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SÉnÉgal, Un Pays Sans IdÉes ?

SÉnÉgal, Un Pays Sans IdÉes ?

En faisant, dans les colonnes du quotidien L’As, daté du 13 octobre 2022, le constat de l’« appauvrissement intellectuel », de la « fin des idéologies en politique » et de l’« avènement d’espaces d’invectives », l’auteur de l’article dont nous reprenons le titre en le nuançant par un point d’interrogation, Mamadou Mbakhe Ndiaye, déplore, avec beaucoup d’autres, non cités pour la plupart dans son papier, « l’assèchement intellectuel et idéologique (…) dans l’espace politico-médiatique » sénégalais. Je crains que le long « assèchement politico-médiatique » ne soit considéré comme un « assèchement intellectuel et idéologique » plus facile à faire accepter aux médias qu’aux intellectuels dont on ne parle que très peu dans ce pays depuis très longtemps déjà.

Que s’est-il donc passé ?

Cela fait déjà bien longtemps que nos intellectuels ne sont qu’au nombre de trois ou quatre : Mamadou Diouf, l’historien,Boubacar Boris Diop, l’écrivain – donnez-moi des noms – , Souleymane Bachir Diagne, le philosophe… Trois brillants intellectuels certes dans un pays de plus de 17 millions d’âmes toutes bien nées ! Un nombre faux dont les auteurs sénégalais de plusieurs centaines de livres chaque année peinent pourtant à faire multiplier par 2 ou 3. C’est que les canaux par lesquels les Lettres etles Médias se parlent et s’enrichissent mutuellement sont obstrués. À quoi bon l’entrelacement politico-médiatique quand 3 clients suffisent à la critique de haut vol pour dire du Sénégal ce qu’il est supposé être après n’y être restés que quelques semaines pour ne pas dire quelques jours seulement pendant toute une année ? Puisqu’il en est ainsi depuis de très nombreuses années déjà, bien nombreux sont les intellectuels en politique auxquels les médias ne s’intéressent que lorsqu’ils s’opposent, ressassant juste la vérité toute faite : « Le pouvoir est mauvais comme l’opposition est bonne. » Oppose toi donc radicalement si tu veux qu’on parle de toi ! Si tu veux compter, quoi…

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Et dans la brèche ouverte par l’opposition dite radicale s’engouffrent les intermittents de la politique qui, par dose homéopathique, nous apprennent, quand un micro leur est tendu par un journaliste plutôt admiratif, ce que nous sommes devenus à notre insu : des bons à rien !

Cela n’a quand même pas échappé à beaucoup de monde quand l’un des plus grands penseurs de ce premier quart du XXIe siècle, le Sénégalais Souleymane Bachir Diagne, parlant de l’école sénégalaise à l’invitation de l’Académie nationale des sciences ettechniques du Sénégal (Anst), soutient, que « les classes pléthoriques, le mode de recrutement des enseignants constituent un facteur majeur de la baisse du niveau des élèves au Sénégal ». Chroniqueur à La Gazette, nous soutenions peu avant 2011, qu’une école dont les parents d’élèves, qui constituentles élites de laNation, ne parlent que très peu s’invitera tôt ou tard dans le débat pour cause de déliquescence avancée. Nous y sommes ! Mais il y a une explication – pas la seule – du long silence des élites sur l’école publique d’où elles sont toutes sorties. C’est que lesdites élites, prétextant la liberté des parents de choisir entre le public et le privé, ne débattent plus d’une école à deux vitesses, oubliant le public auquel ils doiventtout. L’école sénégalaise n’échappe pas – et par quel miracle échapperait-elle ? – à la sentence universelle : «Tout ce dont on ne parle pas est mort même vivant.»

Mais que peut bien valoir Abdoul Aziz avant Souleymane ? Rien ! Faux ! « L’écart entre [les] promesses des penseurs de métier et la situation des hommes est plus scandaleux qu’il ne fut jamais », avait averti Paul Nizan. Le résultat est le même lorsque, de l’avis de Pierre Bourdieu, « la pensée critique [se réfugie] dans le « petit monde » académique, où elle s’enchante elle-même d’elle-même, sans être à mesure d’inquiéter qui que ce soit en quoi que ce soit ». C’est qu’ « une théorie doit servir… », disait Gilles Deleuze. « Assèchement intellectuel et idéologique », « assèchement politico-médiatique » ou les deux ? Peu importe ! Une chose est sûre : le besoin de penser est aussi vital que celui de manger à sa faim.

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Bien penser, c’est vouloir mieux se nourrir. N’est-ce pas ? Rien qu’une provocation de profane ! Pour autant, « il serait temps, ainsi que le suggérait Pierre Bourdieu, que les journalistes apprennent à reconnaître qu’un propos peut être très important intellectuellement ou politiquement, lors même qu’il émane d’un simple citoyen inconnu ou isolé, ou, au contraire, tout à fait insignifiant, lors même qu’il émane d’un homme politique “important” ou d’un porte-parole autorisé d’un “collectif”, ministère (…) ou parti».







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