Il y a un proverbe peul que j’aime bien et qui dit «l’habitude est comme les cheveux, tu as beau raser, ça revient».
Dans notre democratie, la tension politique artificielle pré-électorale et la guerre des chiffres et la contestation post-électorale sont des traditions très solides. C’est pourquoi, malgré les performances de notre Administration, capable d’organiser des élections transparentes et sans contestation depuis 2000 et dont deux sans aucune faute en l’espace de 6 mois, la tradition de tension politique artificielle préélectorale et de contestation postélectorale demeure. Il est évident qu’il ne fallait pas s’attendre à une révolution électorale entre les Locales et les Législatives car, depuis les fameux travaux de Paul Lazarsfeld (People Choice en 1944), on sait que les choix et comportements électoraux sont déterminés par des causes profondes et sont peu susceptibles d’être changés par une campagne électorale ou sur une durée de six mois.
Donc en l’espace de 6 mois entre les deux élections, il est normal que les résultats confirment les tendances lourdes des Locales, d’autant plus qu’entre les deux élections, il n’y a rien de nouveau sous le soleil politique à part la tension politique préélectorale artificielle qui a fait qu’on n’a pas vraiment fermé la page des Locales. Aujourd’hui sur le plan électoral, le Sénégal a réussi le plus difficile en Afrique (avoir un système électoral neutre et performant) qui a tellement fait ses preuves que l’alternance est devenue la respiration naturelle du système démocratique et a réussi de convaincre les Sénégalais qu’il est impossible de truquer des élections. C’est pourquoi personne n’a pris au sérieux les politiciens qui parlent de falsification de résultats.
C’est une injure à Wade et ses 26 ans de croisade contre la fraude électorale. Notre code électoral est le résumé des 26 ans de lutte contre la fraude, qui part des élections de 1983 quand on a voté sans carte d’identité et sans obligation de passer par l’isoloir, à 2000 quand l’Administration a été réduite à un simple travail de logistique le jour des élections.
Aujourd’hui, avec les Etats-Unis, le Sénégal a le code électoral le plus compliqué. Aux Etats-Unis, la complication s’explique par le conservatisme qui résulte de la bonne idée des Américains de sacraliser des pratiques qui remontent à 1776, alors qu’au Sénégal, cela s’explique par le manque de confiance permanent entre les acteurs et le discours élastique selon la station du moment.
Un des grands principes du Droit administratif se fonde sur le principe que l’Administration est de bonne foi. En matière électorale, elle fait preuve de bonne foi devant des politiciens dont la mauvaise foi fait partie des règles du jeu. La fameuse cohabitation, qui est devenue aussi usitée dans le vocabulaire politique que le mot alternance à la fin des années 90, fait aussi partie des règles du jeu démocratique. Comme l’alternance, elle finira par arriver et notre système démocratique et surtout notre Etat sont suffisamment solides pour l’apprivoiser et la dompter, comme ce fut le cas avec les alternances présidentielles, surtout la première quand le Sénégal en 10 jours est passé d’une ère socialiste de 40 ans à une ère libérale, sans couac grâce à notre Administration. Une performance mondiale que nous avons rééditée en 2012 en 7 jours. Le seul chainon manquant à notre democratie est un débat à la hauteur de notre vieille et grande démocratie.
Le débat est le chainon manquant car le Sénégal a cette quiétude intérieure qui voit les rapports de droits se substituer aux rapports de forces et qui est le dénominateur commun de tous les pays qui ont émergé. Cette quiétude qu’on note chez les électeurs le jour du vote et qui contraste avec la tension politique artificielle pré et postélectorale.