L’analyse des textes relatifs aux incompatibilités parlementaires permet de réfuter la thèse selon laquelle l’incompatibilité du mandat parlementaire avec la qualité de membre du gouvernement prend effet, en vertu de l’article LO 172 du Code électoral, huit jours après l’entrée en fonction du député, c’est-à-dire après le premier jour de la première session à laquelle il est appelé à siéger.
D’emblée, il apparait que cette thèse entretient, par méconnaissance ou à dessein, une confusion sur le texte applicable en la matière. En effet, le principe de l’incompatibilité du mandat de député avec la qualité de membre du gouvernement repose non pas sur une norme organique (la législation sur les incompatibilités fixées par le Code électoral) mais sur une norme constitutionnelle (l’article 54 de la Constitution de 2001) . Très clairement, le texte régissant l’incompatibilité du mandat législatif avec la fonction de membre du gouvernement est distinct du texte règlementant les autres situations d’incompatibilités applicables au mandat de député [1].
L’incompatibilité entre l’exercice du mandat parlementaire et celui d’une fonction de membre du gouvernement est fixée par la Constitution
L’article 54 de la Constitution de 2001 rend incompatible la qualité de membre du gouvernement avec l’exercice du mandat de député [2]. Les modalités d’application de cette incompatibilité sont précisées par la loi organique n° 78-45 du 15 juillet 1978 relative aux incompatibilités avec les fonctions de ministre ou de secrétaire d’État, modifiée par la loi n° 83-64 du 3 juin 1982 [3].En effet, à défaut d’abrogation expresse par la loi n° 2001-03 du 22 janvier 2001 portant Constitution de la République du Sénégal, les dispositions de la loi organique du 15 juillet de 1978 précitée sont toujours en vigueur. Elles sont d’autant plus en vigueur que son article 3 sert encore de base légale au paiement pendant six mois d’une indemnité égale au traitement qui lui était alloué à tout ministre qui cesse ses fonctions. À moins qu’il n’ait repris auparavant une activité publique rémunérée.
Les autres incompatibilité applicables au mandat de député sont fixées par la loi organique conformément à l’article 59 de la Constitution
Le législateur organique est habilité par l’article 59, dernier alinéa, de la Constitution pour fixer les autres incompatibilités parlementaires. Ce régime est actuellement défini par les articles LO 163 à LO 172 formant le chapitre III du titre III du Code électoral en vigueur [4]. Ces dispositions ont été reprises par les articles 109 à 118 du Règlement intérieur de l’Assemblée nationale.
Le législateur organique doit corriger la rédaction défectueuse de l’article LO 163 du Code électoral afin d’éviter toute fausse interprétation de l’article LO 172 du même Code.
L’article LO 163 prévoit que « le mandat de député est incompatible avec la qualité de membre du gouvernement » [5]. On doit remarquer que cette disposition fait double emploi avec l’article 54 de la Constitution qui énonce: « La qualité de membre du Gouvernement est incompatible avec un mandat parlementaire ». Les rédacteurs de l’article LO 163 ajoutent à la confusion en reprenant dans des termes différents l’article 54 de la Constitution. Dans le fond, il n’existe aucune différence entre ces deux phrases qui disent la même chose : elles excluent le cumul des fonctions de député et de membre du gouvernement.
Précisons que la disposition de l’article LO 163 trouve sa source dans l’article 12 de l’ordonnance n° 63-04 du 06 juin 1963 précitée. Or, ledit article 12 ne reprenait pas l’interdiction posée à l’article 45 de la Constitution de 1963 [6] . Ce qui fait que le non cumul du mandat législatif avec la fonction ministérielle n’était pas inclus dans les cas d’incompatibilités visés à l’article 21 du titre III de l’ordonnance n° 63-04 [7].
La mauvaise rédaction de l’article LO 163 est à l’origine de l’incohérence légistique qui existe entre l’article premier de la loi organique de 1978 précitée et l’article LO 172 du Code électoral. La solution au problème soulevé par l’article LO 163 se trouve dans la modification du début dudit article par la suppression des termes suivants : « de membre du gouvernement ». Par suite de cette modification, la nouvelle rédaction de l’article LO 163 se trouverait ainsi conçu : « Le mandat de député est incompatible avec la qualité de membre du Haut Conseil des Collectivités territoriales ou de membre du Conseil chargé des Affaires économiques ».
Les rédacteurs de l’article LO 163 n’auraient pas dû reprendre le principe de l’interdiction du cumul expressément prévu par la Constitution qui a une force obligatoire supérieure à la norme législative organique. La même remarque s’applique à l’article 109 du Règlement intérieur de l’Assemblée nationale. En effet, « dans un texte de nature législative, il y a lieu d’omettre les dispositions qui n’ont d’autre objet que de rappeler des dispositions de force obligatoire supérieure, soit en les reproduisant, soit en les paraphrasant [8]».
Les incompatibilités prévues par le Code électoral prennent effet à l’expiration d’un délai de huit jours
Aux termes du premier alinéa de l’article LO 172, « le député qui, lors de son élection, se trouve dans l’un des cas d’incompatibilités visés au présent chapitre, est tenu d’établir dans les huit jours qui suivent son entrée en fonction qu’il s’est démis de ses fonctions incompatibles avec son mandat » [9]. Concrètement, les mots « présent chapitre, » renvoient au chapitre III du titre III de la loi électorale c’est-à-dire aux articles LO 163 à LO 171. En d’autres termes, cet article prévoit que « les députés ont huit jours après leur entrée en fonction, c’est-à-dire le premier jour de la première session à laquelle ils sont appelés à siéger, pour rendre leur situation conforme … au Code électoral, sous peine de destitution d’office ».
