Je ne suis pas très fan des distinctions individuelles dans les sports collectifs. Mais la tienne, incontestable et amplement méritée fera plaisir à ceux et celles qui n’aiment pas l’injustice ! À l’heure actuelle, tu es le plus capé des entraineurs de l’histoire de notre football. Et, je crois que tu es certainement un des meilleurs entraineurs africains de ces dix dernières années : avec constance et régularité, tu as réalisé une des plus fortes progressions d’une équipe nationale au niveau mondial, dans le classement FIFA des années 2000.
Quand tu prenais l’équipe, le Sénégal était dans la 3ème division mondiale, on faisait les rencontres préliminaires aux qualifications pour la Coupe du monde. Décembre 2015, (après un de ce genre de match contre Madagascar) on descend, 6ème africain et 44ème mondial. Aujourd’hui, le Sénégal est à la 18ème place mondiale et reste la première nation africaine depuis 2016. Un record !
Le 20 novembre 2021, le journal « Quotidien » écrivait : « Le Sénégal a battu, ce vendredi 19 novembre, le record de longévité à la première place du classement Fifa/zone Afrique, en y étant resté depuis 36 mois, contre 35 pour la Côte d’Ivoire. Les Lions du Sénégal ont décroché cette place depuis novembre 2018, lorsqu’ils ont détrôné les Aigles de Carthage ».
Respect à toi et ton staff ! Nous les supporteurs et certaines autorités, ne vous concédons que rarement des circonstances atténuantes suite à un résultat que nous estimons « décevant » : match nul ou victoire « sans la manière » … Souvent, convaincus par différents éléments d’évaluation aussi relatifs les uns que les autres (talents individuels dans l’équipe, passé ou parcours glorieux dans certaines compétitions, présence de joueurs évoluant dans les championnats européens…), nous devenons subitement de très grands experts et, nous mettons à vous donner des leçons sur ce qu’il fallait faire pour … éviter le prétendu « mauvais résultat ». L’humilité ne semble pas être notre point fort. Dans ce domaine aux antipodes des sciences exactes, un plus un n’étant pas toujours égal à deux, tu auras contribué à convaincre les amoureux du football « qu’il n’y a pas de solution miracle, sinon, tout le monde la copierait ! » (Claude Onesta).
Tu le répètes assez souvent, « dans le haut niveau, le résultat est l’essence, la manière est une option », donc un choix du décideur technique. Fort de ton expérience de joueur de haut niveau (championnat français, puis premier footballeur sénégalais en Angleterre) et, de ton parcours avec l’équipe des JO de Londres 2012, tu as bien vite « décidé » en mettant en pratique l’idée que, la meilleure manière d’avoir un bon résultat, c’est d’abord, ne pas prendre de but ou d’en prendre le moins possible. Tu en as fais ton crédo. C’est une réussite en termes de résultats. Ce n’est pas du tout un hasard. Oui, à l’analyse du système dirigeant de l’équipe nationale A, je me rends compte que, tu y es la seule et unique variable depuis des années. Toutes les autres composantes sont des constantes, bien en place avant ta prise de fonction. On ne le dit pas souvent malgré la prégnance. Dommage !
Ceci dit, je crois que des leçons de vie et des enseignements doivent être tirées de ton parcours.
Premier enseignement. Ton équipe nous a permis de vivre un événement qui en a dérouté plus d’un : une véritable manifestation d’amour d’un peuple à son équipe nationale, au retour d’une finale de CAN perdue face à l’Algérie, en 2019. L’équipe a eu droit à un superbe accueil, peut-être pas de joie, mais de reconnaissance envers le travail accompli. Accueil surtout d’espoir pour l’avenir. Devant la presse tu avais sorti ces mots : « Nous sommes très heureux de revenir au pays, mais on aurait aimé ramener la coupe pour ce peuple, ces supporters… Les joueurs se sont donnés à fond, c’est un honneur pour moi d’entraîner ces garçons ».
