Le dernier code du travail Sénégalais a plus de 24 ans. Afin d’apporter ma contribution au débat posé en termes d’opportunité de la réforme envisagée, il importe tout d’abord de rappeler la chronologie des péripéties qui ont jalonné l’avènement du corpus juridico réglementaire qui a régi le rapport Capital/Travail à travers le monde, avant de faire quelques propositions subséquentes relatives aux différents aspects envisagés par ladite réforme.
Rappel historique
L’évolution de la pensée économique montre que toutes les théories y relatives sont basées sur la logique de fructification unilatérale et exclusive du Capital en omettant son rapport dialectique avec le Travail dans cette dynamique. En effet, Capital et Travail sont étroitement liés et forment un couple inéluctablement associé pour tout système économique.
La nature du rapport Capital-Travail couramment appelé relations de travail, impose l’impérieuse nécessité de réguler celui-ci en vue d’aboutir à la paix, à la stabilité et au progrès économique et social tant il est avéré que la domination absolue du Capital sur le travail a, depuis l’aube des temps, impacté négativement l’humanité dans sa longue marche vers le progrès.
Dès lors, on peut se demander si la réforme d’une réglementation du travail, doit être guidée par le seul but de renforcer la domination du Capital sur le Travail ?
Pour répondre à cette question il est essentiel de préciser au demeurant que la domination absolue du Capital sur le Travail et ses tentatives expansives ont fortement participé à l’avènement de toutes les calamités sociales auxquelles l’humanité a été confrontée : travail forcé, esclavage, colonisation, guerres mondiales etc.
Par conséquent, la paix universelle dépend en grande partie de la stabilité des relations de travail à travers le monde. C’est l’une des raisons pour lesquelles, le traité de Versailles, issu de la conférence convoquée pour mettre fin officiellement à la première guerre mondiale a considéré que sans justice sociale, il n’y a point de paix ni de stabilité. Ce même traité a créé la Société Des Nations (SDN), devenue plus tard l’Organisation des Nations Unis (ONU), ainsi que l’OIT (l’Organisation Internationale du Travail), institution tripartite de l’ONU qui a pour mission essentielle la gestion normative des relations de travail au plan international.
Dans la même veine, la déclaration de Philadelphie, texte fondamental de l’OIT, est assez explicite sur les conséquences dangereuses de la marchandisation du travail et sur la nécessité de réguler la forte tentation du capital à aller dans ce sens. Selon l’académie de Poitiers (France), la Révolution française de 1789 est issue de la conjugaison de deux événements : les luttes ouvrières pour de meilleures conditions de travail et salariales parties de Paris et celles politiques contre la monarchie absolue déclenchées à Grenoble.
D’aucuns pensent que les idéologies politiques sont l’émanation du rapport Capital-Travail : celles alliées stratégiques du capital et œuvrant pour son renforcement, sont situées à droite du couple et dénommées idéologies capitalistes ou de « droite ». Les idéologies alliées et soutien du travail, situées à gauche du couple, côté Travail, l’accompagnant dans ses luttes, œuvrant pour son renforcement, sont appelées idéologies socialistes ou de « gauche ». En d’autres termes, le rapport Capital/Travail a donné naissance aux idéologies politiques capitalistes et socialistes. Comme partout ailleurs, les différents codes et réglementations du travail dont s’est doté notre pays, rentrent dans le cadre de l’évolution historique des relations de travail et de la nécessaire régulation de celles-ci, et sont les fruits de luttes telles que la grève des cheminots entre autres.
Du code colonial du 15 décembre 1952 régissant les territoires associés relevant du Ministère de la France d’Outre-Mer, jusqu’à celui en vigueur, datant du 1er décembre 1997, en passant par le code du 15 juin 1961 au lendemain des indépendances, et celui de 1994, notre pays s’est forgé une solide expérience de gestion des relations professionnelles.
Pour une réforme pertinente de l’actuel code, il faudrait en conséquence tenir compte des acquis sociaux et de la stabilité économique et sociale capitalisés, qui expliquent sans doute sa relative longévité. Toutefois cela ne saurait occulter la remise en cause de certains de ses aspects en fonction de l’évolution du contexte local et mondial. De ce point de vue, il nous semble approprié, d’aborder la réflexion dans les deux sens : remise en cause puis consolidation-parachèvement.
Dans le premier cas, il s’agit de flexibiliser le code du travail que d’aucuns jugent contraignant pour une économie en mutation. Pour le second cas, beaucoup d’acquis contenus dans le code restent à être mis en application. Il est nécessaire de les consolider et de les mettre en exécution. De même il est important de relever que l’évaluation d’un instrument juridique ou d’un cadre réglementaire inachevé ne pourrait être exhaustive, sachant surtout que tous les décrets d’application relatifs à l’actuel code du travail n’ont pas encore été élaborés et édictés.
