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LÉgislatives, Entre Ombres Et LumiÈres

Les récentes élections législatives marquent un tournant important dans la vie politique de notre pays. Malgré les couacs qui ont jalonné le processus de validation des listes électorales, le vote s’est déroulé globalement dans de bonnes conditions. Nous avons assisté à une consolidation de la dynamique de bipolarisation enclenchée par YAW depuis les élections municipales, avec cette fois-ci deux forces en présence : l’inter-coalition Yaw-Wallu d’une part et la coalition BBY d’autre part. D’après les premiers résultats, on peut annoncer une grosse percée pour l’alliance Yaw-Wallu et un recul significatif du côté de la coalition au pouvoir. Le principal enjeu de cette élection réside dans le contrôle de l’Assemblée nationale.

Comment peut-on expliquer ces résultats ? Entre autres, je crois que les éléments ci-après y ont largement contribué :

  • une évolution des déterminants du vote et une émergence d’un électorat jeune impliqué ;
  • une opposition lucide, dotée d’une stratégie intelligente et efficace ;
  • un pouvoir qui, d’une part, s’appuie sur un paradigme de maintien au pouvoir présentant des limites et générant des illusions et, d’autre part, met ses propres partisans dans des situations de doubles contraintes et commet des erreurs fatales.

Sont développés ci-après, dans cet article, les éléments ci-dessus évoqués, complétés par une note d’espoir sur l’évolution des paradigmes.

Évolution des déterminants du vote et une émergence d’un électorat jeune impliqué

Les déterminants du vote sont nombreux et mouvants : bilans ou résultats, programme, orientation, crédibilité, lien affectif, argent, vote sanction ou vote utile, etc. Ils sont activés par des processus de communication où la lisibilité occupe une place de taille. Ils dépendent des catégories d’électeurs (diaspora, électeurs des centres urbains, électeurs des zones rurales) et des événements majeurs passés ou à venir. Les événements de mars 2021, les entraves à l’expression des libertés démocratiques ainsi que la prochaine échéance électorale ont largement pesé sur cette élection. La corrélation entre celle-ci et la question du troisième mandat est une évidence.

L’émergence d’un électorat jeune, impliqué, utilisant intensivement les nouveaux moyens de communication, a joué un rôle majeur dans l’évolution des déterminants. S’y ajoute également un vent de patriotisme qui souffle sur le continent ; les populations jeunes aspirent à prendre en main leur destin, en instaurant des relations plus équitables avec la France (indépendance monétaire, patriotisme économique, souveraineté sur nos ressources naturelles etc.) Pour cet électorat, l’orientation patriotique et nationaliste, couplée à la bonne gouvernance, constitue un déterminant important du vote.

Yaw : une opposition lucide dotée d’une stratégie intelligente et efficace

Yaw a emporté une adhésion massive des électeurs en installant dans leur esprit cette bipolarisation selon laquelle YAW incarne le camp progressiste, républicain et patriotique, BBY représente le camp de l’impunité, du népotisme et des deals en tout genre. Du côté de BBY, leur camp représente celui des réalisations concrètes et de la stabilité ; ils estiment que YAW risque d’installer le pays dans l’instabilité et le chaos. Ce processus de bipolarisation a démarré avec les élections municipales. Les leaders de YAW l’ont pérennisé et ont fait mieux lors des élections législatives en s’alliant avec Wallu, apportant ainsi une réponse intelligente pour faire face aux dérives du « raw gaddu » propre au scrutin à un tour unique.  

Ils ont aussi plébiscité Ousmane Sonko comme le leader charismatique et incontournable de la coalition, même si Khalifa Sall est le président de la conférence des leaders. Le leadership que l’on a noté du côté de YAW était de très haut niveau : les rôles étaient bien répartis et la bienveillance excluant la langue de bois était de mise. Khalifa Sall et Habib Sy ont joué le rôle de mentors pour Ousmane Sonko, en acceptant même de s’estomper devant lui. Ousmane Sonko a certainement appris auprès de ces « doyens » très expérimentés, tout comme eux aussi ont profité de la force de conviction, de l’énergie et la détermination des jeunes leaders de la coalition.

