondial. Cette situation a entraîné le renchérissement des prix de certains produits, notamment alimentaires et énergétiques. Il est vrai, également, que le monde entier sort progressivement d’un déconfinement suite à la crise pandémique de la Covid-19. Quels que soient leurs impacts réels sur notre économie nationale, ces facteurs exogènes, et bien d’autres, ne sauraient, à eux seuls, justifier la passe difficile que vit notre économie nationale. Les difficultés que le Sénégal et les Sénégalais vivent, pour l’essentiel, trouvent leurs origines dans l’incompétence et l’amateurisme du gouvernement actuel. En effet, la réduction de 7,1 % des activités économiques, hors agriculture et sylviculture, témoigne d’une absence de vision et de politiques réellement volontaristes et efficaces du gouvernement dans le domaine de l’industrialisation de notre pays.
Le développement du commerce intra-africain aurait pu nous prémunir des effets néfastes causés par les chaînes d’approvisionnement qui privilégient les pays situés hors du continent. Une volonté affirmée et réelle priorisant la mise en place de politiques de transformation de nos produits primaires, sur place, avant leur exportation, aurait certainement permis d’éviter cette situation.
L’échec le plus patent du gouvernement est dans le domaine de l’agriculture. En effet, les prévisions de mise en valeur sur la vallée du fleuve Sénégal portent sur 59 600 hectares alors que celle-ci recèle un potentiel de terres arables estimé à 240 000 hectares ! Cherchez l’erreur, ou trouvez l’incapacité du gouvernement : comment un pays comme le Sénégal dispose-t-il autant de terres arables (pas seulement au Nord) et voit sa souveraineté alimentaire menacée par une guerre qui se mène à des milliers de kilomètres de ses frontières par de tiers belligérants ? Répondre à cette question objectivement reviendrait à démontrer l’incapacité de ce gouvernement !
L’amélioration des recettes fiscales s’est faite sur le dos du peuple sénégalais : les taxes sur les biens et services intérieurs ainsi que les droits de douanes, toujours répercutés sur les prix des biens de consommation importés et donc payés, en dernière analyse, par les consommateurs, se sont accrus respectivement de 84,4 milliards FCFA et de 53,5 milliards FCFA à fin mars 2022. La hausse des taxes sur les biens et services intérieurs s’explique principalement par l’augmentation de la TVA hors pétrole au niveau du secondaire (+14,1 milliards FCFA) et du tertiaire (+13,7 milliards FCFA). Autrement dit, ce sont les populations, qui ont déjà vu leur porte-monnaie largement essoré par l’inflation, qui se font saigner à blanc pour permettre aux élites bureaucratiques et politiques de maintenir, sinon accroître, leur train de vie. Cette mauvaise répartition du fardeau de la charge des frais de fonctionnement de l’État est tout simplement scandaleuse ! Ce modèle doit être changé tout simplement.
Enfin, la chose la plus grave qui témoigne de l’amateurisme du gouvernement actuel, est son recours excessif et récurrent à une gestion des finances publiques qui ressemble, à tous égards, à la Pyramide de Ponzi. Ce que le wolof appelle « suul bukki, sulli bukki ». En effet, depuis plus d’une année, le gouvernement du Sénégal organise ou fait organiser, à travers la BCEAO, des emprunts généralement à court terme, au moyen notamment d’émissions d’obligations et de bons du trésor, pour financer des activités qui s’inscrivent dans le long terme : fonctionnement de l’État, paiement du service de la dette, financement de projets d’investissements, etc. Ainsi, rien que dans les trois (3) premiers mois de l’année 2022, le gouvernement a déjà levé 205 milliards FCFA à travers quatre (4) émissions d’obligations et une émission de bons du trésor. Le gouvernement utilise ce pis-aller, qui alourdit notre endettement, en espérant que le gaz et le pétrole couleront rapidement pour remettre les finances publiques à flot. Encore de l’amateurisme !
Pour terminer, nous empruntons à l’ouvrage que nous avons publié en 2020 intitulé « Le protocole de l’Élyséeʺ la citation ci-après, qui est plus que d’actualité : « L’ultime rempart au naufrage de notre État réside dans la masse des citoyens, cette communauté nommée le peuple au nom duquel, mais en définitive contre lequel agit, l’oligarchie qui gouverne. » (p. 485). C’est pour cette raison que les candidats investis de la coalition AAR Sénégal, que nous avons l’honneur de diriger, comptent initier un certain nombre de réformes, pour briser les chaînes de l’inféodation de l’Assemblée nationale à l’Exécutif notamment en rendant effectif et efficace le contrôle des actions du gouvernement.
Thierno Alassane Sall est président de la République des Valeurs/Réewum Ngor, tête de la liste nationale de la coalition AAR Sénégal.