Les rideaux sont tombés sur le Bukut de Balingore. Les aspirants à l’initiation avaient attendu pendant 36 longues années avant de vivre une nouvelle édition de ce bois sacré. Votre journal le Témoin qui s’est intéressé à cette manifestation culturelle à haute intensité mystique a suivi pour vous cet évènement, le plus important en milieu diola. Nous vous invitons à la découverte du Bukut, un bois sacré de type diola avec ses clichés visibles et invisibles. Un voyage au cœur de l’univers du Bukut… jusqu’aux limites du permis. Autrement dit, des interdits respectés et respectables nous ont imposé des censures personnelles. Ce qui limite – à bien des égards – la livraison de notre enquête sur le « Futamp ». Toutefois, cette censure cultuelle qui dresse un obstacle d’ordre épistémologique majeur est comblée par une réflexion critique sur l’initiation.
LE BOIS SACRE : UN INVARIANT NEGRO-AFRICAIN
Pour mieux comprendre le Bukut, cet évènement dont l’avènement remonterait au Moyen-Âge, un détour essentiel semble nécessaire pour mieux y jeter de la lumière. Le sacré a été, depuis très longtemps, associé à la dynamique organisationnelle des sociétés africaines. Par conséquent, c’est la dimension du sacré qui cimente les rapports sociaux et tient les membres de la société, les uns « saintement » soudés aux autres. Ce qui donne à la fois force et originalité au sacré, c’est qu’il est inaccessible. On ne peut pas toucher au sacré puisqu’il y a un rapport vertical entre les hommes et ce qui incarne la sacralité. La dimension du sacré est si présente et si pesante, que le champ social se structure effectivement selon l’ordre du sacré.
Autrement dit, cette dimension du sacré renforce et perpétue la société qui, par cet artifice, se renouvelle sans cesse. C’est là, nous semble-t-il, où résiderait désormais toute la pertinence du bois sacré qui tisse sa toile autour de cette grande particularité : le « pacte social » africain est intimement lié au sacré qui justifie et perpétue son ancrage dans les consciences populaires à telle enseigne qu’on n’ait pas besoin d’un contrat ( Rousseau) à passer ou d’un monstre imaginaire ( Hobbes) pour en être garant. Quiconque évoluant dans la société, intègre du coup cette perception du pouvoir du sacré. Par conséquent, dans l’imaginaire populaire africain, le spirituel, qui est avant tout un pouvoir, peut le déléguer au temporel. A partir de ce moment, c’est la croyance au sacré qui jouerait le rôle de dénominateur commun entre les hommes, tenu soudés saintement les uns les autres et au sacré sous forme de triptyque.
Le sacré fait appel à un lien avec une dimension supérieure transcendante à qui on voue un culte pour mériter son pardon ou entrer dans ses grâces. Dès lors, il faille qu’il y’ait une ligne de démarcation nette entre d’une part, un espace sacré et un espace profane. La conception du monde – chez le négro-africain – implique la distinction du sacré et du profane. Cette distinction est bien perçue quand on prend en considération le sacré qui est la manifestation, dans la réalité, d’une puissance ou d’une force surnaturelle, de quelque chose bien différente qui en fait une réalité tout à fait à part.
LE BUKUT : UNE VARIANCE DANS UN INVARIANT COMMUN
En voulant bien sacrifier à l’archéologie du Bukut, on réalise que les traces de la pratique de ce rituel diola sont décelées jusqu’au XIIe siècle. Cela témoigne de son caractère moyenâgeux. Certaines recherches défendent même que le Bukut a l’âge du peuple diola. Nonobstant son âge, sa périodicité et sa permanence résistent au temps et à la modernité. Cette permanence du Bukut témoigne du sérieux du diola et de son rapport quasi mystique vis-à-vis de sa culture.
Appelé également « foutamp » – disons, en diola académique -, le Bukut est un Bois Sacré. Mais, le Bois Sacré dont il est question ici ne renvoie pas exactement à une forêt quelconque. Et si « bois » fait naturellement penser à un ensemble d’arbres sur une bonne superficie, ici c’est moins l’idée de végétation que de réalité recouverte par ce lieu mystérieux. Ce qui fait que, même si les arbres y sont parfois légions, c’est la sacralité du milieu qui en détermine l’essence. C’est d’ailleurs pour cette raison que John Scheid le définit comme « une enceinte sacrée avec des arbres, (…) les interdits pesants sur les lieux, éventuellement quelques aménagements cultuels ». On verra, de ce point de vue, que si la forêt ou le bois sont, pour l’essentiel, naturels, le Bois sacré, lui, est à la fois naturel et culturel.
