Macron, Mahamat Idriss Déby, Saleh Kebzabo, Gali Ngote : du sang plein les mains
La nuit s’est encore abattue sur les ombres errant de nos martyrs, rodant autour des « dourdour », les pieds tremblants dans l’eau boueuse et ensanglantée des inondations… Les ombres assassinées sont si jeunes, elles avaient juste besoin d’un peu de lumière, juste un peu de dignité, juste, la liberté de vivre. (Amargura negra, 58, KL).
Au Tchad, la coloniale mercenarisée a encore sévi ce 20 octobre 2022 : 70 morts, plus de 300 blessés et plus d’un millier d’arrestations de jeunes que Saleh Kebzabo sous sa toque de Premier ministre, à peine nommé, accroupi et mal à l’aise, désigne sous le vocable des jeunes drogués préparés à l’insurrection, menaçant de lui arracher le pouvoir avec des gourdins et des bâtons ! Pendant sa conférence de presse, aucun mot de compassion pour les familles éplorées ! Un cynisme effarant et un mépris souverain et affirmé qui en dit long sur la barbarie et celle à venir !
Nous le disions déjà à sa veille, tous les observateurs un tant soit peu objectifs le prédisaient : le Dialogue National Inclusif et Souverain, était une mascarade destinée à conforter Bébé Déby dans ses velléités de règne dynastique. Le tour de passe-passe était trop gros pour abuser le plus borgne des politistes travaillant sur l’énorme et insoluble équation Tchad ! En réalité, il n’était même pas nécessaire de convoquer l’appareil juridique argumentatoire pour démontrer que ce marché de dupes ne pouvait mener qu’à un chaos institutionnel inédit. Et, que le chaos accroitrait les dissensions béantes au cœur d’un peuple qui a mal à la vie parce que martyrisé depuis des décennies par une oligarchie clanique et militaire et affidés, un peuple vivant sous une précarité abyssale, une insécurité permanente, un arrière-pays meurtri sous la botte des bouviers armés par les généraux dont les élevages anarchiques de bovins détruisent systématiquement les plantations des agriculteurs, une corruption larvée savamment entretenue, le manque d’emploi chronique au sein de la jeunesse, un fake state.
Il était trop beau, le Dialogue National Inclusif et Souverain, pour être prometteur. Paré d’attributs tout doré, à l’instar du fauteuil du maréchal, placé en avant-scène au milieu de cent généraux face au peuple défié, paré de ses vrais et faux politico militaires vieillis et émoussés rentrant triomphants dans la capitale après des conciliabules tonitruants au Qatar, ses millions de francs CFA distribués à gauche, à droite, devant derrière pour acheter et se ménager les consciences faméliques, ses procédures incompréhensibles tant illogiques, le forcing pour imposer les résolutions prétendues souveraines et qui, à plusieurs reprises a provoqué des défections spectaculaires et massives de corps sociaux ou corporatifs. Nous présagions déjà que la rencontre sera pour une énième fois, une ré-initiation avortée tant les dés sont pipés quant à l’issue probable : le risque de la légitimation d’une succession dynastique qui mettra le pays à feu et à sang. (SenePlus du 17 août 2022)
L’Union africaine, les chancelleries occidentales, les institutions bailleurs de fonds qui ont financé le carnaval de tartuffes savaient très bien ce qu’elles faisaient : adouber et pérenniser un pouvoir dynastique parricide et cela dans le sillage de la Françafrique avec cette mainmise du ministère français de la Défense et de la DGSE (Direction Générale de la Sécurité Extérieure) sur ce territoire sous occupation militaire française depuis plus d’un siècle. Macron l’avait annoncé sans sourciller dans son oraison funèbre à Deby père en avril 2021 : « Mon cher président, cher Maréchal, cher Idriss ; nous voilà réunis devant votre dépouille après trois décennies à la tête de votre pays et tant de combats menés avec bravoure. La France ne laissera jamais personne ni remettre en cause, ni menacer ni aujourd’hui, ni demain l’intégrité du Tchad ». Le porte-avion de la France ou l’État DGSE (dixit Thomas Dietrich que nous saluons pour son courage et éthique journalistique) devra ne point tanguer sous peine de fragiliser l’ensemble du dispositif impérial. Le ballet des présidents françafricains à Ndjaména, marionnettes habituelles à la besogne gluante, ne pouvait non plus leurrer personne : Macky Sall, Mohamed Bazoum, et bien d’autres qu’il fallait dépêcher auprès d’un bébé Déby hésitant sur ses décisions ; tout cela sous l’œil torve d’Alassane Ouattara suivant à distance. Et pour couronner le tout, le géant nigérian accouru à la rescousse pour l’investiture précipité de bébé Deby, certainement en retour d’ascenseur pour services rendus par la coloniale mercénarisée dans la lutte contre Boko-Haram. Pendant ce temps de souveraine distraction nationale, de nouvelles bases françaises, résidus issus des retraits de l’armée française du Mali se sont déployés sur le territoire tchadien avec pour point de mire qui serait, à en croire Bébé Déby lui-même dans une interview rocambolesque, la ruée vers l’or des gisements hallucinants du Tibesti. Bien sûr l’on dira que c’est pour se préparer à contrer la menace russe… bel alibi françafricain. Aucun élu pour se poser la question des autorisations d’installation de ces groupes de soldats français, aucune presse pour s’inquiéter du déploiement sauvage. Au Tchad, l’armée française entre et sort comme dans une auberge espagnole.
