La Coupe du monde de football est le trophée le plus couru. Avant chaque compétition, cette œuvre de l’artiste italien, Silvio Gazzaniga, coulée dans de l’or pour un poids de 6,175 kg, fait le tour du monde pour être montrée dans les différents pays qualifiés pour la prochaine compétition. Le séjour du trophée draine les foules et les têtes couronnées, notamment dans les pays qui n’ont pas encore l’insigne honneur de l’avoir remporté. Le Président Macky Sall vient d’accueillir le trophée, qui lui a été apporté, le 7 septembre 2022, par une délégation de la Fifa dans laquelle on aura particulièrement remarqué notre compatriote, Fatoumata Samoura, Secrétaire générale de l’organisation sportive mondiale.
Le chef de l’Etat du Sénégal a déclaré sa flamme à ce magnifique et sublime trophée que tout le monde aimerait gagner. Le Président Sall n’a point été intimidé en y déposant un bisou, bien au contraire, il a clamé son ambition de gagner ce bijou tant convoité, de le ravir à tous les autres pays. Ce n’est pas l’audace ou le culot qui impressionne dans cette affaire ! Ce qui laisse sans voix, c’est le fait que personne n’a pu ou osé dire que Macky Sall s’est montré sans raison ou trop prétentieux ou que sa déclaration est déplacée. Pour cause ! Si son ambition est apparue on ne peut plus légitime, c’est parce qu’il a de bonnes raisons d’afficher cet objectif. Pour nous autres Sénégalais, ce n’était plus un rêve de jouer dans la «Cour des grands», pour reprendre le titre de l’album du duo Youssou Ndour et Axelle Red (2003). Ce tube avait été chanté pour la première fois lors de la cérémonie d’ouverture du Mondial 1998 en France.
Le Sénégal s’était incrusté dans cette «cour des grands», depuis la Coupe du Monde co-organisée par la Corée et le Japon en 2002. Avec le zèle du néophyte, le Sénégal s’était offert d’entrée de jeu, le scalp du champion du monde sortant, la France. Depuis lors, nous nous sommes convaincus qu’impossible n’est pas sénégalais ! Le Sénégal avait particulièrement brillé à l’occasion de cette compétition et peut désormais s’autoriser à considérer que «l’essentiel n’est plus de participer», mais de chercher à gagner. Aussi, le Sénégal peut désormais se prévaloir d’un palmarès enviable. Il a gagné, le 7 février 2022, la Coupe d’Afrique des nations de football, au Cameroun. Ce trophée est le plus convoité en Afrique. En outre, l’Equipe du Sénégal a la possibilité de présenter à toutes les lignes, à tous les postes, des joueurs qui font partie des meilleurs au monde. Des talents ont éclos et se sont confirmés et d’autres hardis tapent à la porte. L’esprit de «ce Sénégal qui gagne», qui aspire au meilleur et qui voudrait épater le monde, devrait inspirer dans tous les domaines de la vie nationale, notamment dans la conduite des affaires publiques.
Un gouvernement, une sorte d’équipe nationale des compétences
Albert Camus écrivait : «Vraiment, le peu de morale que je sais, je l’ai appris sur les terrains de football et les scènes de théâtre qui resteront mes vraies universités.» C’est une certaine mystique du jeu en société.
Une équipe qui gagne tient pour beaucoup à un bon «coach», un bon sélectionneur qui sait élaborer de pertinents plans de jeu. Mais le coach ne marque pas les buts à la place des joueurs ou n’arrête pas non plus les penaltys à la place du gardien de buts. Il faut donc, pour le coach, savoir dénicher les meilleurs talents, les motiver et les mettre en confiance pour obtenir le meilleur d’eux. Seule la victoire est belle et quand le succès est au rendezvous, personne ne cherchera à savoir si tel joueur vient de telle région du pays ou de la diaspora, ou qu’il est de telle ethnie ou de telle ou telle autre confession religieuse. Quand le Sénégal avait gagné la Coupe d’Afrique, personne n’a cherché à savoir qui parmi les joueurs était né à Dakar, Bambali, Poissy, Matam, Thiès ou Saint-Louis ! Tout le monde avait jubilé et chanté en chœur que «c’est le Sénégal qui gagne !». Certes, il y a au Sénégal autant de sélectionneurs de joueurs pour l’Equipe nationale qu’il y a de citoyens et tout autant de sélectionneurs de ministrables. Mais il reste que «el tactico», Aliou Cissé, pourrait inspirer le président de la République, Macky Sall, qui l’avait baptisé de ce petit nom complimenteur.
En effet, cette allégorie du football est juste pour dire, qu’à l’orée de la formation d’un nouveau gouvernement, à une période charnière de la trajectoire de notre pays qui se trouve fortement courtisé de partout, notamment pour ses fabuleuses découvertes en hydrocarbures, la logique devra être de constituer «une équipe nationale gouvernementale des compétences, pour ne pas dire des meilleurs talents».