Toutefois sa symbiose bio-culturelle pèse plus en faveur du culturel que du naturel. Il peut être uniquement de l’artifice, en ce sens où, on peut l’ériger avec seulement des aménagements humains. Ce qui rompt avec la conception antique, notamment du philosophe Sénèque qui le considère comme un lieu totalement naturel parce qu’intact du moment qu’il n’y a pas d’intervention humaine. Le Bois Sacré de type Ajamat (ce mot renvoie à « diola » est un exonyme ; le diola se désigne lui-même par cette appellation « Ajamat » !) est du culturel bâti sur du naturel. De ce point de vue, le Bois Sacré diola – comme celui mandingue, d’ailleurs – est du type bio-culturel.
Toutefois, si, d’une manière ou d’une autre, tous les peuples négro-africains ont des bois sacrés, celui diola est une variance dans cet invariant commun. Le Bois Sacré nous aide à mieux cerner la réalité recouverte par le Bukut. Il est plus une pratique mystique qu’un lieu quelconque. En termes clairs, le Bukut est un rite initiatique. C’est un Bois Sacré propre aux diolas. Si on distingue plusieurs types de Bois sacrés, celui à orientation diola se singularise par un espace sacré s’opposant à un autre espace profane – tous les deux participants, selon le degré d’ésotérisme, à l’initiation -, sa périodicité générationnelle, son caractère obligatoire pour tout ajamat. C’est un endroit éloigné des habitations avec une particularité : le caractère sacré des lieux et tout ce qui s’y produit.
Dans plusieurs sites du village, on y mène des activités « off » du Bois Sacré tout en les gardant loin du lieu d’initiation où se déroulent les activités « in ». C’est dire que qui le Bois Sacré doit rester une forteresse avec franchise sacrée où aucun corps étranger ne saurait violer et où rien ne pourrait filtrer. Par moments, des masques sortent la nuit du Bois Sacré pour se rendre chez les parents d’initiés pour des raisons d’ordre mystique. Un système de veille et de renforcement du bouclier mystique est mis au point autour des lieux du rituel. Ce système sera articulé à un travail d’étroite collaboration avec les devins. On comprendra, dès lors que le Bois Sacré à une certaine franchise mystique. Ce qui fait qu’il n’y est pas admis qui veut. Le premier critère, c’est d’être enfant diola, de père et/ou de mère.
LE BUKUT : UNE INITIATION QUI PARACHEVE LE DIOLA.
« On ne nait pas diola ; on le devient ». S’appuyant sur ce célèbre axiome ajamat, dans certains milieux diolas très conservateurs, on tient surtout à instaurer une ligne de démarcation nette entre le « diola biologiquement parlant » et celui « produit du culturel et du cultuel ». Le premier n’est diola que par le ou les parents, mais n’en a pas l’âme. Le deuxième l’est de sang et a acquis, par le biais de l’initiation, ce supplément d’âme ajamat. A partir de ce moment, l’on comprendra que l’initiation – via le Bukut – parachève ce processus de maturation qui mène du diola biologique au diola bio-culturel. Le Bukut accueille des « ambathe », entendez : « futurs initiés ».
Les futurs initiés se rendent chez les oncles pour couper une touffe de cheveux. Le neveu tient une place de choix dans la vie du diola. Ces « ambathes » sont rasés, tels de nouveaux nés ; tout un symbole, une sorte de renaissance, ou le début d’une nouvelle vie d’initié. Leurs cheveux sont bien conservés en vue de leur protection et le lieu de la conservation est tenue secret. Cette session de formation se déroule selon un manuel de procédure respecté depuis des siècles, sous l’œil avisé des gardiens du temple de la communauté. Cette formation est à la fois physique et mystique.
