Le triste spectacle de l’installation de la quatorzième législature de l’Assemblée nationale du Sénégal laisse sans voix. Les scènes de chaos, l’irresponsabilité de nos élus, les empoignades et la présence des gendarmes ne font que nous conforter dans notre logique qu’un Parlement aussi hétéroclite, avec des élus plus irresponsables les uns que les autres, n’accoucherait de rien de bon pour la démocratie sénégalaise (revoir notre chronique : «Les affreux affronts faits à l’Administration»).
Entre les micros arrachés, les députés qui se sont pris pour des lutteurs, les chahuts de parlementaires fraîchement élus, le monologue insolent d’une démagogue comme Mame Diarra Fam se voyant dans les étoffes d’une Domina romaine face à ses sujets et l’intervention de la gendarmerie pour organiser un vote, on peut se dire que l’artiste Banksy aurait une sacrée matière au Sénégal pour repeindre en 2022 son fameux tableau «Devolved Parliament».
L’artiste mettait en scène en 2009, une Chambre des communes remplie de chimpanzés, occupant les banquettes des parlementaires. Cette peinture, qui s’est vendu à plus de 12 millions d’euros en 2019 chez Sotheby’s, faisait écho à une de ses œuvres, où il avertissait de façon prémonitoire sur le risque des populistes et des démagogues en politique. Un singe à la fière allure portait à son cou, une pancarte avec l’inscription : «Rigolez aujourd’hui, mais un jour nous serons aux affaires.» La résonance avec ce qui se passe au Sénégal ne pourrait être plus forte. Quand on s’imagine qu’un Perchoir occupé par des personnalités d’une grande étoffe comme Lamine Guèye, Amadou Cissé Dia ou Moustapha Niasse aurait pu un jour voir trôner un «fils à papa» fonçant vers la cinquantaine, sans aucun fait d’armes, à l’exception d’être une grande gueule et de manier le revolver ! On ne peut qu’être dégoûté, par ce que nous offre la politique sénégalaise.
Avec un tel Parlement, le Sénégal pourra bientôt avoir, à l’image du Capitole américain, sa frise chronologique des incidents violents au sein du Congrès et du Sénat. Cette frise est d’ailleurs une lecture conseillée à toute personne indignée par le spectacle du Parlement sénégalais, pour comprendre que les lieux de pouvoir, s’ils ne sont habités par des gentlemen, sont pires que des fosses aux lions.
Les tenants du pouvoir sont aussi à blâmer pour cet état de fait. Le nivellement par le bas et la promotion assumée d’une médiocrité à tous les niveaux ont assuré un lit à l’insolence, à la défiance outre-mesure et à l’irresponsabilité pour en faire des sources de gain politique. Si la scène politique a pu faire éclore autant de canards boiteux se pensant doués d’une légitimité d’Apollon, c’est parce que la machine Benno bokk yaakaar (Bby) n’a cessé de se noyer dans des compromis, cautionnant les errements de ses élus, se refusant toute introspection et tout contact avec la réalité hors des arcanes du pouvoir. Il ne faut pas être surpris quand des mensonges dont tous ont la certitude, sont bien plus audibles auprès des populations que les paroles gouvernementales et étatiques bien qu’elles s’appuieraient sur des faits irréfutables. Le Parlement sénégalais n’a pas déçu pour le cirque offert à sa rentrée. Le chaos est bien devenu une voie d’ascension sociale et politique. Les singes les plus agiles sauront bien sautiller d’arbre en arbre pour s’inviter au sommet. Entre les Locales de janvier 2022 et les Législatives de juillet 2022, on aura été convaincu que la politique sénégalaise est une lampe magique, en la frottant avec insolence et irrévérence, tous les rêves sont possibles !
Le chaos offert par l’installation de la quatorzième législature laisse davantage un goût amer quand on se rappelle que le 22 septembre prochain, sera le quatrième anniversaire de la disparition de Bruno Diatta.
L’emblématique chef du protocole des Présidents Senghor, Diouf, Wade et Sall aura marqué ce pays et sa vie publique par sa rectitude, son humilité, sa discrétion et son professionnalisme. Au vu de ce que deviennent notre Administration publique et notre scène politique, on ne peut s’empêcher de prier à ce que le parcours d’un tel homme d’exception soit davantage partagé aux nouvelles générations. On ne peut nous laisser avec des fanfarons sans pedigree professionnel, encore moins une once de respect et de courtoisie.
Feu Ousmane Tanor Dieng, qui avertissait sur le danger de mains inexpertes à la tête du Sénégal un jour, avait une formule dans son ode à Bruno Diatta, qui ne cessera de détonner. «De toi, cher Bruno, les générations présentes et futures retiendront, entre autres, que les bavards sont ceux qui, peu, savent», disait-il. Nos «singes» bavards et surexcités du Parlement devraient lire ces lignes. Le Sénégal ne mérite pas le chaos de leurs cris et la démesure de leur conduite.