Paraphrasant un grand penseur et politologue qui énonçait sans ambages que dans l’opinion courante, les votes ne sont qu’un domaine d’incohérences et de fantaisies, je m’interroge ainsi sur les déterminants sociologiques du vote tel qu’il s’exprime lors des différentes élections et donc des questionnements autour de la sociologie électorale qui reviennent souvent au cœur des débats, surtout suite à la proclamation des résultats issus des élections locales du 23 janvier 2022 dernier.
C’est connu, dans une démocratie, le vote est un élément essentiel et fondateur de l’expression démocratique au point qu’il est absolument nécessaire d’identifier ses différents déterminants et les facteurs relatifs au comportement électoral avec ses paramètres sociaux, culturels, économiques et historiques.
Mais aussi de rappeler que les enquêtes portant sur les comportements électoraux mettent souvent en évidence un certain nombre de variables sociologiques liées aux catégories socio-professionnelles, aux classes d’âge, à la classe sociale, au sexe, à la religion, entre autres variables souvent imbriquées qu’il est difficile d’isoler du fait de possibilités de croisements entre elles.
En effet, les études électorales montrent que l’âge est devenu un indicateur de changement de comportement électoral, notamment chez les jeunes plus enclins à s’inscrire dans le registre du vote contestataire, souvent perçu comme l’expression d’un désaccord dans la déclinaison des politiques publiques qui ne prennent pas suffisamment en compte leurs conditions d’existence, notamment de la lancinante problématique de l’employabilité tant en milieu rural qu’urbain.
A cet égard et malgré ce constat, la mise en évidence de telles variables sociologiques ne doit pas laisser penser que le comportement électoral est le résultat brut d’un déterminisme social qui définit les contours d’un nouvel électeur éclairé faisant son choix en connaissance de cause par opposition à une autre frange peu politisée et inconsciente des enjeux du moment et des mutations en cours.
Sous ce rapport, la volatilité électorale dans le recensement des opinions politiques exprimées diversement traduit de façon éloquente les différentes motivations, souvent enrobées dans des tempéraments politiques au cours d’élections locales ou nationales comme les Législatives ou Présidentielles.
De cette écologie électorale, il découle ainsi un objectif qui vise naturellement à établir des corrélations entre intentions de votes chevillées aux exigences d’une demande sociale et économique prégnante et les offres comme réponses à la hauteur des attentes des populations.
C’est dans ce sillage que la caractérisation synoptique des votes rapportés à leurs référentiels démographiques en zones urbaines ou rurales, devient à la fois sujet et objet d’interprétations parfois subjectives, biaisées et parfois même condescendantes selon l’entendement des uns et des autres dans la qualification desdits votes.
Ainsi donc, au regard de cette duplicité sibylline dans l’analyse par une approche disjonctive des votes référencés en fonction de leurs géographies électorales, certains analystes politiques aigrefins, dans leurs propos sarcastiques, décident de tracer malencontreusement des lignes de démarcation par une stigmatisation entre votes utiles, affectifs, intelligents, etc.
Pour autant, il est aujourd’hui admis que l’économie et ses implications sociales influencent drastiquement le vote, car le citoyen détenteur de son suffrage, dans l’urne, sur la base de son vécu quotidien et de son environnement, exprime volontairement et rationnellement son souhait, son droit civique par une sanction positive ou négative.
D’où la nécessité, dans l’interprétation des statistiques relatives aux résultats électoraux, de tenir compte absolument du croisement des données socio-économiques sur l’ensemble du corps électoral, afin de garder l’objectivité requise dans cet exercice, par une argumentation scientifiquement acceptable à partir d’indicateurs pertinents et crédibles, permettant ainsi d’éviter des jugements de valeurs, d’erreurs de connotation et de caractérisation dans la discrimination des votes.
Dès lors, il devient absurde d’introduire dans la doxa politique, de nouveaux paradigmes qualificatifs de votes inintelligents ou affectifs par euphémisme contre des votes réfléchis dits intelligents, selon les spécificités territoriales d’aires géographiques et identitaires volontairement ciblées.
Cette distinction, ainsi formulée, ne saurait s’accommoder du bon sens, car elle ne tient pas compte des profils ou identifiants des détenteurs desdits votes à travers leurs préoccupations qui sont consubstantielles à un mode de vie, à la typologie des influences et proximités familiales pour le vote en milieu rural, par opposition à d’autres espaces urbains pour lesquels il est péremptoirement conféré une conscience citoyenne plus ancrée parce que plus informée des questions de l’heure avec les problématiques y afférentes.
