Des mains de Raï, joueur racé autrefois, Sadio Mané reçoit le trophée « Socratès », une vivante légende brésilienne du football mondial des années Quatre-vingt. Près de deux milliards de téléspectateurs et d’internautes regardent la scène et suivent l’événement du Ballon d’or. Le Prix qui lui est décerné magnifie ses qualités exceptionnelles, son œuvre sociale, son action caritative et son grand esprit de solidarité envers les autres.
Ce soir-là, la fête du football a revêtu une forme d’authenticité avec la tenue portée par le même Sadio Mané. D’ailleurs dès son entrée dans l’ambiance cosy du Théâtre Chatelet, il aiguisait la curiosité par son très joli apparat vestimentaire, sorte de version améliorée du célèbre costume baptisé « l’Obasanjo » en hommage à l’ancien et atypique président nigérian. Sans ravir la vedette, il a imposé son style qui a séduit plus d’un, notamment au Brésil, pays de Pelé, Garrincha, Djalma Santos, Zico et un inoubliable docteur… Socratès.
A son tour, Sadio s’est fait un nom dans le football. Après des buts puis des titres et des trophées, le voilà qui marque des points dans un autre registre : le partage du gain, une redistribution de la ressource, conquise avec labeur à la sueur de son front. Cette souffrance sur les pelouses et dans les stades, s’est mise au service d’une cause qu’il personnifie : l’attachement au terroir et l’amélioration de l’ordinaire des gens par des gestes de grande générosité.
De loin, d’autres, impressionnés par son humilité et son sens inné de la mesure, apprécient la profondeur de son ancrage qui l’amuse, le fortifie et le stimule. Au vacarme et au tumulte urbain, il préfère le silence des campagnes où le temps s’étire avec un subjuguant naturel. Par son talent, il s’impose et à mesure qu’il gagne en notoriété, celle-ci rejaillit sur Bambali, son village natal ainsi sorti de l’anonymat grâce à son fils prodige à la prodigalité élégante.
Brillant sur les terrains, Sadio se veut simple dans la vie qui lui a pourtant sourit avec le grand écart. Le brin de folie ne l’habite pas contrairement à d’autres sportifs renommés qui se sont consumés (désirs et envies) sans retenue. Les mêmes inspirent aujourd’hui pitié si ce n‘est un mépris dissimulé.
Au contraire de ses devanciers, le champion d’Afrique n’aime pas les virées. Les fureurs et les fantaisies sont des marqueurs de cette époque sans visage. Les milieux sportifs adorent les lambris dorés, l’argent la chair et la bonne chair, les voitures, les voyages et les voilures. Un monde aseptisé où tout coule à flot. En vérité, le Lion rêve plutôt de grandeur. Sadio affiche une posture de modestie face aux défis qu’il relève, les uns après les autres, avec une stupéfiante plénitude.
C’est peut-être cela son secret. Sans doute très enfoui en lui-même ! Parvient-il de fait à embarquer les gens ? Les clameurs d’approbation font écho à son hygiène de vie, saine et posée. Les créateurs, les modélistes, les couturiers et les artisans tiennent en Sadio Mané (et d’autres comme lui) un vecteur de progrès, un VRP du label sénégalais. Son état de pureté transparaît dans sa fraîcheur de sportif de haut niveau qu’il doit, entre autres, à sa permanente quête d’une spiritualité de retour au bercail.
Mais attention : Sadio le Nianthio ne le serait que si le travail en amont est fait avec le sérieux requis, la ponctualité exigée, la finition attendue à l’image du virevoltant ailier du Bayern de Munich qui ne triche ni ne rechigne à la tâche.
L’occasion est idoine pour une remise à plat de notre conception du progrès. Le bien-être de tous viendrait de la réelle volonté de chacun. Le design marchand, pour revenir au vêtement porté le soir de la cérémonie du Ballon d’or, toujours friand d’audace et d’originalité, saisit les tendances et les fantaisies pour magnifier les créations. D’où qu’elles viennent !
Justement, Sadio Mané s’est posé en véhicule de ces œuvres au grand bonheur de leurs auteurs. A eux de confirmer et de se tenir prêts à satisfaire le marché en cas de grosses commandes. S’habiller avec goût, volupté et ostentation devient une mode sans cesser d’être un mode de vie voire une vie tout court pour faire simple.
En revanche les produits finis ne font rêver que s’ils répondent aux exigences de la haute qualité et à une reproduction à l’identique des articles conçus. Se contenter d’à-peu-près n’est guère viable. Or dans notre pays, les approximations constituent un travers bien sénégalais. L’informel a tué la précision et la concision au point de désarticuler un secteur peuplé d’artisans férus d’ingéniosité.
Si, à l’exigence de soins et de doigté, l’État avait, en amont, organisé et assaini les filières, le label sénégalais aurait pulvérisé des records de commandes et de ventes. L’expertise de nos artisans est très recherchée. En témoignent les succès remportés dans les foires, les expositions et les semaines commerciales qui se tiennent à longueur d’années et auxquelles ils prennent part avec brio.
A cet égard, les Chambres de métiers sont des gisements indéniables de cette créativité. De plus en plus les acteurs s’ouvrent à la modernité sans rompre toutefois avec les « forces de vérité » que recèlent nos traditions.
Le Sénégal produit de l’or à l’est. Mais paradoxe : le pays ne possède pas de comptoirs pour la vente de l’or extrait de nos sous-sols. Pour s’approvisionner, les artisans importent d’Inde, d’Arabie Saoudite, de Turquie, de Suisse, d’Israël. L’or oriental inonde nos orfèvreries alors que notre production brute d’or est exportée vers des marchés qui en raffolent. Il est certifié à Lausanne, Anvers, Londres, Toronto. Mais pas à Dakar. Un comble !
N’est-il pas temps d’inverser justement la tendance ? A défaut de prétendre devenir un haut lieu de la joaillerie mondiale, le Sénégal pourrait tout de même exiger la manufacture sur place du métal jaune afin de fixer des règles du « jeu marchand » avec l’avantage d’accroître les revenus, de diversifier les métiers et les techniques d’épuration en vue de codifier le produit fini ou semi-fini.
L’action à entreprendre doit se situer du côté de l’opinion qui exige l’érection de comptoirs comme un « acte de résistance » et de souveraineté face à l’option dominante de tout exporter. Ce choix est éminemment politique. Il se justifie par une logique économique qui doit désormais prévaloir : avoir une parfaite maîtrise du circuit de l’or et cerner les dividendes devant nécessairement rester chez nous. Un tel assainissement s’impose de fait.
Car, derrière les stratégies avenantes et ampoulées des sociétés aurifères se cachent des forfaitures et l’inexplicable indifférence au sort des populations et de l’environnement, outragés de parts en parts… L’affligeante pauvreté de la région de Kédougou doit secouer nos consciences malgré la richesse de ses terres arables et de son sous-sol.