Je m’étonne de l’indignation et de l’étonnement des Sénégalais devant le spectacle que nos honorables députés nous ont offert lors de l’installation de la XIVe législature. Nous sommes dans un système de démocratie représentative et les députés sont nos représentants et sont donc à l’image de ceux qu’ils représentent et qui les ont élus pour les représenter. Le spectacle de l’installation de la XIVe législature est simplement ce que nous sommes devenus.
Sur le plan politique, le Sénégal est passé à l’indépendance, du débat des agrégés avec Léopold Sédar Senghor, Cheikh Anta Diop, Abdoulaye Wade, à Karim Xrum Xrax. Pour le Parlement, on est passé des aristocrates sur le plan intellectuel comme Fara Ndiaye du Pds, Abdourahim Agne du Ps, Ousmane Ngom du Pds, Djibo Ka de l’Urd, aux gladiateurs et insulteurs. La Société civile qui, heureusement, était entrée par effraction dans le débat public, dans la marche vers la première alternance 2000 et avait beaucoup contribué à l’éveil de la conscience citoyenne, est devenue aujourd’hui un repaire de rentiers de la tension.
On est passé de Mame Adama Guèye et ses jurys citoyens pour auditer les candidats à la Présidentielle et créer ainsi le débat, à l’inquisition du «Professeur» Cheikhou Oumar Diagne et à l’ignominie permanente de la double peine que les médias imposent à la famille du juge Babacar Sèye avec la présence médiatique de Clédor Sène. Ce monsieur, condamné pour le meurtre d’un juge constitutionnel, n’a pas sa place dans le débat public. L’image de Guy Marius Sagna, debout sur les tables de l’Hémicycle, illustre ce que le Sénégal de Senghor et Me Lamine Guèye est devenu. Ce n’est pas un problème de règlement intérieur ni de civisme, mais un simple problème d’éducation.
Nous sommes loin du Parlement britannique où une simple table sépare depuis des siècles, le Premier ministre du chef de l’opposition, ou du Congrès américain où, lors de l’assaut sur le Capitole, les furies sont venues de l’extérieur. Ce que nous avons vu hier à l’Assemblée est le reflet de ce que le Sénégal est devenu sur le plan politique, mais aussi sur le plan intellectuel. C’est pourquoi j’avais dit dans ces colonnes il y a quelques mois, que la grosse polémique intellectuelle entre le philosophe Souleymane Bachir Diagne et l’écrivain Boubacar Boris Diop était comme des vestiges d’un Sénégal qui n’existe plus, comme les ruines du Parthénon ou du Colisée qui témoignent de la grandeur de la Grèce et de la Rome antique.
Le spectacle de l’Assemblée nationale se joue de façon quotidienne dans la circulation, surtout au niveau des ronds-points, devenus de véritables labos de sociologie de l’incivisme. Le débat est l’âme de la démocratie. Au Sénégal, le débat n’est pas pauvre. Il n’existe presque pas. S’il existait, on en poserait un sur Guy Marius Sagna qui demandait le 13 mars 2012 sur sa page Facebook, «un référendum d’autodétermination de la Casamance avec l’accord du Mfdc». La guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens, nous dit Clausewitz. La politique de profanation et de désacralisation de l’Etat et de nos institutions n’est rien d’autre que la continuation de la guerre du Mfdc par d’autres moyens politiques.
La XIVème législature tient déjà ses promesses. C’est déjà une Assemblée de rupture car c’est la première fois qu’un député se met debout sur la table et c’est aussi la première fois, ou l’une des rares fois, que les Forces de l’ordre interviennent dans l’Hémicycle depuis les évènements de 1962. «Le militant agissant comme député en votant dans un sens ou un autre, engage, au-delà du parti, la Nation tout entière… Le parti est une fraction du pays, il n’a autorité et juridiction que sur ses militants, tandis que les députés Ups et d’autres, en votant dans un sens ou un autre, engagent l’ensemble du pays.» Ainsi parlait, le 26 février 1963, le président Lamine Guèye devant le juge d’instruction comme témoin, comme le rapporte Ousmane Camara dans son livre Mémoires d’un juge africain.
Dans les années 1960, la fragilité de nos institutions a été compensée par la grandeur des hommes politiques qui voulaient hisser le Sénégal à leur niveau, alors qu’aujourd’hui, des institutions très solides compensent le manque de relief des acteurs. L’exception sénégalaise a été possible grâce à des hommes exceptionnels comme Senghor, Wade, Cheikh Anta Diop, Me Lamine Guèye, qui n’auraient jamais imaginé que le débat descendrait au niveau de Karim Xrum Xrax ou Kounkandé, car de leur temps, il y avait une frontière entre le marbre du Sénat et la poussière du Colisée.