Commettre un crime massif pour signer le forfait et mettre en garde contre toute tentative de remise en cause du statu quo ! L’histoire tumultueuse du pays retiendra ce jour fatidique sanglant parmi la centaine d’autres. Kebzabo devrait démissionner, s’il lui restait encore un tout petit bout de dignité… Mais démissionner de quoi ? D’un gouvernement illégitime, né d’une mascarade de dialogue illégitime et dont les conclusions ne reflètent en rien la volonté populaire ? Démissionner d’un gouvernement de transition ? Mais de quelle transition et vers quoi ? Lui qui du haut de sa longue expérience « d’opposant » en a tiré la leçon magistrale que le Tchad n’est pas gouvernable par un président civil et qui, ainsi dénie toute possibilité à un retour à la normalité constitutionnelle ! De toutes façons, il n’y joue de rôle que celui d’écran intelligent, tout ce qu’il a d’ailleurs su faire habilement depuis des décennies, prenant sous séquestre et bâillonnant la grogne populaire tout en servant de faire-valoir au simulacre de démocratie que Déby père prétendait avoir permis. Tout ça pour cela, pour en arriver à un tel massacre ! S’accrocher à tout prix, même à celui du sang des jeunes dont certains ont pu l’accompagner à d’autres moments dans des marches et manifestations qu’il a organisées lui-même ! A moins qu’il ait déjà pacté pour se la couler douce en ses vieux jours ! L’élu du dauphinat intelligent comme Premier ministre de pacotille pendant 12 ans, un pouvoir militaire avec à la tête bébé Déby et qui prendra le temps de se déguiser dans deux ans en civilo-militaire : la marque déposée déjà connue dans ce pays dont Kebzabo dit qu’il n’est pas assez mûr pour organiser une marche pacifique ! C’est bien tentant ! Cela vaut bien la traitrise, hélas !
Et de s’empresser d’accuser pendant sa conférence de presse, ceux qui ont appelé à la marche ! Pas très futé ! Cette façon hâtive de déplacer les responsabilités et de menacer le peuple traqué jusque dans les toilettes, ne trompe personne. C’est toutefois d’une indécence à faire vomir que d’accuser les morts d’être coupables de s’être fait tirer dessus ! Kebzabo, Mahamat Idriss Deby, Gali Ngoté, Macron, ont les mains pleines du sang de ces jeunes tchadiens tombés ce 20 octobre, le front contre la terre de leurs ancêtres !
Pourquoi le peuple sort-il dans les rues pour manifester ? La réponse est si limpide : les gens ne veulent pas d’une succession dynastique d’ une monarchie déguisée et sous le contrôle d’une oligarchie clanique et militaire et affidés, responsable de violence inouïe depuis de nombreuses décennies, incapable de proposer des solutions de développement réel, coupable de crimes politiques et économiques inédits et d’avoir pillé jusqu’au dernier denier public pour s’enrichir honteusement, acheter aux parrains les armes nécessaires à son maintien pernicieux.
Les jeunes ne veulent plus des colonisations française et orientale arabe par proxy et qui ont mis sous le boisseau toutes les velléités d’autonomie, de souverainetés territoriale, alimentaire, monétaire, culturelle. Les jeunes ne veulent plus vivre dans l’indignité, misérables et en esclaves condamnés à la peur quotidienne et à mendier chaque bout de soleil qui apparaît.
Que veut la jeunesse ? Un emploi qui puisse permettre d’envisager un projet de vie, un toit décent où abriter sa famille, des produits alimentaires accessibles, de l’eau saine, de l’énergie pour créer la technologie, un service de santé acceptable, des espaces d’expression de ses talents culturels et scientifiques, un horizon clair dans lequel elle pourra se projeter ! Juste un peu de justice sociale ! Pour rester chez soi sur sa terre et y vivre paisiblement.
Juste un peu de dignité, juste un peu de liberté ! Tout ce qui désormais mobilisera la jeunesse de partout en Afrique, au Mali, au Niger, au Burkina Faso, en Côte d’Ivoire… et aussi au Tchad qui n’est pas une exceptionnalité comme le clament criminels et louvoyeurs ! Les mêmes causes produisent les mêmes effets ! La vague ne s’arrêtera plus jamais, sera une déferlante, invitée ou non par des leaders à manifester. Elle sait en son âme et conscience que c’est d’elle-même que dépend sa libération et sait aussi en mesurer le prix à payer.