Cette alliance a imposé le tempo du début à la fin de cette campagne via les thèmes : troisième mandat, lutte contre l’agenda LGBT, bilan immatériel de Macky Sall etc.  Ses prises de position ont été efficaces surtout auprès de l’électorat jeune. Elle a su utiliser avec dextérité sa capacité de mobilisation et de lutte et cette habileté à user de sagesse lorsque le camp d’en face s’est résolu à cautionner l’invalidation d’une des listes de YAW dans laquelle figuraient les hauts responsables de ladite coalition. Ils ont opéré un recul, en optant pour un règlement pacifique et démocratique de la situation, se contentant de leur liste de suppléants. S’ils avaient maintenu le mot d’ordre de la manifestation du 29 juin, l’issue aurait été hasardeuse et personne ne pouvait deviner à quoi elle ressemblerait.

BBY : paradigme de maintien au pouvoir, illusions, doubles contraintes et erreurs

Le paradigme de maintien au pouvoir du régime en place présente des limites, mais il a un lien étroit avec l’état d’esprit dominant. Il pourrait s’intituler comme suit : les populations ont des tares et des travers qui tirent leur source dans l’esprit féodal (népotisme, esprit clanique, servitude etc.) et dans l’esprit pragmatique du capitalisme (cupidité, cynisme etc.) ; en les exploitant judicieusement, on peut pérenniser son pouvoir. « Le sénégalais aime la Téranga ; il succombe facilement à la tentation de l’argent (carotte). S’il résiste, il faut le convaincre en passant par sa famille et/ou son marabout (manipulation affective). S’il continue de résister, il suffit de fouiller sa gestion ou de s’assurer qu’il paie bien les impôts (bâton). En utilisant judicieusement ces trois leviers, tu le contrôles. »

Il y a du cynisme dans ce paradigme, mais très souvent les politiciens l’adoptent (partiellement ou totalement) sous la poussée de la real politique. Tout politicien peut recourir à ce paradigme (y compris les opposants d’aujourd’hui lorsqu’ils accéderont au pouvoir demain).

 

Illusions

 

  • L’illusion de généralisation outrancière 

Cette illusion est nourrie et entretenue par les faits et gestes de l’entourage du leader. Ceux qui l’entourent l’idolâtrent et lui exposent en permanence leurs tares et leurs travers. Il finit par penser que tout le monde est pareil. C’est certainement le processus qui avait poussé l’ancien président Wade à déclarer que tous les sénégalais avaient un prix. L’autre idée est de penser que tous les intellectuels sont des opportunistes. S’ils s’indignent, c’est juste pour négocier plus tard une sinécure ou une prébende.

  • Illusion d’omnipotence 

En utilisant les leviers « carotte-manipulation affective-bâton » en y enrobant la puissance de l’argent et la toute-puissance de l’État, l’on tombe facilement dans l’illusion d’omnipotence.

  • Illusion de fixité 

Pour les tenants du pouvoir, les déterminants n’évoluent pas et ils sont actionnables partout. On continue d’utiliser l’argent comme levier dans les centres urbains alors qu’il n’y est plus actionnable. Les suffrages sont figés dans le temps. La transhumance est toujours efficace, car les électeurs sont solidement liés aux leaders.

Certaines illusions sont souvent flétries par les acteurs lorsqu’ils sont dans l’opposition, mais arrivés au pouvoir, ils tombent irrémédiablement dans celles-ci.

