«Nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude». Cette expression d’origine latine qui a été popularisée par la jurisprudence, s’appliquerait à merveille à la bronca médiatique des journalistes sénégalais qui s’indignent devant le diktat que leur imposent les hommes politiques depuis un certain temps, lors des «conférences» de presse. Nous sommes révoltés d’être devenus des caisses de résonnance, des poseurs de micro et de simples preneurs de son.
Il ne s’agit là que de larmes de crocodile. Parce que si la presse sénégalaise jadis chantée, jalousée dans toute sa sous-région voire dans le monde francophone en est arrivée là, c’est qu’elle a, elle-même, creusé sa propre tombe. D’articles sur commande, au «marchandage» des «UNE», sans occulter la prolifération des séismes déontologiques, nous sommes tout simplement en train de tomber de Charybde en Scylla au grand dam des quatre «mousquetaires» et autres vaillants combattants pour la liberté de la presse, qui regardent impuissants, ce qu’ils ont bâti, s’écrouler comme un château de cartes. Ne cherchons pas très loin pour diagnostiquer le mal. Les journalistes sont devenus pour la plupart, des carriéristes et leur métier, un simple hobby. Quid des actionnaires de ces entreprises de presse qui pullulent comme des champignons ? Rien qu’avec les journaux dits d’informations générales, nous sommes à 29 quotidiens dans un marché publicitaire complètement désorganisé. Sans occulter les sites, radios, télévisions ou boites à images, etc. Il n’est donc pas exagéré d’écrire que beaucoup d’organes sénégalais ont la même fonction que des récépissés politiques convertibles en «mère porteuse» à chaque élection. C’est juste un moyen de pression sur l’État pour entretenir le « géniteur ».
Dans un article paru dans les colonnes de Sud Quotidien en juin 2016, nous soulignions déjà que sous l’ère wadienne, le régime avait favorisé la promotion de certains organes estampillés proche du Palais. Ils ont tous, ou presque disparu, après la perte du pouvoir des Libéraux, le 25 mars 2012. Avec Macky Sall, la méthode est plus subtile. Plus efficace. Plus pernicieuse et dangereuse de telle sorte que le Président de la République n’avait plus besoin de s’encombrer de conseillers en communication que Idrissa Seck avait qualifié de «dames de compagnie». Il a su profiter de la vulnérabilité des médias et de son accaparement par des hommes d’affaires, pour faire passer ses commandes, ses ballons de sonde. La connivence est telle que les citoyens avaient commencé à douter de ce que les médias leur livrent chaque matin. Le développement de l’internet est venu enfoncer clou. Fort heureusement d’ailleurs pour l’opposition sénégalaise. Sinon, elle allait être ostracisée et privée de parole surtout dans les médias publics comme Abdoulaye Wade et Macky Sall l’ont été, jadis. Désormais, ces hommes politiques nous dictent leur loi. Ils font des déclarations sur leur page facebook et s’imposent d’office à la presse qui ne peut que constater les faits et les relayer. Alors, ne les accusons surtout pas. Essayons plutôt de faire notre propre introspection au lieu de chercher des faux-fuyants en jetant l’anathème sur Abdoulaye Saydou Sow, Aminata Touré, Ousmane Sonko, Khalifa Ababacar Sall et autres Farba Ngom.
De nos jours, les journalistes quittent très tôt le terrain et s’embourgeoisent en se calfeutrant dans des bureaux climatisés pour finalement devenir ce que nous appelons dans le jargon des «Sénateurs». Ce sont les jeunes reporters et/ou stagiaires que l’on retrouve sur le terrain, livrés à eux mêmes et dont certains finissent par devenir des chasseurs de prime que nous cataloguons honteusement de «racaille». Tout le monde semble démissionné face à cette mort programmée de la presse. Espérons que le Syndicat national des Professionnels de l’information et de la communication (SYNPICS) qui travaille sur les assises de la presse parviendra à sauver la face. Mais il n’en sera ainsi que si et seulement si nous le voulons. Sinon, nous allons tous mourir de notre belle mort.