Lula, l’insubmersible, revient au pouvoir. À 77 ans, il garde toute sa fraîcheur physique et sa combativité mises au service d’une remarquable lucidité politique pour parvenir à ses fins. Il a déjoué avec une déconcertante habileté les adversités qui jalonnaient sa trajectoire.
« Ils veulent m’enterrer vivant », disait-il d’eux dans une amère confidence faite à un journaliste d’O Estado de Sao Paulo. Redoutable opposant, élu puis réélu Président, déchu puis emprisonné et enfin blanchi d’accusations immondes, l’homme à la barbe fournie, a du vécu et de l’expérience qu’il entend mettre, avec ce nouveau mandat, au service des causes nobles : l’environnement, la lutte contre la misère et les inégalités, l’union sacrée autour d’une nation.
De la prison au Palais, quelle histoire ! Ainsi, à ses yeux, la forêt d’Amazonie est à sauver. Il y a urgence. Car elle est le poumon du monde. D’ailleurs, les félicitations venues de partout témoignent de ce soulagement que constitue l’arrivée de Lula à la tête du Brésil.
Il a un regard nouveau sur cette richesse naturelle et a pourfendu tout au long de sa campagne électorale, l’exploitation éhontée de la forêt amazonienne. Comme menace, il perçoit l’urgence climatique. En en faisant un cheval de bataille, le président élu avait étoffé sa base politique et élargi le spectre de sympathies à des milieux jadis très peu réceptifs à son discours d’incantation et à son projet de taxer davantage le capital pour financer la protection sociale.
Des millions de Brésiliens en ont bénéficié. Certains, grâce à cette politique de réhabilitation, se sont éloignés de la pauvreté, se sont reconstruit une vie et ont peuplé une classe moyenne née sur les flancs d’une forte croissance découlant d’une économie réelle qui ne devait sa prospérité qu’à la bonne tenue des hydrocarbures dont regorge le pays.
Malgré son potentiel, Brasilia emprunte pour rembourser ses emprunts. Un vicieux paradoxe qu’aucun président avant Lula n’a envisagé de lever ou de dissiper. Cependant, Lula, version 2022, ne retrouve pas le même pays qu’il avait laissé à ses successeurs, Dilma Roussef et surtout l’imprévisible Jair Bolsonaro, président sortant. La première est taxée de laxiste alors que l’autre est perçu en démagogue.
Le Brésil semble déchiré, traversé de courants contradictoires, partagé entre des visions de vie presque irréconciliables et surtout l’apparition de phénomènes sociétaux et religieux en droite ligne des crises sévères qu’a connues la nation arc-en-ciel. À cela s’ajoutent les écarts de développement entre le Nord et le Sud, les Blancs et les Noirs, la montée des sectes, la prolifération des évangélismes. Lula a conscience de ces enjeux vitaux.
Sa victoire du 30 octobre est nette et sans conteste. A 50,9 % contre 49,1 %, le vote de dimanche révèle toutefois une fracture béante. A cet égard donc, le projet politique du nouveau président est lourd d’ambitions.
Très vite, il a déclaré son intention de gouverner au centre. Il a perçu les signaux. Sa crédibilité sera appréciée à l’aune de cet attelage à former. En clair, son gouvernement reflétera la diversité qui a fait bloc derrière lui pour terrasser l’hydre conservatrice incarnée au plus haut niveau par le même Bolsonaro, militaire de réserve et nostalgique des dictatures des décennies 60, 70, 80 et 90. Des nombreux Brésiliens se détournaient de sa ligne politique à mesure que sa vision recoupait les buts du populisme ambiant. L’opinion publique commençait à s’arracher à ses caprices et à l’arbitraire de son régime ?
Ces deux dirigeants n’ont pas eu la main heureuse et des conjonctures assez moroses ont quelque peu plombé leurs présidences respectives, nonobstant des maladresses et des incohérences de perception et de conception. Bien que populaire, Lula s’emploiera à endiguer la vague populiste qui s’était emparée du pouvoir. En outre le président Lula colle au peuple et lui sait gré du soutien qu’il lui apporte. Il lui est redevable de cette fidélité et de cet attachement affectueux.
Pour autant, il n’entend pas s’enfermer dans des logiques de séparation ou de discrimination. Pas plus qu’il n’entreprend de replonger dans la naïveté de l’époque enivrante. Il compte plutôt restaurer la confiance fissurée par des replis identitaires qui sont des signes d’affaissement de la cohésion nationale. Les temps ont changé. De même que le ton et la tonalité. En un mot, l’ordre démocratique reste malmené un peu partout dans le monde.
Le retour de Lula aux affaires sonne-t-il à nouveau la mobilisation et l’enchantement ? Fini les fêtes foraines et les attroupements spontanés pour célébrer des victoires en chantant. Il se dit même que désormais le fondateur du Parti des Travailleurs distingue bien la foule de l’opinion publique « éclairée ». Le dialogue intérieur va dominer le plus clair de son agenda politique.
Moins de passion, plus de raison, en s’adressant à ses concitoyens qui lui ont renouvelé leur confiance. Aiguillon ou éclaireur ? Héraut ou Timonier ? Lula se présente, sans le dire, en sauveur d’un pays qui doute de lui-même et de ce qu’il peut représenter comme force à l’échelle du monde. Comme nation émergente, le Brésil anime avec la Chine, la Russie, l’Afrique du Sud, et l’Inde le peloton d’une renaissance alternative.
Déjà, par l’écologie centrée sur la préservation de l’Amazonie, « bien commun à l’humanité entière ». Par ce seul fait, le Brésil se trouve au cœur de la mondialisation. Et pour s’en convaincre, le retour annoncé de la Norvège, qui avait suspendu toute coopération avec le président sortant, traduit l’urgence de penser global et d’injecter des moyens colossaux afin de maintenir intact le réservoir d’oxygène que constitue ce joyaux naturel.
Bolsonaro niait les évidences et s’affranchissait du multilatéralisme pour mettre en œuvre son programme économique qui a ruiné les grands équilibres d’un Brésil exsangue malgré ses indéniables atouts. Entre autres, l’immensité du territoire, la diversité de sa population encore jeune, ses richesses, son agriculture, ses innovations technologiques et la renommée de ses laboratoires de recherche, notamment dans le domaine très disputé des nanotechnologies.
De ce fait, Lula sait (ou devine) les forces sur lesquelles il va s’appuyer pour réinventer le leadership de demain. En identifiant les facteurs d’impulsion, Lula corrigera les imperfections de ses précédentes présidences en apportant du « sang neuf ».
À son âge, il ne se projette pas. Il redessine un futur pour son pays. Son pari : détecter de nouvelles figures capables d’anticipation sous son parapluie. Il adore le pouvoir non pour sa splendeur mais pour ses puissants leviers d’action. Pour lui, le choc de la défiance doit sonner le réveil des forces somnolentes pour préparer le Brésil de demain.
Fera-t-il école ou des émules en Afrique ?