Pour aspirer remporter une coupe, on n’aligne pas des novices, des néophytes, des pieds nickelés. C’est sans doute au pied du mur qu’on voit le maçon, mais la première des règles demeure que pour mériter sa place dans une équipe, il faudrait avoir préalablement su faire ses preuves, révélé des talents et aptitudes. Aliou Cissé ne pourrait point aspirer gagner une coupe et se ferait d’ailleurs rudement houspiller, s’il présentait une sélection en ignorant les joueurs déjà reconnus pour leurs talents et aptitudes, pour leur préférer de parfaits inconnus ou des joueurs claudiquant parce qu’ils seraient ses amis, copains ou proches. On dira la même chose du Président Sall qui est, plus que jamais, dans une situation où il devrait dans son prochain casting gouvernemental, choisir parmi ce que le pays recèle de meilleurs en termes de profils, savoir-faire, des personnes qui ont pu faire reconnaître leurs compétences et mérites. Le point de mire devra être de réunir les meilleurs profils pour faire gagner le Sénégal. Il ne saurait prétendre convaincre ou satisfaire tout le monde dans ses choix, mais on lui reconnaîtrait d’avoir fait abstraction de petits calculs ou de clivages subjectifs pour dresser son gouvernement. Tout choix procède d’un renoncement et il faudra renoncer, au prix de se faire violence. C’est ainsi que le sélectionneur peut se fâcher avec un joueur de talent, comme il peut ne pas aimer sa moustache ou ses dreadlocks ou sa façon de mettre son maillot dans son short, mais il ne continue pas moins à faire appel à lui. Le sélectionneur devra garder l’autorité et le pouvoir de décision pour remplacer tout joueur qui ne lui donne plus satisfaction. Les règles du football ont évolué dans ce sens pour augmenter le nombre de possibilités de remplacement en cours de match.
Les joueurs choisis ont cependant le devoir et l’obligation de manifester la déférence à l’endroit du coach et le respect de ses consignes de jeu. Chacun d’entre eux a aussi un devoir de loyauté vis-à-vis de ses camarades d’équipe. L’équipe ne pourrait être la meilleure si chacun joue avec un esprit égoïste, un individualisme prononcé ou cherche à ravir la vedette à tout le monde et privilégie son succès personnel ou sa propre image au détriment du groupe. Dans son livre, «Un Lion ne meurt jamais», Djibril Cissé rappelle un propos de Zizou : «Dans le football, les performances individuelles, ce n’est pas le plus important. On gagne et on perd en équipe.».
Le Sénégal se transforme en république «Banania»
Nous avons pris de bien mauvaises habitudes dans ce pays, depuis l’année 2000, avec la gouvernance du Président Abdoulaye Wade. Des Sénégalais avaient commencé à se donner en spectacle, à râler, protester, brûler le drapeau national, barrer des routes, saccager du mobilier urbain, parce qu’un des cadres de leurs territoires n’a pas été nommé au gouvernement. Jamais du temps de Léopold Sédar Senghor ou de Abdou Diouf, on n’a assisté à une telle situation et pourtant les gouvernements étaient plus serrés, étriqués à chaque fois.
Le Président Wade lui, cédait systématiquement à de tels chantages, ce qui a pu expliquer par exemple les nominations par rattrapage au gouvernement, d’un Kansoubaly Ndiaye (Pikine), du Dr Issa Mbaye Samb (Kébémer) ou d’un Bécaye Diop (Kolda). C’est à partir de cet épisode Wade que les listes de membres du gouvernement sont scrutées pour rechercher les patronymes, les ethnies, les appartenances confessionnelles ou les origines géographiques. Abdoulaye Wade en rajoutait une couche en narguant ses concitoyens avec certaines nominations controversées, en disant même qu’il pouvait nommer qui il voulait et se laissait comparer à Caligula, un souverain de la Rome antique, qui songeait à nommer Consul, son cheval préféré, «Incitatus», comme pour faire un pied de nez aux Sénateurs. L’ancien Premier ministre, Mamadou Lamine Loum, dans un cortège d’une marche avec Ousmane Tanor Dieng, Abdoulaye Bathily, Amath Dansokho et JeanPaul Dias, entre autres, nous faisait rire, en disant avec un dépit amusé, «on ne mesurera les dégâts de Wade que 20 ans après son départ de la tête de l’Etat».
En 2012, le Président Macky Sall avait semblé rompre avec cette mauvaise tendance. Dans le premier gouvernement d’Abdoul Mbaye, avec une liste de vingt-cinq membres, il avait procédé à un dosage respectant sans doute certains équilibres majeurs entre ses différents alliés politiques, mais on a pu noter quelques récriminations. Le Président Sall a voulu les entendre et s’était engagé dans une logique de chercher à compenser des frustrations par des séries de nomination. Il arrivait d’entendre dire que telle cohorte de nominations du Conseil des ministres était pour le Fouta ou pour Fatick ou pour telle autre région. Les cadres des autres régions attendaient impatiemment leur tour.
C’est sans doute ce qui a fait le lit d’une certaine stigmatisation de plusieurs nominations à des emplois publics. Les idéaux républicains en ont souffert, d’autant que les dépositaires de ces emplois publics se croient plus redevables à leur patelin ou terroir qu’à leurs mérites ou compétences, à la Nation tout entière ou même au chef de l’Etat. Les cas de discrimination sont légion dans les répartitions des ressources et opportunités que peut offrir l’Etat. L’autorité du chef de l’Etat s’en trouve érodée, avec la perspective de votes sanctions, des autorités religieuses et coutumières ont repris du poil de la bête pour avoir des prétentions ou exigences dans certaines nominations.
On a davantage de grosses craintes à nourrir pour notre commune volonté de vivre ensemble à cause notamment des boules puantes lancées contre la belle tunique de la République par Ousmane Sonko et certains de ses partisans. Le leader de Pastef accuse régulièrement les autorités de l’Etat, et particulièrement le chef de l’Etat, de discrimination négative et d’ostracisme contre les populations de la région naturelle de Casamance et surtout de l’ethnie Diola. Un tel discours haineux est à pourfendre et punir, d’autant que son auteur n’a même pas eu de scrupule jusqu’à le porter sur la scène internationale à force d’affabulations (voir notre article du 12 juillet 2022 : La Cpi rejette la plainte de Sonko contre le Sénégal). La République ne devrait pas pardonner de telles ignominies.