Ainsi, dans cette géographie électorale, l’analyse de la socialisation politique des citoyens permet de cerner les différentes formes d’encadrement social en distinguant l’effet de voisinage, la pesanteur des normes sociales et de leurs impacts sur les consignes éventuelles adressées, traduisant de facto l’établissement de rapports entre facteurs structurels et conjoncturels des intentions de vote selon la nature du scrutin.
A cet effet, le contrat entre les élites politiques dépositaires des suffrages et les votants, sans être nécessairement synallagmatique, trouve sa signature par l’acte de vote comme symbole garant de la promesse électorale faite à l’électeur dont les préoccupations sont diverses et variées.
Dans les grandes villes, le contrat de confiance est souvent rompu du fait d’un environnement socio-économique lié à des contextes politiques difficiles et, subséquemment, le curseur de la mesure des opinions oscillera toujours entre l’ordre de la réactivité émotionnelle qui élimine un candidat ou un parti à une élection et l’ordre de la raison qui le choisit, finalement dans une incertitude constante, donc de variabilité dans les tendances projetées.
Alors que dans le milieu rural, les préoccupations sont de natures spécifiques et souvent liées à une demande sociale singulière, assujettie souvent à la satisfaction en moyens et facteurs de production dans leurs activités agricoles au sens large, entre autres, ce qui en retour, par devoir de reconnaissance et de fidélité à une promesse faite, rend le vote moins erratique par la relation de confiance entretenue entre le requérant et l’électeur.
C’est dire simplement que le vote est le résultat de plusieurs motivations structurées autour d’une volonté réfléchie et adossées à une logique introspective faite de fidélité à un engagement, à une espérance ou une éthique de convictions, c’est-à-dire l’expression cohérente d’une rationalité dans sa finalité structurante.
Au demeurant, rappelons que le vote rationnel est un concept de la science politique caractérisant le suffrage d’un électeur dont le comportement est guidé par une rationalité fondée sur des convictions objectives découlant d’une bonne lecture de l’offre politique du candidat, de son altruisme, de sa sollicitude constante auprès des populations, donc de son coefficient personnel ou de sa crédibilité.
Or, est rationnel tout ce qui est basé sur la raison, sur l’esprit, avec une cohérence logique dans la mise en œuvre de l’acte projeté.
Alors, la question préjudicielle réside dans le contenu cognitif à mettre dans les convictions objectives qui fondent la rationalité du vote, tant son spectre de motivations reste hétérogène avec une large amplitude centrée autour de plusieurs intérêts non seulement individuels ou collectifs, mais aussi multiformes et variés.
De ce qui précède, il ressort inéluctablement que tout vote est absolument rationnel donc intelligent, c’est-à-dire pourvu de sens, donc de la faculté d’être compris car doué de raison, par conséquent l’aboutissement d’un acte amenant l’électeur à se décider en connaissance de cause.
Cette cause devrait être le soubassement des raisons profondes qui motivent le choix porté sur un candidat ou parti, parce que dépositaire de sa confiance dans la prise en charge de ses intérêts matériels et moraux.
C’est dire que l’intelligence est une autre forme de rationalité dans sa manifestation, en ce sens qu’elle structure une volonté d’agir selon l’acte à poser, ici l’acte de vote inscrit dans un intervalle de confiance dont les marqueurs probabilistes oscillent entre le souhaitable et le possible, en faveur du destinataire de l’espérance déposée.
Ainsi donc, fort de l’ensemble de toutes ces considérations liées au vote dans ses différentes déclinaisons et face au reflux de doctrines éculées y afférentes et enrobées dans des logorrhées que charrient des charlatans politologues et alchimistes de l’écologie électorale, j’en appelle à plus de rigueur scientifique, d’objectivité, de retenue et de respect dans l’analyse de résultats électoraux issus de différents scrutins au cours desquels le vote garde son caractère lunatique selon la nature des élections, qu’elles soient locales, législatives ou présidentielles.
Surtout, en s’abstenant de s’inscrire dans des caractérisations manichéennes, saugrenues, discriminatoires et clivantes, si l’on sait que la sacralité du vote demeurera toujours un mystère dans le secret des urnes.
Mamadou Ndiaye DIA
Ancien Chargé de Programmes UNESCO
Conseiller municipal
Commune de DEMETTE
Département de PODOR