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Balinghor 2022, Mon Bukut A Moi

Balinghor 2022, Mon Bukut A Moi

En terre Casamançaise au Sénégal, le Bukut est un événement multidimensionnel, fondamental et majeur dans l’existence et la civilisation de la communauté diola, en parfaite fusion avec d’autres communautés alliées et voisines.

L’édition précédente du Bukut du village de Balinghor, tenue en 1982, alors toute petite fille encore frêle et cheveux perlés au vent, j’ai eu la chance de la vivre, en toute innocence, mais avec un intérêt particulier pour les danses, chants et autres us et coutumes des familles de Bakinta et Balève. Ces  souvenirs-là sont restés vivaces quand, 40 ans après, je me suis retrouvée mère de famille dont un jeune adolescent devant, naturellement, faire son entrée dans le bois sacré. Dès lors, en 2022, l’innocence a fait place à l’engagement et à la prise de responsabilité.

Ce Bukut Balinghor 2022 a révélé, oh quelle fierté, mon ancrage dans ma culture diola, surprenant plus d’un.

En effet, dès que la date avait été retenue, les préparatifs étaient déclenchés au niveau individuel et familial et nous avions commencé à porter nos perles afin de mieux divulguer le Bukut qui arrivait ; les concertations, réunions et rencontres familiales permettaient de mettre en exergue et valoriser le rôle fédérateur nous étant dévolu en famille. Et cela traduit toute la quintessence du Bukut qui, au-delà des moments de retrouvailles, nourrit et pérennise le sentiment d’appartenance, la commune volonté de vivre ensemble, l’exigence de solidarité et de partage.

La claire compréhension de ces valeurs constitue un viatique indispensable pour qui veut jouer son rôle au Bukut. Nous avions compris l’essentiel et nous y sommes allés, avec enthousiasme et générosité.

La route allant de Senoba à Bignona, parsemée de creux, de dos de… chameaux et de multiples autres défoncements, représente un douloureux calvaire que ne mérite point la belle Casamance. Les images défilent, du vert à perte de vue, des maisons humbles, voire des masures autour desquelles déambulent des chèvres de toute petite taille. A cet instant, mon garçon qui s’exclame : « Mamy, pourquoi il n’existe pas ici de bonnes routes qui auraient permis aux jeunes de voyager, faire des découvertes et mieux connaître cette merveilleuse partie de notre pays ? »

Pour ma part, mon cœur a saigné, surtout en pensant aux personnes malades, personnes âgées ou porteuses de certains types de handicap.

Enfin, à 15h, toute de rouge vêtue, je foule le sol de Balinghor, bercée et tout aussi enorgueillie par les sonorités et couleurs des jeunes et femmes qui revenaient de Djimende. Puis, cap sur Kingnong, l’un des vieux quartiers de Balinghor. Oussou, mon garçon, semble anxieux, cela se note sur son visage pendant qu’il avait déjà arboré la tenue propre aux initiés ; à cet instant, il appréhende la danse exigée à l’arrivée. Et arrive Khady, venue à la rescousse avec les autres cousines qui remplissent l’espace et enclenchent des envolées lyriques. Les hommes de la famille nous reçoivent et à eux, je livre leur fils, pour ne plus avoir aucun droit sur lui jusqu’à la fin du Bukut. Oussou parti, les femmes nous indiquent notre chambre et nous prenons nos aises. Hélas, c’était pour peu de temps, car les choses sérieuses allaient vite arriver.

Au Bukut, les femmes, notamment les mamans des initiés, les tantes paternelles et maternelles sont fortement présentes et jouent un rôle incommensurable sur l’ensemble du processus, de la préparation à la clôture. En réalité, ce rôle, au-delà de la gestion de la « marmite », porte nettement sur la protection et la sauvegarde de la famille…

Les activités culinaires, domaine sensible, y sont d’une telle complexité qu’elles nécessitent beaucoup d’efforts d’organisation renouvelés pour pouvoir s’adapter en permanence à des situations changeantes du jour au lendemain. Et là, se manifeste encore une fois toute l’importance des dynamiques de solidarité qui vont au-delà de la famille, pour toucher toute une communauté aux multiples ramifications.

En définitive et assurément, la fonction multiple du Bukut, sa dimension et ses impacts appellent d’innombrables efforts de tous ordres, singulièrement au plan financier, avec un coût très difficile à pré-estimer. Malgré tout, il me plaît de souligner, relativement aux dépenses qui se sont imposées, que je suis loin de regretter tous les moyens importants que j’ai mobilisés, en plus des appuis et contributions consentis par des amis, des collaborateurs, des voisins très proches que je tiens à remercier ici, infiniment.

Le Bukut a été l’occasion de s’enrichir de nouvelles rencontres et de mieux s’imprégner de la culture et des valeurs du terroir dont l’importance et le sérieux qui sont formellement accordés aux liens de sang…

Lors de ce Bukut à moi, j’ai eu l’immense plaisir d’y accompagner mon fils, qui a pu aller rendre visite à ses oncles, tantes, grands-parents, contribuant ainsi à raffermir ses liens de sang, avec la complicité des cousins, mères, belles-mères, belles-sœurs qui ont été d’un grand soutien.

Ici, c’est un devoir pour moi de noter que l’implication des frères de mon mari a permis de ne pas ressentir son absence involontaire pour des raisons professionnelles…

Dès lors, puisque les initiés ont pu entrer dans le bois, y bien manger et en ressortir une semaine après sains et saufs ; que les tantes ont pu venir, s’investir et rentrer toutes ravies ; que nous avons pu réunir les conditions optimales pour assurer la prise en charge des besoins vitaux, je peux affirmer que mon Bukut à moi a été une belle aventure, riche et apprenante qui va constituer une source inépuisable d’inspiration dans mon vécu personnel et socio familial et pour le renforcement de notre sentiment d’appartenance à une communauté unie, engagée et solidaire dans notre pays.

Je suis fière d’avoir fait ma part de Bukut, dans le frisson, la confiance et l’espoir !

Que le Seigneur nous accorde d’être là au prochain Bukut, dans 30 ou 40 ans, en étant aptes à y prendre part !!!







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