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La Loi D’amnistie, Une Fausse Solution À Un ProblÈme Juridique Imaginaire

La Loi D’amnistie, Une Fausse Solution À Un ProblÈme Juridique Imaginaire

Hier en Conseil des ministres, le chef de l’État Macky Sall a instruit le ministre de la Justice de préparer dans les meilleurs délais un projet de loi d’amnistie afin d’intégrer dans le corps électoral des personnes supposées en être retirées (Karim Wade et Khalifa Sall). Cette loi d’amnistie est inopportune au regard du droit positif puisque ces derniers n’ont jamais perdu de tels droits.

Juridiquement, le corps électoral se définit comme l’ensemble des personnes qui bénéficient juridiquement du droit de vote. Dans une démocratie, il est considéré comme le premier des pouvoirs car tous les autres dérivent de lui soit directement, soit indirectement. Aujourd’hui, les conditions exigées pour faire partie du corps électoral sont limitativement énumérées par l’article 3 alinéa 4 de la Constitution : « Tous les nationaux sénégalais des deux sexes, âgés de 18 ans accompli, jouissant de leurs droits civiques et politiques, sont électeurs dans les conditions déterminées par la loi ». Trois conditions sont alors exigées pour bénéficier de la qualité d’électeur : nationalité, âge, jouissance des droits civils et politiques.

Ainsi, par exclusion, ne sont pas, en principe, électeurs ni éligibles, les individus condamnés pour crime, ceux condamnés à une peine d’emprisonnement sans sursis ou à une peine d’emprisonnement avec sursis d’une durée supérieure à un mois, assortie ou non d’une amende pour vol et escroquerie, abus de confiance, trafic de stupéfiants, détournement et soustraction commis par les agents publics, corruption et trafic d’influence, contrefaçon et en général pour l’un des délits passibles d’une peine supérieure à cinq (05) ans d’emprisonnement, ceux qui sont en état de contumace, les faillis non réhabilités dont la faillite a été déclarée soit par les tribunaux sénégalais, soit par un jugement rendu à l’étranger et exécutoire au Sénégal, ceux contre qui l’interdiction du droit de voter a été prononcée par une juridiction pénale de droit commun et les incapables majeurs. Cependant, cette incapacité dont il est question ici ne peut résulter que d’une décision de justice. Elle comporte deux dimensions : incapacité intellectuelle et incapacité morale. C’est ce dernier cas que vise l’instruction du chef de l’État au ministre de la Justice.

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L’incapacité morale est la situation d’une personne qui, à la suite d’une condamnation pénale, est privée de ses droits civiques, civils (et de famille), notamment sur le droit de vote et l’éligibilité. C’est une peine complémentaire, c’est-à-dire qu’elle vient s’ajouter à une peine de prison ou d’amende prononcée à titre principal par le juge. Une peine complémentaire ou accessoire ne se présume pas. Elle doit être clairement prononcée par le juge et il n’existe aucune automaticité entre une peine ou amende et la privation des droits civiques et politiques. C’est pourquoi, selon le Conseil constitutionnel français, le principe de la nécessité des peines, posé par l’article 8 de la DDHC, implique que toute peine, fût-elle complémentaire, doit être expressément prononcée par le juge pour qu’il vérifie qu’elle correspond bien, dans ce cas particulier, à l’exigence de nécessité. C’est ainsi que la haute juridiction constitutionnelle, à travers la décision n° 2010-67 QPC du 11 juin 2010, a abrogé l’article 7 du code électoral qui prévoyait la radiation des listes électorales des personnes dépositaires de l’autorité publique, chargées d’une mission de service public ou investi d’un mandat électif public lorsqu’elles commettent certaines infractions pendant une durée de cinq ans à compter de la date à laquelle cette décision était devenue définitive. Cette exigence constitutionnelle rattachée à l’article 8 de la DDHC de 1789, est généralement désignée sous le nom de « principe d’individualisation des peines ». Par ailleurs, conformément à l’article 8 de la DDHC de 1789, il ne suffit pas qu’une peine soit individualisée. Il faut encore qu’elle soit « nécessaire », c’est-à-dire justifiée par les besoins de la société. Sur l’appréciation de la nécessité, le Conseil constitutionnel n’exerce en général qu’un contrôle restreint, car liée de près à l’opportunité. Il faut rappeler ici que c’est à tort que le juge électoral sénégalais avait rejeté la candidature de monsieur Khalifa A. Sall. En effet, le Conseil avait violé le principe constitutionnel de l’individualisation des peines contenu dans la DDHC que reconnait le préambule de notre charte fondamentale (une partie intégrante de la Constitution). Le ministre de l’Intérieur avait aussi violé la loi en radiant monsieur Karim de la liste électorale alors qu’aucune décision judiciaire ne mentionne expressis verbis qu’il perd ses droits civiques et politiques. Le ministre de la Justice d’alors Me Sidiki Kaba avait raison de déclarer que monsieur Wade gardait ses droits civiques et politiques. (À noter que dans l’affaire Karim Wade, ses conseils ont commis un vice de procédure en saisissant une juridiction incompétente). Enfin, logique pour logique, on ne peut laisser siéger à l’Assemblée nationale un député dont la société avait été déclarée en faillite par une décision de justice (visé par l’incapacité électorale) et radier les autres condamnés de la liste électorale.

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En résumé, un projet de loi pour permettre à certains opposants de retrouver leurs droits civiques et politiques n’est naturellement pas nécessaire puisque ces derniers ne les ont jamais perdus. Le respect de l’esprit de la loi ou au mieux l’abrogation de certaines dispositions des articles L29 et L30 du Code électoral sont des solutions qui s’offrent au pouvoir. La loi d’amnistie pour les personnes ayant perdu leurs droits civiques est donc une fausse solution à un problème juridique inexistant. Jetons un regard dans la glace des bonnes pratiques démocratiques.

Dr. Mamadou Salif Sané est Enseignant-chercheur/UGB.







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