Aspirations à davantage de flexibilité Possibilité de renouveler pendant cinq (5) ans des contrats de travail à durée déterminée (CDD). Pour tout licenciement pour raison économique, l’autorisation préalable de l’Inspecteur du Travail n’est pas requise
– Dérogations édictées dans l’article L41 : « Un contrat de travail passé pour l’exécution d’un ouvrage déterminé ou la réalisation d’une entreprise dont la durée ne peut être préalablement évaluée avec précision, est assimilé à un contrat à durée déterminée ».
-Un contrat dont le terme est subordonné à un événement futur et certain dont la date n’est pas exactement connue, est également assimilé à un contrat à durée déterminée. »
Le groupe des bailleurs de fonds et leurs alliés (investisseurs, capitaine d’industrie et organisations patronales) pensent que le code du travail demeure trop contraignant sous sa forme actuelle et ciblent la révision des dispositions des articles suivants :
L42 qui stipule qu’aucun travailleur ne peut conclure avec la même entreprise plus de deux contrats à durée déterminée, ni renouveler plus d’une fois un contrat à durée déterminée, malgré ses dispositions dérogatoires dans l’alinéa 2, stipulant que « Les dispositions ci-dessus ne s’appliquent pas :
1. Au travailleur engagé à l’heure ou à la journée pour une occupation de courte durée n’excédant pas une journée ;
2. Au travailleur saisonnier engagé pour la durée d’une campagne agricole, commerciale, industrielle ou artisanale ;
3. Au docker engagé pour des travaux de manutention à exécuter à l’intérieur de l’enceinte des ports ;
4. Au docker engagé en complément d’effectif pour exécuter des travaux nés d’un surcroît d’activités de l’entreprise ;
5. Au travailleur engagé pour assurer le remplacement provisoire d’un travailleur de l’entreprise en suspension légale de contrat de travail, telle que définie par l’article L.70, à l’exception du 1°) et du 6°). Les conditions d’emploi des travailleurs susmentionnés et les modalités d’application du présent article sont fixées par décret.
L46 qui interdit de recourir à un contrat à durée déterminée dans les six (06) mois qui suivent le licenciement pour motif économique en ce qui concerne les postes supprimés à la suite de ce licenciement.
L214 qui conditionne le licenciement du délégué du personnel à l’autorisation préalable de l’inspecteur du travail et les différents recours y afférents. La liste des intentions de remise en cause des contraintes du code du travail n’est pas exhaustive, car elle vise aussi les libertés syndicales, l’accroissement des compétences des délégués, l’allégement des procédures de licenciement et des coûts des indemnités, des dommages et intérêts en cas de condamnation de l’employeur. Toutes choses qui concourent à la flexibilité escomptée.
La remise en cause du code du travail dans le sens de la flexibilité de l’emploi, dans un contexte de protection sociale précaire, ne réduit-elle pas le travail à l’état de marchandise ?
Dans le débat sur la flexibilité, notre centrale la Cnts/FC attend des réponses précises à cette question
Les tendances qui se dégagent dans les relations de travail à travers le monde nous renseignent qu’un pays comme le nôtre, loin du plein emploi et de la protection sociale intégrale pour toutes les catégories de travailleurs, a d’autres priorités que la flexibilité.
En effet dans la presque totalité des pays du nord, les relations de travail ont atteint un niveau acceptable dans le sens du progrès social, ce qui ne les dispense de faire face à des revendications, car tant que tourneront les machines, naitront des revendications. Les plateformes revendicatives des syndicats du nord mettent l’accent sur la réduction du temps de travail et de la durée de la carrière, de même que sur l’amélioration des revenus et des systèmes de protection sociale. Dans nos pays, nous revendiquons l’allongement de la durée de la carrière et du temps de travail (plus d’heures supplémentaires à cause du faible pouvoir d’achat). Dans le cadre de la protection sociale, nous revendiquons le minimum, c’est-à-dire l’obtention du socle de protection social pour les travailleurs du secteur formel qui ne représentent que vingt pour cent (20%) des masses laborieuses. Ce socle est un minimum de protection sociale qui n’est pas encore acquis pour tous les ayants droit, ni étendu aux quatre-vingt pour cent (80%) autres des travailleurs du secteur de l’économie informelle et ceux dits atypiques. Le constat qui se dégage est sans équivoque : au nord, le système de protection sociale est intégral y compris l’allocation de chômage, le travail décent est en voie d’être une réalité. Tandis que chez nous, nous sommes encore au stade de socle minimum en matière de protection sociale, loin d’un système de sécurité sociale intégrale, l’indemnité de chômage est un rêve, le travail qui se raréfie n’est pas du tout décent, si l’on considère la définition de l’OIT. Les travailleurs ne sont pas enthousiastes d’aller à la retraite du fait de la faiblesse du niveau des pensions. Le travail atypique constitue le refuge de la plupart des sans-emplois, plaçant ceux qui l’exercent en marge de la protection sociale, puisque celle-ci est conçue dans le contexte de salariat formalisé. Si l’actuel code a une longévité relative de plus de vingt-quatre (24) ans, c’est parce qu’il a su assurer un certain équilibre entre l’épanouissement économique des entreprises et la protection des salariés. Cet aspect d’une réglementation du rapport Capital/Travail est d’une haute importance à préserver, car la réforme d’une réglementation du travail ne saurait se justifier quasi exclusivement par l’amélioration de l’environnement des affaires et le souci de compétitivité.
