Mon confrère du Mali, Alassane Souleymane Maïga, a eu l’intuition géniale dans son papier «Pompier africain et voisin malien», de qualifier Macky Sall de pompier africain. Cette idée de Macky Sall comme pompier africain m’a fait beaucoup penser à «Sam le pompier», une série pour enfants qu’adore mon jeune garçon.
Comme Sam le pompier, le président de l’Union africaine est appelé d’un coin à l’autre pour éteindre des incendies, comme au Mali (en crise avec la Côte d’Ivoire) ou pour éviter que l’incendie ne recommence comme au Sud Soudan, au Tchad ou en République Démocratique du Congo, qui accuse le Rwanda de déstabilisation. L’Europe, quel numéro de téléphone ?, avait déclaré ironiquement Henry Kissinger en 1970 pour montrer que l’Europe est une grande puissance commerciale mais un nain géopolitique.
L’Union africaine semble avoir la stratégie inverse : un nain commercial parce que désuni, mais avec une ambition géopolitique naissante car contrairement à l’Europe, elle a au moins commencé par avoir un numéro de téléphone : celui du président en exercice, qui est entré par effraction dans la géopolitique mondiale avec la crise en Ukraine et semble vouloir imposer la présence de l’Ua dans la cour des grands, avec l’exigence d’une présence africaine au G20 car l’Afrique réunie est la huitième puissance économique mondiale.
Le contexte politique international, marqué par la fin de l’hégémonie occidentale du monde, est favorable à cette ambition africaine. Cette fin de l’hégémonie occidentale est marquée par la montée de la Chine et de l’Inde, le prosélytisme politique russe en Afrique, qui fait que le Président français Macron taxe les Russes de colonisateurs. Le néo-colonialisme russe est un néo-colonialisme de proximité avec des interventions en Ukraine, en Géorgie et la mise sous tutelle de la Biélorussie. C’est une sorte de doctrine de Monroe version slave, alors que celui français est extra-européen et principalement africain. L’offensive russe en Afrique est surtout une stratégie d’influence pour bousculer la France en Afrique. L’Union soviétique avait une prétention universelle alors que la Russie ne l’a jamais eue jusqu’à maintenant. Poutine veut reconstruire l’empire des Tsars, pas conquérir le monde comme l’Urss.
La bataille entre la Russie et l’Occident en Afrique, la montée de la Chine et de l’Inde marquent la fin de l’hégémonie occidentale du monde. En d’autres termes, comme disait de Gaulle : «La France de Papa est morte et ceux qui ne l’ont pas compris mourront avec elle.» J’ai envie d’ajouter : «L’Afrique de Papa est morte et ceux qui ne l’ont pas compris mourront avec elle.» Et Macron, malgré ses discours de rupture sur la France-Afrique, sur les nouvelles relations, ne semble pas l’avoir compris en parlant d’hypocrisie de l’Afrique sur la guerre en Ukraine, parce qu’elle ne s’est pas alignée sur l’Occident. Ce n’est pas parce que l’on ne partage pas la même idée, la même position, que je suis hypocrite. Cela traduit un état d’esprit qui veut que l’Afrique soit un réservoir de voix pour l’Europe à l’Onu.
Ce qui se passe avec la guerre en Ukraine est que l’Ua est en train de devenir une réalité géopolitique après avoir été toujours un mur des lamentations africaines. Devenir une réalité géopolitique c’est dire que l’Occident a son agenda, la Russie a le sien, mais nous aussi on a le nôtre. L’agenda de la France est de rester une puissance africaine pour tenir son rang, celui de la Russie est de la bousculer dans le pré carré pour se positionner et négocier en Europe. Celui de l’Ua semble être le non-alignement, que j’appelle le dialogue critique, pour défendre ses intérêts comme la liberté du commerce pour accéder aux céréales. Ce n’est pas de l’hypocrisie, c’est de la realpolitik, qui est le fondement des relations internationales. N’est-ce pas de Gaulle qui disait que les Etats n’ont pas d’amis mais des intérêts. La France a toujours été le poil à gratter de l’hyperpuissance américaine et a toujours adoré rappeler à son plus vieil ami et allié, à savoir les Etats-Unis, la formule «amis, alliés mais pas alignés». C’est exactement ce que fait le Sénégal aujourd’hui avec ses vieux amis occidentaux.
Les Français l’appellent «amis, alliés et pas alignés». Nous l’appelons le dialogue critique, qui consiste aussi à chercher des solutions africaines à certains problèmes africains, évitant ainsi que le continent soit un terrain de jeu de la rivalité géopolitique des Grands. Il est évident que sur l’histoire des 49 militaires ivoiriens emprisonnés à Bamako, on trouvera plus facilement une solution avec les relations de fraternité et de bon voisinage que dans la géopolitique ou le Droit international. C’est pourquoi le pompier africain, comme l’appelle Alassane Souleymane, a raison de faire confiance aux palabres à l’africaine pour trouver une solution dans cette querelle de voisins.