Les médias plus précisément ceux qui sont indépendants et impartiaux sont désignés comme une médiacratie voire comme un quatrième pouvoir appelé à contrebalancer ceux de l’exécutif, du législatif et du judiciaire. Ce qui fait l’importance des médias dans une société démocratique. Seuls ces médias indépendants peuvent apporter aux citoyens un éclairage irremplaçable sur l’actualité politique, mais aussi économique, sociétale, scientifique, sportive et autre. Aussi les rapports avec les acteurs politiques de tous bords doivent-ils être bâtis sur le socle de l’indépendance et de l’impartialité. Mais nous faisons le constat d’un climat incandescent et d’une attitude de défiance au plus haut niveau de l’opposition à l’égard des médias et de la manière de travailler des journalistes.
Cela se caractérise depuis un peu longtemps par une kyrielle de diatribes itérées, ouvertes et permanentes. Depuis les critiques de Barthélemy Dias contre le Groupe Futurs médias (GFM) au cours de l’émission Faram Facce du 21 septembre passé et la réplique de Babacar Fall dans RFM matin du 23 septembre, la toile ne cesse de s’enflammer sur l’attitude jugée impudente du très professionnel rédacteur en chef de la RFM. Pour les internautes, c’est une attitude lâche de s’attaquer au maire de Dakar au terme d’une émission dont le sujet était loin de son déchainement exacerbé contre Barth. Le crime de lèse-journaliste de ce dernier, c’est d’avoir appelé le GFM à faire son introspection car pour lui, le groupe de Youssou Ndour, docile sous l’ère Macky, détonne avec celui qui est a été à l’avant-poste des batailles démocratiques de 2011-2012. Et la posture de GFM qui a fait abstraction des événements de mars 2021 en refusant de les diffuser à travers ses différents organes et plateformes numériques en est une illustration éloquente.
D’ailleurs pour Barth, si des groupes de jeunes se sont attaqués à l’immeuble Elimane Ndour qui regroupe la RFM et l’Observateur, c’est parce que ledit groupe a failli à sa mission de service public. Dès lors, pour l’édile de la marie de Dakar, un regard introspectif permettrait à GFM de se demander la raison de la révolte des jeunes contre un groupe qu’ils adulaient naguère. Même si le journaliste Pape Ngagne Ndiaye réfutait à juste raison les diatribes de son vis-à-vis, il n’empêche que Barth avait subrepticement passé son message. Ces propos critiques ont troublé la quiétude de certains responsables du groupe de Youssou Ndour au point que le très professionnel Babacar Fall a cru, à brûle-pourpoint, s’attaquer violemment à Barth en usant d’un langage volcanique qui a enflammé la toile. Plusieurs internautes qui se reconnaissent dans les propos de Barth se sont érigés en garde prétorienne du maire de Dakar pour noyer l’animateur de RFM-matin dans le torrent de lave de ses injures.
Et il a fallu cinq jours après les critiques acerbes de Barth contre GFM pour qu’Ousmane Sonko en rajoutât une louche lors d’un point de presse. Le leader du Pastef qui n’a pas bonne presse dans la presse sénégalaise s’en est pris à certains patrons de presse dont le manque d’indépendance et de neutralité met à nu leur connivence voire leur inféodation au pouvoir dominant. Qu’est-ce qui explique ces relations tendues voire conflictuelles entre la presse et les opposants radicaux au régime de Macky Sall ? Pour ces hommes politiques, les attaques infondées qu’ils subissent dans la presse sont le fait de ces patrons de presse qui mangent dans le râtelier de la présidence et qui, en contrepartie, commanditent des papiers orientés les éclaboussant de toutes les ignominies.
Macky Sall, qui connait bien le secteur de la presse et ses modalités de fonctionnement a développé dès le début de son magistère une stratégie d’affaiblissement dudit secteur en ne développant pas une politique économique qui puisse leur garantir une indépendance financière. Aucun modèle économique n’a été soumis à la presse pour la libérer de ses sempiternels besoins. De 2012 à 2022, rien que des aides squelettiques à la presse dont la consistance des parts se fait sur le critère de sa proximité voire de son assujettissement au pouvoir. La stratégie de Macky Sall, c’est de stipendier tous ces médias qui croulent sous le poids des charges fiscales, financières ou laisser certains oligarques parrainer des journaux qui, chaque jour, ne font que leurs éloges s’ils ne clouent pas à la moindre incartade au pilori les opposants dont le portefeuille ne peut pas acheter une seule une de journal. Le seul acquis des journalistes sous le magistère de Macky, c’est le vote d’un code répressif qui aliène leur liberté d’informer.
