Les campagnes sourient. Les villes grimacent de douleurs urbaines. Ce contraste saisissant entre deux univers que tout oppose reflète la permanente quête de « bien-être » des populations. Vivre à l’étroit ou prendre le large ?
La réponse n’est guère tranchée. Mais le déséquilibre démographique renseigne sur l’attrait des grands centres au détriment de l’arrière-pays qui se dépeuple à vue d’œil. De part et d’autre, il en découle une vulnérabilité et fatalement s’en suit une précarité galopante qu’aucune politique publique ne peut enrayer.
Que faire alors ? Dégager une ligne consensuelle autour d’un regain d’intérêt pour les pôles territoires capable de nous sortir (ou de nous éviter) l’équation « cul-de-sac ». D’aucuns pensent que l’on ne peut se soustraire à cette fatalité de conditions. Pire, les mêmes, broyant du noir, n’entrevoient d’autre perspective que de fermer les yeux et… subir !
Or la réalité est tout autre. Car Dakar, pour ne prendre que l’exemple de la capitale, se dote d’infrastructures de grande modernité quand dans les régions la paupérisation s’étend ou s’enfonce, c’est selon. D’où l’afflux massif des ruraux sur la presqu’île. Par endroits, l’agglomération est méconnaissable tant se chevauchent des activités et des pratiques qui jurent avec toute urbanité.
Quelque vingt-trois mille personnes entrent chaque jour dans Dakar. Très peu en sortent. Conséquence : l’hypertrophie accouche d’une anxiété elle-même débordante. La nervosité ambiante et les excès qui s’observent traduisent un profond désespoir après des rêves d’épanouissement caressés par ces « nouveaux exclus ». Il y a lieu de rectifier la trajectoire pour redonner du souffle à tout le monde, sans gémir toutefois.
Du pragmatisme, il nous en faut pour conjurer le « vague à l’âme » ambiant ! Pourquoi autant de lenteurs pour décliner une option alternative ? A cet égard, le pays profond s’offre comme une « nouvelle frontière » à explorer pour inverser la courbe de tristesse qui se lit sur les visages. En outre, les nouvelles sont bonnes en provenance du monde rural où renaît l’espoir avec le bon cru attendu de la saison agricole.
Les fortes pluies tombées cette année ont arrosé presque tout le pays. Mieux, s’ouvre pour près de cinquante ans un nouveau cycle de pluviométrie abondante, selon l’ANACIM. Naturellement une telle perspective enchante les agriculteurs qui doivent maintenant assimiler les règles du changement climatique perçu désormais comme inéluctable.
En clair, l’adaptation s’impose. Les aléas, hypothétiques et incertains, deviennent des facteurs de gouvernance, de prévision, d’anticipation et d’alerte. Petit à petit, le paysan se mue en agriculteur, statut plus valorisant, porté vers la création et l’innovation et initié à la gestion basique pour fructifier son travail de la terre. Il cesse d’être un éternel assisté pour apparaître comme un acteur en devenir et constamment en éveil vis-à-vis des évolutions de filières.
Dans le Ndoucoumane, précisément à Nganda, cet esprit d’entreprise prévaut déjà, même si c’est à une faible échelle. Les agriculteurs s’informent, échangent des données, surveillent la météo, acquièrent à temps les semences (et les variétés) et disposent de tracteurs pour étendre les superficies cultivables avec à la clé des rendements substantiels à l’hectare.
On le devine, la traction animale s’efface progressivement. Elle a eu son heure de gloire, son âge d’or aujourd’hui passé de mode avec les exigences de modernité et d’efficience. Une telle rupture recrée de la valeur et suscite plus d’enthousiasme. Pourvu que la puissance publique favorise plus la dignité des agriculteurs. Et surtout en devenant moins encombrante par un encadrement décrié pour son inefficacité paralysante.
Un tel retrait a pour effet de desserrer l’étau et de libérer l’initiative des contraintes qui assaillent l’agriculture. Les petites productions en se développant s’apercevraient des limites de leur périmètre pour, en définitive, s’orienter vers des alliances stratégiques afin de conquérir des marchés conséquents.
Les pistes de production et les routes secondaires maillent le pays en divers endroits. Le décloisonnement entraîne une facilité d’accès aux marchés ou aux sources d’approvisionnement. Ensuite les conditions de conservation s’améliorent grâce au relais des chaînes de distribution. Ce qui a pour avantage d’impulser un fort élan de réengagement dans l’agriculture qui a besoin de se modéliser pour rayonner.
La tomate du nord du pays est vantée pour son caractère onctueux. La pomme de terre du Potou est plébiscitée. Le miel du Fouladou est prisé. Le maïs dans le Saloum résiste mieux face à l’emprise de l‘arachide en net recul dans les choix de culture des paysans. Dans le pourtour de Kédougou, le niébé s’impose dans les recettes culinaires, à l’image des études menées par l’Institut de technologie alimentaire (ITA).
Réputé pour ses travaux qui font autorité, l’organisme est passé maître dans la protection des labels d’exception. Il veille surtout à préserver les meilleures inventions des « pâles imitations » à l’affût, notamment les Chinois qui ne jouent pas le jeu sur ce terrain. Hélas !
De ces labels de terroirs, il y a à concevoir un imaginaire de notoriété. Concilier art traditionnel, goût, saveur et senteurs constituent des facteurs de succès pour une agriculture de marques ou de produits de qualité. Jusqu’à une époque récente, les prix au producteur tiraient vers le bas.
Cet injuste rémunération a longtemps asséché la capacité de production de notre pays au seul profit des distributeurs. Sur dix mille francs d’achats alimentaires (riz, mil, maïs, haricots, légumineuses), ils raflent les huit mille et seuls les deux mille reviennent aux producteurs. Et encore ! Comment, dans ces conditions, attendre des exploitants qu’ils investissent davantage dans les unités de production ?
Entendons-nous bien : l’agriculture constitue la base de décollage de l’économie de demain. Et de toujours d’ailleurs. Les opérateurs censés mobiliser du capital se retiennent faute de clarté et de résolution dans les politiques agricoles souvent assujetties aux humeurs des politiques.
Quelles passerelles construire pour permettre à l’agriculture sénégalaise de changer d’échelle et de vitalité ? Le retour des pluies devrait inciter à bâtir un avenir durable et innovant. Des vents favorables soufflent pour capter le mouvement de modernisation qui se dessine dans le monde agricole.
Faut-il craindre une main basse sur les riches terres laissées en jachère ? Le risque est d’autant plus réel que le grand capital ne lésine pas sur les moyens pour s’octroyer des domaines. Peu lui chaut les misères résiduelles des paysans qui portent toujours le bonnet d’âne.