Quels sont, les évènements déterminants qui conditionnent la réforme d’une réglementation des relations de travail ?
-Une évolution durable du contexte économique bien comprise par les partenaires sociaux dans le cadre du dialogue social, peut aboutir à une réforme d’un code du travail ou d’une réglementation de relations professionnelles, selon les circonstances ;
-Un contexte socioéconomique difficile, mal appréhendé par les tenants du capital et du pouvoir politique pour y apporter des solutions, fini par aboutir à une révolte ouvrière pour obtenir les réformes escomptées. Au regard des tendances qui se dégagent dans la conception du rapport Capital/Travail, la force de travail est en train d’être reconsidérée, si les changements conceptuels ayant trait à la gestion de la force de travail correspondent à une réelle volonté politique au sein de l’entreprise.
En effet, nous sommes passés du « chef du personnel » au « Directeur des ressources humaines » (DRH). La notion de Direction du capital humain (DCH) est entrain de reléguer progressivement celle de DRH au second plan. Ce dernier vocable érige la force de Travail au rang de Capital qui était la seule ressource déterminante dans l’esprit capitaliste.
Dans cette logique et dans le cadre d’un dialogue social efficient, nous travailleurs, pouvons envisager une réforme qui vise, entre autres, la prise de tous les décrets d’application et la révision des articles ci-après :
L42 : …… pour intégrer dans l’indemnité de fin de contrat à durée déterminée le cumul des contrats successifs à durée déterminée.
L126 : …… pour porter la prescription à 10 ans des droits dus au travailleur définis dans cet article.
L128 : …… pour porter la prescription à 15 ans les dispositions de L128.
L244 : …… pour dispenser aux mandataires syndicaux d’être constitués par écrit et agréés systématiquement par le Président du Tribunal, pour chaque affaire.
L245 : réformes souhaitées : la liste des mandataires syndicaux est fixée par arrêté du Ministre en charge du travail sur proposition des centrales syndicales. Le ministre du travail délivre à cet effet, une carte de mandataire syndical et transmet l’arrêté portant agrément des mandataires syndicaux au ministre de la justice à charge de ce dernier de le transmettre aux juridictions du travail.
L246 : que la compétence du retrait ou du refus de l’agrément soit dévolue au Ministre du travail pour les cas visés par le présent article.
L260 : Modification souhaitée du premier alinéa : « le jugement peut ordonner l’exécution immédiate, nonobstant opposition ou appel par provision, et avec dispense de caution jusqu’à une somme ne pouvant excéder de trente fois le montant mensuel SMIG ». Même s’il est établi que l’actuel code du travail a été acquis de hautes luttes syndicales, il va de soi que les organisations syndicales ne sauraient garder ad vitam aeternam des positions figées car l’évolution des systèmes économiques concerne au même titre le Capital et le Travail. La vraie problématique pour nous, demeure l’équité dans la redistribution des richesses produites par le couple (Capital- Travail). De ce point de vue, la remise en cause du code du travail actuel pour sa flexibilité ne peut être décrétée et conçue en dehors des paradigmes du travail décent, le cas échéant, elle se heurterait à l’action syndicale. Par contre, des relations de travail efficientes basées sur des systèmes de protection sociale intégrale et le plein emploi dans le cadre du travail décent, pourraient faire aboutir à la flexibilité souhaitée. C’est la raison pour laquelle, nous gagnerions tous à créer les conditions d’un dialogue social porteur de progrès.
Par Cheikh DIOP
Secrétaire Général DE LA Cnts/FC