Entre autres programmes de formation, des démonstrations de danses rituelles dont certaines sont sacrées, d’autres profanes. Le Bukut correspond à la cérémonie de passage de l’adolescent vers l’âge adulte. Il permet de passer de l’âge de la « Minorité » à celui de la « Majorité » – pour utiliser, de manière imagée, des catégories Kantiennes. C’est dire que chez les diolas, le statut de majeur ne s’obtient pas par l’âge ; c’est par le biais d’une initiation suivie avec un protocole mystique d’une rigueur extrême ! Il permet l’affranchissement à la souillure, à l’impureté, à la féminité, à l’innocence, à l’insouciance, à la dépendance. C’est pour cette raison que le non-initié ne pourrait se marier malgré son âge avancé et est exclu de certaines séances occultes ou simples réunions de la communauté, du fait de son impureté et de son statut de « mineur ».
Le clou du Bukut, c’est le retour des initiés à la maison avec la tête couverte : la maman ne sachant pas si son enfant est vivant ou mort. Car, l’aspirant initié pourrait y laisser la vie. Pour garder le secret jusqu’au bout, les nouveaux initiés se couvrent la tête avec des pagnes. C’est seulement après qu’on pourra identifier celui ou ceux qui y ont laissé leur vie. C’est pourquoi la fin du Bukut est un moment de retrouvaille empreint d’émotion. On verra, donc, que le foutamp est une grande fête qui est organisée à l’honneur des aspirants initiés qui viennent de toutes les contrées voisines, du Sénégal des profondeurs, voire de l’extérieur. C’est une occasion à ne pas rater, sous peine d’attendre une autre édition qui risque d’avoir lieu dans une trentaine d’années, voire plus. La programmation est faite par génération qui se renouvelle chaque tiers de siècle, c’est-à-dire, tous les trente-trois ans. Toutefois, cette programmation n’est pas forcément arrimée à ce timing du moment que cela dépend de plusieurs facteurs mystiques. Le planning est adossé aux recommandations des anciens qui se réfèrent eux-mêmes aux résultats des consultations des « Bakines » ou devins et autres pratiques divinatoires.
En ce qui concerne le cas de Balingore, les consultations des bakines (devins) se sont déroulées au milieu des Fromagers à Tandimane. Mais, quelle que soit la localité, les consultations engagées par les anciens ne se font pas ex-nihilo. Un ensemble de signes annonciateurs sont lancés par les aïeuls dont seuls les privilégiés parmi les initiés âgés peuvent soupçonner et décoder. Par conséquent, ce sont les gardiens du temple qui perçoivent et décodent le message enrobé dans des signes qu’envoie l’esprit des ancêtres. Et comme le Bois Sacré est une pratique traditionnelle, un legs purement d’inspiration animiste, ce sont les êtres inanimés qui lancent l’alerte par la médiation de la nature. Ce qui induit que ces-dits prémices transparaissent dans la nature ou l’environnement immédiat. C’est pourquoi ces signes peuvent revêtir des formes de calamités naturelles, comme une épidémie, une mortalité fréquente ou des avortements répétitifs dans la contrée, la rareté des pluies, un vent violent, la mort ou la chute d’un grand arbre dans le village, des rêves communs vécus par des anciens…
Au total, le Foutamp est programmé selon la clémence astrologique et les indications des devins. Le clair du temps, les futurs initiés n’attendent pas ces indications avec les sacrifices y afférents. L’apprentissage de danses sacrées ou danses des initiés est souvent anticipé. On verra que le temps qui sépare une édition de Bukut à une autre peut être plus ou moins trente-trois ans, mais ne s’en n’éloigne pas trop. Au demeurant, c’est Joseph Ki-Zerbo qui résume admirablement cet aspect de l’initiation quand il affirme que « la société négro-africaine est essentiellement une société initiatique de classes d’âge, de préparations et d’intégrations successives des générations les unes après les autres ».
LE BUKUT VU A TRAVERS UN TROU DE SERURE
Le Bois Sacré est aussi un camp de réclusion et d’endurance aux épreuves de tout genre tout au long de la formation, les futurs initiés sont le clair du temps tenu par un code de conduite rigoureusement appliquée et sans restriction majeures. Les seules restrictions connues avec l’avènement de la modernité tournent autour du raccourci de la durée de la formation pour certains pour raisons d’obligations professionnelles ou éloignement comme c’est le cas avec la diaspora diola. Les initiés sortent du Bukut en hommes affirmés, affranchis de l’impureté et de l’ignorance.