Le délai de huit jours de l’article LO 172 de la loi électorale ne vise que les cas de figure ci-dessous:
1°) l’exercice de la fonction de membre du Haut Conseil des Collectivités Territoriales, ou de membre du Conseil chargé des Affaires économiques, sociales et environnementales (article LO 163);
2°) l’exercice de toute fonction publique non élective (article LO 164);
3°) l’exercice des fonctions de Président et de membre du Conseil d’Administration et de toute profession salariée dans les entreprises du secteur parapublic ainsi que la qualité de conseil auprès de ces mêmes établissements ou entreprises. (article LO 166);
4°) l’exercice des fonctions de chef d’entreprise, de président de conseil d’administration, d’administrateur délégué, de directeur général, de directeur adjoint ou de gérant (article LO 167) ;
5°) l’exercice, en cours de mandat, de la fonction de membre du conseil d’administration ou de surveillance ou toutes fonctions exercées de façon permanente en qualité de conseil (article LO 168).
Ce délai de huit jours s’applique également à la compatibilité du mandat de parlementaire avec une mission publique confiée par le pouvoir exécutif (article LO 165) ainsi qu’à certaines interdictions, notamment :
- l’interdiction à tout avocat d’accomplir directement ou indirectement un acte de profession dans les affaires à l’occasion desquelles des poursuites pénales sont engagées devant les juridictions répressives et de plaider ou consulter contre l’Etat, les collectivités territoriales ou établissements publics et les sociétés placées sous le contrôle de l’Etat.(article LO 170);
- l’interdiction de faire ou de laisser figurer son nom suivi de l’indication de sa qualité dans toute publicité relative à une entreprise financière, industrielle ou commerciale (article LO 171).
À notre sens, le délai de huit jours s’analyse non point comme un délai d’option mais plutôt comme un délai donné pour faire une déclaration certifiée sur l’honneur exacte et sincère comportant la liste des fonctions incompatibles dont s’est démis le parlementaire.
L’incompatibilité édictée par l’article 54 de la Constitution prend effet à l’expiration d’un délai d’option de trente jours
Il a été démontré que le délai de huit jours s’applique exclusivement aux incompatibilités prévues par le Code électoral. Dès lors se pose la question de savoir quel est le délai de règlement de l’incompatibilité établie par l’article 54 de la Constitution. La réponse à cette question se trouve dans l’article premier de la loi organique n° 78-45 du 15 juillet 1978 qui fixe un délai de trente jours. Pour le ministre élu à l’Assemblée nationale, l’incompatibilité prend effet « à l’expiration des trente jours qui suivent son élection » et pour le député à l’Assemblée nationale nommé ministre, le point de départ du délai est fixé à la date de sa nomination comme membre du gouvernement [10].
[1] Pour d’autres développements, voir notre contribution publiée le 30 septembre 2022 sous l’intitulé « À propos des ministres élus députés lors des élections législatives du 31 juillet 2022 : il y a eu violation de l’article premier de la loi organique n° 78-45 du 15 juillet 1978 qui prévoit le remplacement dans son mandat de tout ministre élu à l’Assemblée nationale à l’expiration des trente jours qui suivent son élection ».
[2] L’article 54 dispose : « La qualité de membre du Gouvernement est incompatible avec un mandat parlementaire et toute activité professionnelle publique ou privée rémunérée.
Le député, nommé membre du Gouvernement, ne peut siéger à l’Assemblée nationale pendant la durée de ses fonctions ministérielles».
[3] La loi organique n° 78-45 abroge et remplace l’ordonnance n° 63-03 du 6 juin 1963 portant loi organique relative aux incompatibilités avec les fonctions de ministre ou de secrétaire d’État, portant application de l’article 45 de la Constitution de 1963.
[4] Sous la Constitution de 1963 et jusqu’en 1982, ce régime était fixé par les articles 12 à 21 de l’ordonnance n° 63-04 du 06 juin 1963 portant loi organique fixant le nombre des membres de l’Assemblée nationale, leurs indemnités, les conditions d’éligibilité, le régime des inéligibilités et des incompatibilités .Ce texte organique fixait les modalités d’application de l’article 49 de la Constitution de 1963. Depuis 1982, les dispositions de l’ordonnance précitée sont insérées dans le Code électoral.
[5] Cette erreur rédactionnelle est apparue pour la première fois dans le Code électoral de 1992 (article LO 155 issu de la loi organique n° 2006-41 du 11 décembre 2006).
[6] L’article 45 de la Constitution de 1963 (devenu l’article 54 de la Constitution de 2001) édictait ::« Le mandat de député est incompatible avec la qualité de ministre ou de secrétaire d’État ».
[7] L’article 21 de l’ordonnance de 1963 est remplacé aujourd’hui par l’article LO 172 de la loi électorale en vigueur et le titre III de l’ordonnance est devenu le chapitre III du titre III du Code électoral.
[8] Cours sur « Introduction à la rédaction d’actes administratifs- Exercices pratiques de légistique Notes de synthèse », page 28. Consultable sur https://www.partagedesconnaissancesbw.be/formationbw2020/Introduction-a-…
[9] La disposition de l’article LO 172 est inspirée de l’article 21 de l’ordonnance du 6 juin 1963 précitée. Selon la décision n° 3/C/2021 du 22 juillet 2022 du Conseil constitutionnel (Considérant 60), « l’article LO 172 tire les effets des incompatibilités; il met en place les mécanismes permettant, lorsqu’un député est en situation d’incompatibilité, d’y mettre un terme ».
- L’article premier de la loi organique n° 78-45 dispose :
En cas d‘épuisement de la liste, il est procédé à une élection partielle ».