Doubles contraintes contre les membres de son propre camp

 

  • Double contrainte 1 : « Ne parlez pas du troisième mandat » (et c’est moi qui ajoute « même si votre interlocuteur évoque mes anciens propos sur ce sujet. »). Face à une situation pareille, trois possibilités sont offertes :
  • respecter la consigne et dépourvu de bons arguments vis-à-vis de ses interlocuteurs ;
  • violer la consigne en disant ce qu’on pense (avec le risque de sanction) ;
  • éviter les débats et les plateaux de télé.

Le souci de survie pousse la majeure partie des acteurs à adopter la troisième option.

  • Double contrainte 2 : c’est moi qui traduit en simplifiant : « réfrénez vos ambitions au nom de la loyauté et défendez-moi avec énergie ; le oui ou le non à la question du troisième mandat dépendra de l’issue des échéances municipales et législatives. »

Pour celui qui a des ambitions présidentielles, il va certainement choisir ses combats.

Erreurs

  • Arbitraires et dérives dictatoriales (arrestations, interdiction de manifestations, meurtres non élucidés, perception d’injustice et d’iniquité à propos du traitement des dossiers issus des corps de contrôle ; complaisance vis-à-vis de certains députés impliqués dans une activité délictuelle, entamant l’image de la précédente législature ; non validation de listes d’opposants etc.)
  • Refus de promouvoir un dauphin et flou à propos du troisième mandat (ces deux questions sont liées ; cette situation entraîne des déchirures au sein de la coalition au pouvoir : elles ont largement impacté cette élection et sans changement de cap, elles iront crescendo.)
  • Tentative de réduction de l’opposition à sa plus simple expression (après avoir obtenu le ralliement d’Idrissa Seck, l’idée de sortir Ousmane Sonko du jeu équivalait à tuer l’espoir des jeunes ; 
  • « Création » et « promotion » du phénomène Ousmane Sonko (chaque tentative pour ternir l’image d’Ousmane Sonko n’a fait que renforcer sa popularité). 

Note d’espoir sur l’évolution des paradigmes

Les coalitions de l’opposition ont surtout une stratégie de conquête du pouvoir. Nous devons nous intéresser dès à présent à leur paradigme de maintien au pouvoir.

Le nouveau paradigme de maintien au pouvoir devrait être plus ouvert et pourrait s’intituler comme suit : les populations ont des tares et des travers qui tirent leur source dans l’esprit féodal et dans l’esprit pragmatique du capitalisme ; pour se maintenir au pouvoir, il faut s’appuyer essentiellement sur les réalisations et s’appliquer à lutter contre ces tares et ces travers de façon implacable et impitoyable, mais aussi avec intelligence et pédagogie, en commençant par le haut.

On peut cependant retenir qu’une évolution des paradigmes est en cours. La nouvelle génération est moins orientée vers l’esprit féodal (où l’horizon est borné par la famille ou le clan) ; elle a des ambitions plus fortes (libération et développement du pays, voire du continent). L’esprit national et la conscience citoyenne sont en pleine émergence et ils prendront progressivement la place de l’esprit féodal qui est le nid du népotisme exacerbé qu’on retrouve dans tous les pays de la sous-région. Par contre, n’oublions pas que le capitalisme aussi est le terreau de la cupidité. Le pari devrait être de donner le maximum de chance à tout le monde, sans tomber dans le populisme.

Paradigme, stratégie, illusions et erreurs ont un lien avec le niveau de conscience (esprit féodal, conscience nationale). Les populations ont exactement les leaders qu’elles méritent.  La coalition YAW arrive à un moment précis où les exigences en termes de démocratie, de bonne gouvernance et de patriotisme sont de plus en plus ancrées dans les esprits. Les réseaux sociaux y ont largement contribué. Il faudrait que les hommes avertis de ce pays s’investissent – soit dans la réflexion, soit dans l’action – pour un changement de cap, en évitant les illusions évoquées plus haut (surgénéralisation, omnipotence, fixité), la vision manichéenne, les simplifications outrancières, et l’esprit de revanche.

Ibrahima Thioye est spécialiste en communication.







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