Le modèle économique des entreprises de presse n’est pas viable parce qu’inopérant. Aujourd’hui, il est impératif pour les patrons de presse de réfléchir sur un modus operandi économique qui les préserverait de tendre systématiquement la main aux autorités, lesquelles attendent toujours une contrepartie des libéralités qu’ils leur font bénéficier. Le vendredi 12 juillet 2013, au sortir d’une rencontre entre le CDEPS et le président de la République M. Macky Sall, Madiambal Diagne alors président de l’entité qui regroupe les patrons avait déclaré au micro de la RTS que « la presse sénégalaise est sinistrée ». Ce collapsus de la presse sénégalaise avait conduit Macky Sall à leur effacer une dette fiscale de 7,5 milliards. Pourtant 23 mois au préalable, le président Wade avait fait voter une loi qui apurait 12 milliards de dette fiscale en faveur de ces patrons de presse. Donc pour mieux avoir une emprise sur la presse, autant les maintenir dans la situation de précarisation et de paupérisation, autant les maintenir dans une perfusion financière au point que les patrons des médias privés, privés illégalement de publicité au profit des médias publics budgétivores, sont obligés d’aller à Canossa pour faire face aux lourdes charges de leurs entreprises.
Si Ousmane Sonko à l’instar d’autres leaders de l’opposition entretient des rapports tendus avec une certaine presse, c’est parce que cette dernière a systématiquement servi de bras armé au pouvoir pour le liquider politiquement. Et c’est cette même presse qui a accusé à tort et sans preuve de terroriste le défunt imam Alioune Badara Ndao alors que la justice l’a blanchi in fine. Les tortures subies par imam Ndao et qui ont eu des effets néfastes sur la dégradation de sa santé jusqu’à sa mort n’ont jamais été relatées par cette presse très prompte à investiguer sur des fariboles. Le jeudi 10 janvier 2019, soit deux semaines avant la présidentielle, des révélations colportées par les Echos et l’Obs polluaient l’espace médiatique faisant croire que le candidat Ousmane Sonko avait reçu des pots-de-vin de la part de Tullow Oil. Ces révélations, qui étaient prêtées à la journaliste britannique Michelle Damsen, s’étaient avérées être des fake news.
Dans l’affaire Adji Sarr de mars 2021, pourtant un homme d’affaires très nanti proche du Prince avait convoqué une presse choisie prudemment dans un hôtel de la place pour leur proposer une information-marchandise (viol présumé d’Adji Sarr par Ousmane Sonko) moyennant espèces sonnantes et trébuchantes pour tout organe qui aurait le courage de la mettre à la une de son journal. On connait la suite macabre de la diffusion de cette information-marchandise qui s’est dégonflée comme un ballon de baudruche avec l’air du temps. Elle a été le détonateur de violentes manifestations qui se sont métastasées dans le pays avec son cortège de nombreux morts et de blessés. Et une telle accusation de viol manipulée par la presse soumise et ses bailleurs pourrait être utilisée par la justice du Prince pour intenter une parodie de procès et empêcher au leader de Pastef d’être dans les starting-blocks pour la course présidentielle de 2024. Et c’est ce qui explique en partie pourquoi Sonko regimbe et ne cesse de s’en prendre à cette presse de connivence avec le pouvoir de Macky Sall.
Lors de la campagne pour les législatives, n’eussent-été les médias sociaux, les déferlements de foules que drainait Sonko seraient passés inaperçus. Rares sont les journaux qui mettaient à la une les déferlantes populaires du leader des Patriotes. Rares sont les médias mainstream qui y consacraient un laps de temps dans leurs éditions vespérales. Dans une sorte de catharsis ritualisée, une bonne partie de la presse écrite et certains sites de révérence mettaient à la une, à tort ou à raison, les rassemblements la plupart clairsemés de Mimi Touré, les deux pelés tondus d’un certain Habib Niang ou d’un Ndiaye Rahma, les foules factices d’Abdoulaye Daouda Diallo ou de Cheikh Oumar Hanne et tutti quanti. Lors de la campagne des locales, Barthélemy Dias a été accusé d’avoir ordonné à ses proches de saccager une maison à Mermoz parce que ses occupants ne sont pas de son bord politique. Ce qui était totalement faux parce que l’alors candidat à la ville de Dakar ne faisait que répondre à des personnes qui avaient caillassé ses véhicules de campagne.
Par conséquent, si les leaders de l’opposition radicale notamment Sonko et Barth entretiennent des relations conflictuelles avec la presse, cela peut être analysé comme des réflexes d’autodéfense contre les coups politiquement mortels du pouvoir relayés par une presse obséquieuse qui souffre d’impartialité et d’objectivité. Les journalistes dans leur rôle de diffuseurs d’informations doivent refuser toute connivence avec les portefeuilles lourds et d’être sous leur coupe en vendant ou en tarifant l’information. Parallèlement, ils ne doivent pas servir de punching-ball à une opposition qui a souvent du mal à en découdre avec le pouvoir. C’est la seule condition de leur équidistance garante de leur indépendance entre les acteurs politiques de toutes les coteries.