On savait que l’état de santé déjà précaire de notre démocratie s’était sérieusement aggravé depuis 2012. C’est seulement grâce à nos anciennes traditions d’ouverture et à la solidité de nos ressorts démocratiques, que le funeste projet d’installation d’une autocratie pétrolière n’a pas encore abouti.
Les évènements de la semaine dernière, censés être des moments forts dans l’agenda républicain, viennent confirmer, que notre démocratie, tant chantée, est devenue dysfonctionnelle.
Le premier argument en faveur de cette thèse est cette obsession hégémonique avec une instrumentalisation sans précédent de l’appareil d’Etat à des fins diverses :
- clientélistes (multiplication de projets, surtout somptuaires, bourses de sécurité familiale…)
- corruptrices (transhumance, nominations, mallettes d’argent …)
- et répressives (neutralisation d’adversaires politiques, arme fiscale…)
De plus, on a noté un essor sans précédent des fraudes électorales de seconde génération, en amont du jour de vote, allant du tripatouillage de l’état civil, à l’inscription massive de militants de la mouvance présidentielle dans le fichier électoral, au transfert d’électeurs, en passant par l’invalidation arbitraire des listes de candidatures de l’opposition …
C’est grâce à tous ces procédés que le camp de la majorité a pu organiser la réélection frauduleuse de son candidat, lors de la présidentielle de février 2019, d’autant plus facilement, que le président sortant bénéficie toujours, dans ces cas-là de la prime au sortant et de la bienveillance de larges secteurs de la classe politique intéressés par le partage de prébendes et de strapontins.
Depuis la survenue de la pandémie de Covid-19 et ses conséquences sociales fâcheuses, une atmosphère sociopolitique délétère s’est installée, contribuant à l’accentuation de la défiance contre la gouvernance calamiteuse du régime de Benno Bokk Yakaar.
C’est le moment choisi par les officines obscures du pouvoir apériste pour tenter, au moyen d’une cabale mal ficelée, de « briser les ailes » d’un homme politique, en pleine ascension et qui avait été la révélation de la présidentielle de 2019.
Mal leur en a pris, car tous les observateurs politiques s’accordent pour acter le début de la phase de déclin de la coalition présidentielle, à partir des émeutes de février – mars 2021, qui même si elles avaient un soubassement socio-économique, ont été enclenchées par l’affaire Sweet Beauty. Elles seront suivies des déconvenues électorales de la majorité aussi bien aux élections locales qu’à celles législatives de cette année.
Un autre élément explicatif de la déliquescence de notre système démocratique se trouve dans cette incapacité de nos gouvernants mais aussi de certains opposants de tirer les bonnes leçons des moments de crise ou des résultats électoraux pour entamer une nouvelle étape de renouveau démocratique.
C’est ainsi que l’installation des députés de la quatorzième législature a été chaotique, surtout à cause de la conception désuète que Benno Bokk Yakaar continue d’avoir de la démocratie et de ses rapports avec la classe politique et qui s’est cristallisée par des manœuvres de bas étage du clan présidentiel, provoquant l’ire des nouveaux députés de Yewwi.
Résultats de courses : c’est à l’ombre des baïonnettes et avec la complicité de la gendarmerie que le peuple sénégalais a assisté, en direct à un hold-up électoral au Parlement, faisant d’un ami de la famille présidentielle, le président de la deuxième institution du pays.
En effet, l’élection du président de l’Assemblée Nationale a combiné un chantage moral, contraignant tous les députés de la majorité à s’engager, par écrit, à voter pour le candidat désigné par le tout puissant Manitou et l’utilisation frauduleuse de la procuration de Mme Aminata Touré. D’ailleurs, un minimum d’éthique républicaine aurait dû dissuader tout démocrate sincère de participer à cette mascarade.
Concernant le remaniement du 17 septembre 2022, il semble être intervenu, avec plusieurs mois de retard, pour espérer résorber la grave crise économique et sociopolitique, qui sévit dans notre pays, ces dernières années.
Sous ce rapport, il s’inscrit dans cette tradition d’attentisme devenue paradoxalement emblématique de la gestion du chef de l’Etat, même s’il a annoncé, lors de la suppression du poste de Premier ministre, son option pour le fast-track. Si le président Macky Sall est devenu lent à la détente, lui qui avait pourtant la réputation d’être expéditif, comme le prouve sa propension à user des procédures d’urgence, c’est que sa marge de manœuvre ne fait que se rétrécir.
En général, les remaniements ministériels relèvent essentiellement d’un désir de respecter la tradition républicaine, mais ils permettent parfois d’apporter des correctifs et d’impulser une nouvelle dynamique pour la majorité en place, après la survenue d’évènements politiques majeurs comme une crise politique grave ou une consultation électorale importante.
Malheureusement, l’attelage gouvernemental lourd et disproportionné, qui vient d’être échafaudé, même s’il comporte quelques personnalités honnêtes, brillantes et désireuses de servir la communauté nationale, ne pourra sortir notre pays de l’ornière.
En l’absence de vision humaniste et progressiste, il ne sert à rien de ne s’en remettre qu’aux seules vertus de l’expertise personnelle, aussi pointue soit-elle, surtout si l’Exécutif gouvernemental est instrumentalisé et mis au service d’intérêts égoïstes et / ou antinationaux, comme cela est clairement ressorti de l’installation de la quatorzième législature.
L’enrôlement de jeunes loups connus pour leur fanatisme dans la défense systématique – dans la presse et les réseaux sociaux – des dérives du pouvoir apériste ne réussira pas à juguler la défiance exponentielle envers la gouvernance autocratique d’un président prêt à tout pour décrocher un troisième mandat illusoire.
La seule issue est de tirer profit de l’équilibre des forces au niveau du Parlement, résultat des dernières élections législatives, pour engager des concertations nationales, en vue d’engranger des progrès dans la satisfaction de la demande sociale, une refondation institutionnelle réelle, l’approfondissement de la démocratie et une souveraineté économique véritable.