Par conséquent, ils doivent tout savoir ou presque de ce que l’homodiolaensis a produit de meilleur et jalousement gardé. Autrement dit, les initiés devraient faire montre d’un certain nombre de savoirs du monde diola : savoir, savoir-savoir, savoir-être, savoir-faire. Ainsi donc, des ‘spécialistes’, à tour de rôle, livrent des connaissances naturelles comme surnaturelles. Ces personnes es-qualités, qui sont également des sages initiés, vérifient les connaissances en médecine traditionnelle, en botanique – ou plus exactement en reconnaissance de certaines plantes et de leurs vertus -, en astrologie, en interprétation des rêves, en connaissances générales, etc.
Certains sages, chacun en ce qui concerne son domaine, évoquent le mode opératoire de la pensée ajamat et les mécanismes et voies et moyens pour construire son savoir et son mode de vie. C’est pour cette raison que les initiés ont également droit à une série de conseils, de recommandations et autres injonctions à intérioriser pour bien se conduire non seulement dans le foyer conjugal et la famille, mais aussi et surtout, comment bien gérer les rapports avec ses semblables et asseoir le culte de la solidarité et l’entraide, le don de soi pour sa communauté…, bref, éprouver une grande fierté d’être diola.
Des clés en arts de combats – singulier ou de masse – qui se résument, pour l’essentiel, aux techniques de lutte traditionnelle pure et en maniement de certaines armes, entre autres aptitudes et compétences, sont enseignées. On y trouve des pratiques profanes ouvertes au grand public comme des rites sacrés réservés uniquement aux initiés et futurs initiés. Parmi les activités profanes, il y a des démonstrations de bravoure, des danses masquées, des parades avec des accoutrements qui renvoient à des appartenances ou à catégories socioprofessionnelles.
A ce titre, le socio-anthropologue Abdou Ndukur Kacc Ndao nous donne un avis d’expert sur la question des exhibitions très remarquables de signes et autres symboles. Pour lui, : « le Bukut à l’instar des expressions culturelles initiatiques est une foire de signes et de symboles qu’il faut savoir décrypter ». … En ce qui concerne le rituel sacré, on pourrait citer, entre autres, le secret de décoctions de certaines plantes ou herbes, pour acquérir l’invulnérabilité, à apprivoiser le feu… Pour le reste, on baisse le rideau !
LE BUKUT ET SA DIMENSION ECONOMIQUE
Nous ne saurions avancer, en termes chiffrés, le coût exact d’un Bukut et, à ce jour, aucune étude scientifique sérieuse n’est encore disponible, à cet effet, pour l’estimer à sa juste valeur. Des obstacles d’ordre culturel freinent toutes les tentatives initiées à l’occasion du Bukut de Balingore. Ce qui est, toutefois clair, c’est que l’organisation d’un Bukut n’est pas une mince affaire ; c’est même un véritable sacrifice, au propre comme au figuré, et celui financier n’est pas lésiné, et en aucune manière ! Le Bukut de Balingore – comme tous les autres avant – a nécessité des moyens colossaux qui ne peuvent pas être mobilisés en un temps court. Il y a des opérations financières arrimées au court, moyen et long terme. C’est pourquoi sa programmation se fait au moins trois ans auparavant. Pour mieux faire montre d’hospitalité et bien traiter les hôtes, l’initiation est préparée des années durant, le clair du temps, avant même sa prochaine programmation : des cotisations, des tontines, des formes d’épargne – modernes ou traditionnelles – sont mises au point pour pouvoir satisfaire les nombreux besoins inhérents à la manifestation. Les futurs initiés sont accompagnés de parents et proches avec une solidarité et une convivialité remarquables. Le temps du Bukut est le moment de faire montre d’hospitalité et de générosité, à l’image de l’évènement des Magal. Des bœufs, par milliers sont sacrifiés pour un festin ininterrompu des initiés, des parents, des invités, de simples curieux…
Il est clair que la pénurie d’oignons connue ces derniers temps n’est pas seulement due au Magal de Darou Khoudoss ; la quantité de ce condiment consommée pour la cuisson des milliers de taureaux qui ont été abattus a eu raison de sa disponibilité dans le marché sénégalais. Il est à signaler que ce n’est pas seulement l’oignon qui y est consommé en quantité par milliers de tonnes ; pommes de terre, légumes, et autres produits entrant dans les menus et en grands nombres, en vue d’être le mieux hospitalier possible, sont achetés en tonnes. Un entretien, à la fin du Bukut de Balingore, avec Ibou Sané, sociologue, anthropologue et, qui plus est, diola de son Etat, nous a permis de mesurer – à dimension brute – cette économie cultuelle. Pour les préparatifs de leur Bukut déjà programmé, ils doivent « cotiser chacun un million de nos francs, acheter trois taureaux 3 taureaux », entre autres obligations. En sus, compte tenu du fait que l’évènement réunit des milliers de personnes et drainent des invités, les fils et petits-fils, qui n’ont jamais été au village ou qui ne s’y rendaient qu’en de rares occasions, sont obligés désormais d’y ériger des bâtiments pour y loger et loger les proches et invités. Ces constructions à l’occasion des Bukut ont changé de manière remarquable la face de plusieurs localités qui s’y préparent en travaillant beaucoup plus dur que d’habitude en vue d’accumuler des moyens, en plus de la solidarité et de l’aide des émigrés.
