La vidéo, devenue virale, de pas de danse de la Première dame, Marème Sall, a occasionné une cascade de réactions. Quand certains ont salué le geste décomplexé et la posture familière voire triviale, d’autres se sont indignés d’une conduite qui ne collerait pas au statut de la personne concernée. Cette polémique, comme beaucoup d’autres dans notre pays, a le mérite de mettre en exergue le conflit profond que nous traînons avec nos attraits culturels, notre estime de notre patrimoine social et de notre folklore, notre obsession à nous haïr. Ce rejet, voire cette haine de soi, est d’autant plus frappant quand ce sont des gens de tout là-haut, une élite qui nous renvoie des aspects de notre culture que certains ne sauraient voir.
Il faut se le dire, nous suintons la haine de soi. Dans les logiques individuelles comme dans les pratiques d’ensemble, nous avons du mal à nous accepter dans toutes les facettes de notre culture. L’occupation nous a-t-elle autant éprouvés que nous ne nourrissions aucune compassion envers nous-mêmes ? Pourquoi devrions-nous avoir honte de nous célébrer dans nos propres codes, d’exulter au rythme de nos tambours ? Pourquoi voudrait-on, par convenance complexée, avilir les artifices de notre culture et nous aseptiser dans un syncrétisme fait de faux rigorisme religieux et d’un désir d’occidentalisation non assumé ? Fanon se régalerait à étudier les peaux noires vêtues de masques caméléon du Sénégal.
S’indigner de pas de danse et de scènes festives auxquels tout Sénégalais sera exposé, au moins une fois dans sa vie, relève d’un profond mal-être avec nos consciences. L’infamie sera poussée jusqu’à reprocher à une Africaine de «danser comme une Africaine», avec toute la charge d’exotisme que renferme un tel propos. J’oubliais qu’on est au pays où on s’invective sur la pigmentation de la peau !
Tout est de trop pour nous et nous parvenons très difficilement à nous sublimer. Il n’y a qu’à voir la propension qu’on a à chercher à déconstruire toute réussite de compatriotes ou tout fait d’armes honorable à leur compte pour avoir une mesure du mal. Le sociothérapeute, Charles Rojman, commente une facette de la haine de soi comme une inversion du «mépris que l’on a de soi contre ceux qui réussissent et que l’on envie sans pouvoir l’admettre». L’image qu’on affirme mépriser ou réfuter n’est qu’une partie de ce que nous sommes. Disqualifier nos expressions culturelles ou les estampiller d’un cachet gênant aurait sens, si nous étions fiers un temps soit peu de nos us et coutumes. On reproche à nos élites de se garder trop distantes, si les voir vivre, s’amuser et faire comme nous peut révulser, ce n’est pas demain que nous nous ferons respecter par d’autres.
Un ami me soulignait au détour d’une conversation sur la facilité que nous avons à jeter l’opprobre sur nos compatriotes, que le Sénégalais aime se détester et que ce qu’il déteste le plus est ce qui lui rappelle ce qu’il est. Marème Sall n’est que le miroir grossissant, du fait du piédestal de Première dame dont elle jouit, de ce que sont nos épouses, sœurs et mères. Leur nier leur identité, l’expression de leur culture et leur épanouissement dans ce qu’elles sont, traduit notre incapacité à nous accepter comme nous sommes et à endosser notre culture à sa juste valeur. Ce ne sera pas néanmoins la première fois que ce pays écrase ses femmes. Les femmes sénégalaises sont là pour rester dans notre Palais, après avoir été longtemps à la marge. Les indignés devront s’y faire.
Jacques Chirac se plaisait à dire que son épouse, Bernadette, est un homme politique. Il peut en être dit autant de la Première dame du Sénégal, si sa participation à des festivités familiales épousant tous les contours de nos foyers crée un tel torrent de salives. Dommage qu’en la stigmatisant, nos censeurs mettent à nu toute la haine qu’ils ont d’eux-mêmes et de toute leur culture. On ne saurait imaginer leur état d’indignation en cette période d’hivernage fait de lël, de kassak ou de cérémonies du bois sacré, puisque notre culture est «vulgaire» à leurs yeux.