En analysant le répertoire de certaines requêtes introduites devant les Juges par une frange de l’opposition ces temps derniers, on a parfois le sentiment que le droit semble pris en otage par des procédures qui me semble-t-il sont, à la limite, intempestives voire abusives.
Je pense honnêtement que notre démocratie pourrait bien se passer de certaines, sans aucun préjudice pour elle. Je pense surtout aux procédures engagées concernant le processus électoral, soit devant la Cour suprême ou auprès du Conseil constitutionnel. Il en est ainsi de celles portées par les avocats sénégalais dits du Barreau de Paris opérant localement, Me Abdoulaye Tine, Me Moussa Diop.
La dernière requête de l’avocat Tine devant la Cour suprême nous conforte dans l’idée que son savoir-faire technique en droit, son savoir en la matière et ses connaissances que je ne conteste pas au demeurant, ne se reflètent pas hélas dans la toute pertinence de ses derniers recours. Les magistrats perspicaces qu’ils sont, ont censuré à juste raison les divagations juridiques non fondées.
Que dire donc à ce vaillant avocat de Paris lorsqu’il tente de faire valoir dans ses conclusions l’idée selon laquelle la loi sur le parrainage n’existe plus, du seul fait de l’arrêt de la Justice communautaire. Selon sa compréhension du droit, la décision de la Cour de la CEDEAO aurait de jure ou de facto anéanti la loi sur le parrainage. Ce raisonnement est juste étonnant, simpliste et se situe tout à fait hors du Droit public.
En effet, la décision s’adresse aux capacités législatives de l’Etat sénégalais et non aux Juges, selon une implication fonctionnelle de la séparation des pouvoirs. Cette confusion a certainement conduit Me Tine à se tromper de cas d’ouverture de recours, qui auraient pu être l’engagement de la responsabilité de l’Etat du fait d’un dysfonctionnement peut être législatif, une hypothèse d’école et une suggestion dans la pratique de son métier. Je le répète, l’arrêt de la CEDEAO met à la charge du gouvernement sénégalais, une indication qu’il faudra certainement analyser en tenant compte de la vision de gouvernance du processus électoral avec ses contraintes et nécessités de rationalisation. Pour le Juge sénégalais, c’est toujours l’application des règles du droit positif telles qu’elles procèdent du législateur, le magistrat étant soumis à l’autorité de la loi en vigueur, comportant entre autres les écritures actuelles du code électoral.
La Cour suprême en se prononçant par un rejet, a ainsi rappelé son rôle de gardien éminent de la bonne application de la règle de droit, en précisant dans sa motivation que le parrainage en tant que tel, ne saurait constituer un obstacle au droit pour chaque sénégalais qui le souhaiterait de candidater à une élection.
Le problème avec Me Tine, ce ne sont point ses compétences d’avocat qui sont en cause mais surtout sa propension à habiller ses convictions en autant de recours de contestation de l’ordre juridique bien établi. Faudra bien un jour qu’il apprenne davantage à fixer la frontière entre ses idées politiques personnelles et les principes juridiques qui sont de nature impersonnelle.
J’ai encore souvenance des propos de Me Mamadou Lô, alors qu’il était candidat présenté par un groupe de la société civile à l’élection présidentielle de 1993. Le candidat Lô, que j’ai eu le bonheur d’avoir comme assistant en droit public à l’UCAD, disait à l’époque du parrainage appliqué aux candidats indépendants, donc à lui : « je suis conscient d’avoir subi en tant que candidat de la société civile une discrimination inadmissible. J’en suis outré. Toutefois, je considère que le combat dont il s’agit ici est d’abord une lutte politique avant d’être une affaire de procédure judiciaire. Un jour le peuple va l’engager pour mettre fin à cette discrimination« .
Me Lô, comme vous l’aviez prédit et souhaité, le peuple a engagé ce combat contre la discrimination et l’a gagné. Hélas, ce fut en votre absence de ce monde, vous pouvez dormir du sommeil apaisé des justes. L’avocat ne savait pas à quel point il avait raison de parler comme il l’avait fait. Lui, ne confondait nullement le combat politique et les procédures judiciaires. Dans la plupart des cas où de telles procédures sont engagées chez nous, elles ont souvent pour finalité de tenter de jeter le discrédit sur la Justice, en tentant d’accréditer dans les esprits, l’idée que la Justice est couchée devant l’Exécutif qui lui dicterait sa loi.
Me Tine ne partage certainement pas le raisonnement de son devancier Me Lô, qui était d’un profond sentiment d’idéal démocratique. Il est manifestement plus proche de la perspective dessinée dans la publication des 51 universitaires qui se sont autoproclamés protecteur de la pureté du droit et ont imprudemment déclaré la fin de l’Etat de droit au Sénégal. Heureusement, ces universitaires parlent de la pureté du « droit qu’ils enseignent ». La question est de savoir de quelle qualité scientifique et pédagogique peuvent-ils se prévaloir quant à leurs enseignements. Je suis dubitatif face à cette interrogation, car je pense, ici, à notre maître, Babacar Kanté cité dans son texte par le RUR dans sa publication réservée aux 51 universitaires, toujours les mêmes, quand le professeur Kanté mettait en garde contre « les gros risques pour le juriste de faire du droit en ayant des arriérés politiques ».
Devant le Juge, professionnel impartial du droit, les plaideurs téméraires des affaires politiques échouent très souvent, un échec normal et inévitable par inexactitude juridique de leurs arguments altérés par la surcharge politicienne.
À ce propos, j’ai souvenance de la procédure initiée en avril 1992 par le PDS de Me Wade contre le parti socialiste (PS), aux fins de dissoudre le parti à l’époque au pouvoir. À l’appui de leur demande, les avocats du PDS voyaient dans l’appui du Parti communiste chinois sous forme de dons en ballons et filets de cage destinés aux équipes navétanes, un financement étranger d’un parti politique. Mon frère, Me Amadou Sall, pourrait en faire témoignage, j’écrivais dans un texte publié dans Sud que la procédure du PDS était vicieuse et démagogique, car n’ayant d’autre motif que de tenter de discréditer la Justice.
En mélangeant les genres juridiques et politiques, on essaie de chercher un éventuel succès dans le bénéfice de la confusion, seulement la perspicacité des Juges aidera toujours à la dissipation et au discernement dans la jungle des recours.
La crédibilité des Juges, sur le fondement de leur pratique conforme d’application de la loi, voilà ma pensée, il y a une trentaine d’années, la même en 2022 face aux procédures abusives en temps d’élections.