Également, les Bukut sont l’occasion, pour les localités qui en seront les théâtres d’opération, de bons motifs pour revendiquer auprès des pouvoirs publics – Etat et ses démembrements telles les collectivités locales – le bitumage de routes, la réalisation de ponts et de pistes d’accès, des structures de santé, entre autres infrastructures de base. Tout compte fait, la période du Bukut est un moment pendant lequel beaucoup d’acteurs économiques trouvent leur compte : producteurs, éleveurs, commerçants, transporteurs… C’est pourquoi, certains opérateurs économiques préparent, d’ores et déjà, les rendez-vous les plus proches de Bukut : celui de Niamone l’année prochaine et de Tandimane en 2024.
REGARD CRITIQUE SUR L’INITIATION
Qu’est-ce qui justifie la nécessité de l’initiation ? En heurtant de front cette question, on réalise, désemparé, que « la recherche africaniste ne nous offre malheureusement qu’une documentation très fragmentaire sur l’enfant, la pédagogie coutumière et les modes d’intégration de la personnalité » nous avertit Pierre Erny. Que faire, alors ? Se tourner vers un philosophe africain pour mieux comprendre cette réalité bien africaine. Pour Alassane Ndaw, l’érection d’un bois sacré se justifie, par le fait que « Le jeune qui est encore ‘dans ‘l’obscurité’ » a besoin d’être conduit vers la lumière. En faisant appel à cette formule bantu, il met ainsi en évidence le cheminement qui mène de l’obscurité vers la lumière, symbole de la maturité, du savoir et de la responsabilité. C’est pourquoi, selon le philosophe sénégalais, le futur initié « se complète au contact des autres, apprenant de ses ainés, et notamment de ceux appartenant au groupe d’âge situé immédiatement au-dessus de lui, les lois de la société ». Si on a besoin de compléter, c’est parce qu’il y a quelque chose qui manque. Ce qui manque au jeune qui aspire à entrer dans la vie adulte avec toutes ses exigences est livré à l’individu par la société par la médiation de l’initiation. A. Ndaw dira : « Si l’enfant (…) porte la souillure de l’enfance, qui disparaitra lors des rites de la puberté, il est aussi considéré comme étant rituellement pur et, de la même façon que de vielles personnes, il peut officier certains actes religieux ».
L’initiation fonctionne ici telle une sorte de passerelle qui permet d’entrer dans la vie adulte avec tous ses droits et devoirs. « La puberté est marquée par le rite de passage le plus important, car, à partir de cette initiation, la personne devient « complète » dans toute l’acception du terme ». Le mot est lâché : l’initiation « complète » notre humanisation. Dès lors, l’initié « entre dans la période de la procréation. La personne est alors « centre de l’univers », en pleine possession de la vie qu’elle doit transmettre ». Toutefois, à y regarder de plus près, on réalise que l’initiation perd de plus en plus du terrain. Même si le Bukut des diola résiste encore à l’altérité, au temps et surtout aux assauts de la modernité, c’est que l’homodiolaensis est profondément ancré dans ses valeurs ancestrales.
En attendant, le Bukut de Niamone qui aura lieu l’année prochaine et qui est préparé depuis près de cinq bonnes années présage des festivités riches à tout point de vue.
Par Ibrahima Diakhaté Makama,
écrivain.
makamadiakhate@gmail.com