À un certain âge la vérité prime sur tout. Un octogénaire ne cherche plus à plaire. Il rassure plutôt. Ce privilège rare lui confère légitimité et authenticité d’autant qu’il ne court plus après les honneurs. D’ailleurs, ses jambes de vingt ans sont passées de mode. Alors pourquoi devrions-nous prêter une attention soutenue aux propos rares de ces gens surtout quand la sagesse les habite ?
Dans le fracas des bruits ambiants, leur fragilité physique se compense par la force de leur vécu, incomparable, pour faire autorité. Ces dernières semaines, d’éminentes personnalités de cette classe d’âge doublées d’une moralité irréprochable, ont senti le besoin d’alerter pour retourner des situations qui se dégradent. Elles sont volontairement en retrait.
Pour autant, elles ne se détachent pas de la société dont elles observent les évolutions non sans inquiétude. De Touba à Tivaouane, en passant par Kaolack Ndiassane ou Pire, les foyers religieux ont puissamment insisté sur les fléaux qui guettent le Sénégal. Par des canaux divers, ils n’ont pas manqué de dire leur fait aux hommes politiques, les appelant à la mesure, à la décence et au sens des responsabilités. Qu’ils soient du pouvoir ou de l’opposition, le Sénégal transcende leur égo et leur projet.
Personne ne peut faire le Sénégal seul, disent-ils. Mais le pays demeure un chantier permanent. Les guides ont invité les politiques à éviter les paralysies tout en ayant le souci de préserver la communauté des valeurs auxquelles restent attachés les Sénégalais.
Ces gens du grand âge, dotés de grande maturité, s’inquiètent du recours abusif à la parole publique pour s’exprimer même sur des sujets insignifiants. Ce fréquent usage, répétitif de surcroît, appauvrit le message à transmettre, si bien que l’intérêt d’écoute décroît pour ne donner lieu qu’à du verbiage.
Le piège de la parole libre, loin de pousser à plus de retenue, se referme sur les adeptes du dévergondage dont les conduites licencieuses finissent par s’imposer. Les écarts extrêmes s’affichent sans gêne. Dans le même mouvement, les normes sont piétinées. Place au libertinage effronté qui ne choque plus, ne heurte plus. Plus grave, la société s’en accommode par un ruineux effet d’accoutumance.
C’est à croire que le pays glisse sur des pentes abruptes vers des profondeurs abyssales. Alors personne ne s’en plaint ? Si. Les autorités morales pourfendent la grande fantaisie. Elles subordonnent ce relâchement à l’indifférence ou à l’empressement. Elles semblent pointer du doigt l’esprit d’accaparement qui s’étend au détriment des vertus solidaires qui, elles, se rétrécissent comme peau de chagrin. Cela en dit long sur l’état mental et psychologique des Sénégalais.
L’irresponsabilité illimitée s’installe à petit feu. Ses effets se font déjà sentir. A chaque crise que traverse le pays, les ruptures d’équilibre transparaissent. Les uns se réfugient dans l’invective, les autres se résignent, d’autres encore sont dans la fuite en avant et certains continuant toujours de « défendre l’indéfendable… »
Un tel fractionnement des attitudes menace la cohésion de la nation. Elle s’affaiblit à chaque fois que les velléités communautaristes se fortifient. Or la montée des intolérances creuse un fossé qui, si l’on y prend garde, ira en s’approfondissant alors que la société sénégalaise était jusque-là assise sur de solides fondations. Celles-ci demeurent intactes, il est vrai. Mais résisteront-elles aux flétrissures actuelles ?
Après tout, ce sont des souillures qui se soignent comme des blessures en s’attaquant à la racine du mal. Cependant certaines radicalités politiques ne s’expliquent que rapportées aux perspectives qui s’annoncent.
En 2023, donc bien avant 2035, l’exploitation effective des ressources d’hydrocarbures prépare le Sénégal à changer d’échelle de valeur. Les potentialités qu’il détient constituent des richesses en puissance si la conjoncture actuelle se poursuit. La Russie et l’Ukraine empoignent le monde avec la guerre qu’elles se livrent sans merci.
Ce conflit, lointain, bouleverse le monde et perturbe le fonctionnement de l’économie dont le modèle se réorganise suivant des paramètres inédits : stocks de blé, transports ferroviaire ou fluvial en relance, déviations maritimes et difficile adaptation aux contraintes d’un marché déboussolé.
L’Occident apporte certes un soutien mou et implicite à l’Ukraine mais se méfie de la Russie dont il redoute la puissance de feu et l’orgueil national. En outre, l’invasion russe est mieux comprise en Chine qui ne se désintéresse pas des évolutions géostratégiques en cours.
Pékin et Moscou même combat ? En se fortifiant dans l’épreuve, l’axe russo-chinois pourrait contrebalancer la domination de l’Occident d’autant que les mesures d’embargo sont de peu d’effet sur l’économie de la Russie qui, très vite s’est adaptée en se surpassant au grand étonnement des dirigeants du G7 présentement réunis en Allemagne.
À ce banquet du monde dit « libre », le Sénégal et l’Afrique sont adoubés. Le continent pourrait à terme être perçu comme une alternative si le conflit en Ukraine s’enlise dans la durée. Du coup les présidents Biden des Etats-Unis et Macron de la France, tout comme le chancelier allemand Olaf Scholz militent pour un renversement de perspective.
En un mot : diversifier les sources d’approvisionnement pour échapper au diktat du président Poutine. Selon eux, il urge d’agir vite. Car l’hiver approche à grands pas. Un renchérissement des prix des énergies fossile est à l’ordre du jour. Les Russes veulent faire du gaz et du pétrole de redoutables armes de négociation. Ce que comprenant, les Occidentaux s’attèlent à contourner pour assurer des livraisons sûre quoique coûteuse. Les consommateurs sont des électeurs dont le sens du vote est tributaire de l’épaisseur du porte-monnaie.
Ainsi, le Sénégal se présente comme une alléchante source d’énergie, avantagé en outre par sa proximité géographique et la qualité de ses matières premières classées « rang mondial ».