«Les Anglais forment le seul Peuple du monde qui le mieux a su se prévaloir à la fois de ces trois grandes choses : la religion, le commerce et la liberté», dit Montesquieu. On pourrait y ajouter aussi de l’ouverture aux autres cultures et civilisations.
La nomination de Pap Ndiaye à la tête du ministère de l’Education nationale en France n’a pas encore cessé de créer des vagues et polémiques alors que de l’autre côté de la Manche, trois parmi les prétendants à la course pour remplacer le Premier ministre Boris Johnson, sont d’origine étrangère. Ces candidats au 10 Downing Street sont jugés sur leurs idées, pas sur leurs croyances ou leurs origines. Imaginez si le scenario se présentait de l’autre côté de la Manche où l’on joue à se faire peur avec l’Islam, où un simple voile fait trembler la République. Et où l’intégration n’est jamais achevée aussi bien comme débat que comme processus.
Les Britanniques sont comme les Américains, qui ont élu Obama dont le père n’est même pas américain. En Grande Bretagne, on ne demande pas à des Britanniques d’origine étrangère de s’assimiler ou de s’intégrer, puisqu’ils sont britanniques. Cette politique intelligente, ouverte et généreuse, a produit une ministre de l’Intérieur, Priti Patel, originaire d’Inde et d’Ouganda, Rishi Sunak, ministre des Finances, originaire du Kenya et du Penjab, Sajid Savid, ministre de la Santé, originaire du Pakistan comme le maire de Londres, Sadiq Khan. Personne à Londres ne discute du sexe des anges comme le grand remplacement ou d’invasion indienne. En France, une politique contraire fondée sur la rente de la peur a produit Zemmour et la normalisation et la banalisation des extrêmes gauche et droite. La différence est fondamentale entre les deux pays.
La Grande Bretagne assume son passé colonial alors que la France le refoule. Pap Ndiaye est une forme de caution de la diversité alors que Sunak incarne une société qui se fonde sur l’acceptation de la diversité. En France, on renvoie Pap Ndiaye à ses origines alors qu’en Grande Bretagne, point de débat sur celles de Sunak qui est tellement british qu’il en incarne le conservatisme. L’histoire montre que les grandes nations ont toujours été ouvertes et généreuses envers les minorités et les étrangers. La France l’a été quand elle a incarné l’idée d’une universalisation de la République et de la liberté. Après, le flambeau est passé aux Etats-Unis. N’importe qui peut devenir américain ou britannique mais qui peut devenir chinois ou japonais ? En voyant Rishi Sunak qui a toutes les chances d’être Premier ministre de sa Majesté, on comprend pourquoi Montesquieu était fasciné par les Anglais.
Aujourd’hui encore, l’Angleterre fascine le monde. Comment la mère des démocraties s’épanouit encore harmonieusement dans une monarchie ? Comment la monarchie britannique a-t-elle pu survivre aux révolutions et guerres, surtout à la Première guerre mondiale, qui a fait disparaitre les deux autres grandes monarchies européennes, à savoir le Reich allemand et l’empire russe ?
Comment une monarchie presque millénaire peut-elle être si archaïque dans ses rites et rituels et être à l’origine de la modernité et de l’innovation comme la révolution industrielle ? Comment on peut être si attaché à l’égalité comme les Anglais et accepter de si bonne grâce la monarchie, qui est une société «d’ordres et de classes» ?
L’Angleterre est un miracle politique qui dure depuis des siècles, comme le poste de Premier ministre, né d’un accident politique de l’histoire anglaise et qui est devenu tellement indispensable, pour ne pas dire naturel, autant pour les républiques que les monarchies.
Ce qui fait la plus grande force de l’Angleterre est la plus grande faiblesse de notre démocratie : un consensus sur les règles du jeu parce que la politique est une affaire de gentlemen, pas de gladiateurs. Cette conception de la politique comme une affaire de gentlemen est incarnée par la table qui sépare le Premier ministre et le chef de l’opposition, pour montrer que passer d’un côté à l’autre est naturel.