Cet accueil sonnait comme un signe de maturité des jeunes qui claironnaient en chœur, en direction du Palais de la République, « pas de découragement ! ». C’était clair ! Il s’agissait d’un appel à mieux faire. L’icône nationale, encore récompensée (deuxième Ballon d’or de suite, félicitation pour la constance), Sadio Mané pouvait donc dire : « la chance ne nous a pas souri, mais j’espère que ça sera pour la prochaine fois » et, Augustin Senghor promettait tout haut : « On ne va pas abdiquer, la prochaine fois, on ira la chercher ». Cet accueil aura été une surprise pour ceux qui espéraient un remake des « chaos » d’après CAN. Mais la population jeune surtout, spontanément sortie en masse des quartiers et des maisons a déjoué tous les pronostics en ce sens. Elle a fait comprendre aux joueurs, au staff, aux dirigeants et à l’autorité politique que le travail était bon et, qu’on n’était pas loin du but. Message compris et exécuté à la lettre par ton groupe : la CAN suivante a été sénégalaise. Ainsi, avec tes joueurs tu nous as rappelé une règle de base : victoire et défaite sont consubstantielles au sport.
Deuxième enseignement. Ton travail a dessillé nos yeux et nous a permis d’avoir une meilleure compréhension de ce qu’est un coach au regard de ta grande capacité de résilience. Le sport d’aujourd’hui, ce n’est pas seulement le muscle et le talent. C’est aussi se mettre au service d’un projet avec un leader possédant la légitimité nécessaire pour faire adhérer tout un groupe, quelle que soient les origines des membres. Oui, tu as conduit tes joueurs vers une victoire attendue par tout un peuple. Tu n’en perds pas le nord pour autant, ta lucidité te fais souvent répéter que, « rien n’est plus important que ce qui reste à gagner, la victoire d’un jour est effacée dès le lendemain ». Oui Aliou, ton extraordinaire capacité à faire face à l’adversité en a charmé plus d’un. La parole au journaliste Majib Séne. Juste après le sacre des Lions du Sénégal au Cameroun, il signe un papier intitulé, « Aliou Cissé ou le prix de la persévérance ». Extraits : « Les sénégalais, dans leur majorité, traînent derrière eux, un paradoxe presque congénital … ; Aliou Cissé ne me démentira pas, lui qui a été traîné dans la boue depuis qu’il est à la tête de l’équipe nationale…. Que n’a-t-il pas entendu de propos désagréables, d’invectives désobligeantes, de menaces … Certes, il n’avait rien gagné mais son équipe est classée première en Afrique …. la force de cet entraîneur, réside dans son refus de toute polémique et des débats contradictoires qui posent souvent plus de problèmes qu’ils ne donnent de solutions…, il n’a renié aucune tranche de ses convictions, ni sur le plan technique, ni sur le plan tactique, préférant travailler sans relâche avec la foi des bâtisseurs d’empires. Avec un courage de granit et une persévérance étonnante, il a eu le résultat … Porté au pinacle par ceux qui le jetaient aux gémonies. Il peut maintenant bomber le torse et fièrement devant ses détracteurs d’hier, devenus depuis la victoire, d’étonnants laudateurs. Modeste dans le triomphe, philosophe devant les critiques et indulgent devant ses massacreurs semblables à ceux de la Saint Barthélemy, il chemine droit avec la promesse de toujours bien faire. Cette coupe d’Afrique qu’il vient de nous offrir, restera éternellement gravée dans les mémoires, car elle est l’œuvre d’un technicien authentiquement sénégalais, en plus d’être le premier du genre. De l’indépendance à nos jours, au moins plus d’une douzaine de techniciens appelés sorciers blancs ont été engagés, mais personne parmi eux n’a jamais rien gagné … ».
Pour toutes ces raisons, Aliou, tu mérites « d’être raconté » dans ton travail, dans tes méthodes, tes résultats et ta capacité à faire face, pour ne pas dire ta résilience, en dépit du fait que, « souvent les gens ne veulent pas voir ou entendre la vérité parce qu’ils ne veulent pas que leurs illusions soient détruites » (Friedrich Nietzche). En attendant bravo aussi à Régis, Tony, Teddy, Lamine et les autres pour avoir bâti avec toi cette redoutable machine, difficile à manœuvrer pour les adversaires et qui a aussi reçu une distinction : meilleure Sélection africaine de l’année …
Bonne chance pour la suite de ta carrière … Fierté renouvelée !