Après les quatre années de pouvoir du populiste d’extrême-droite, Jair Bolsonaro, Lula revient à la tête du Brésil et ressuscite un immense espoir pour la gauche et pour toutes les personnes qui souffrent et comptent sur la politique pour changer le cours de leur destin. Son bilan en huit ans est éloquent et ferait rougir tous les présidents venus avec de grandes idées avant de céder sous la pression des tenants de l’immobilisme, assis sur leurs privilèges.
Lula prend la tête d’un pays parmi les plus inégalitaires au monde. Durant des mandats précédents, il a entrepris une politique sociale interventionniste et a obtenu des résultats spectaculaires. Grâce à Lula, en huit années, 30 millions de Brésiliens sortent de la grande pauvreté, 15 millions d’emplois sont créés, le chômage chute de 12,6% à 8% de la population active. Lula a été le concepteur du programme Bolsa Família, devenu loi d’Etat en janvier 2004. Il s’agit d’une allocation familiale d’environ 23 000 F Cfa à environ 11 millions de familles les plus précaires à condition qu’elles inscrivent leurs enfants à l’école. Ce programme a inspiré les Bourses de sécurité familiale mises en place au Sénégal depuis 2012. Lula quitte le pouvoir en 2011 avec un taux de popularité exceptionnel de 80%. Il repositionne le Brésil sur l’échiquier géopolitique international, cède le pouvoir à une femme, Dilma Rousseff, et ouvre la voie au courant progressiste dans plusieurs pays d’Amérique latine. Dans son action de révolution économique et sociale, Lula n’a pas cédé sur l’exigence de préserver la démocratie et les libertés publiques ; sujets sur lesquels la gauche latino-américaine n’a pas été toujours irréprochable.
Lula est une figure historique de la gauche et du courant progressiste international. Son parcours est exceptionnel. Enfant issu d’une famille très pauvre, il est ouvrier métallurgiste, militant puis dirigeant syndical avant d’entrer en politique pour changer la vie des siens. Lula a fait sienne l’urgence de changer le cours d’une histoire latino-américaine douloureuse, prise dans les affres des pronunciamientos, de la menace constante étasunienne et de la mainmise de l’oligarchie politico-religieuse sur l’économie d’un pays aux potentialités énormes mais fragiles.
Le parcours de l’homme permet d’avoir une meilleure compréhension de ce qu’il a accompli en deux mandats entre 2003 et 2011 et de son érection comme ennemi des conservateurs et des extrémistes qui ont réussi à l’emprisonner de manière frauduleuse, à destituer son ancienne ministre et à liquider son héritage en mettant au pouvoir Jair Bolsonaro.
Lula a été réélu le 30 octobre dernier. Il met un terme à quatre années folles de Bolsonaro. L’ancien soldat d’extrême-droite avait comme objectif, dès son élection, de saborder l’héritage de la gauche. Il a gouverné dans le racisme, la violence verbale et la tolérance vis-à-vis de la violence physique, l’outrance et la division. Parmi ses premières décisions, il y a eu la suppression du ministère de la Culture. Sa gestion de la pandémie du Covid-19 a fait du Brésil le deuxième pays le plus endeuillé au monde avec 700 000 morts. Il n’a pas rechigné devant les bains de foule en pleine pandémie, les propos péremptoires sur «la grippette» et les mentions virilistes et machistes face à ceux qu’il qualifiait de «chochottes» qui avaient selon lui peur d’un hypothétique virus.
Lula revient au pouvoir pour montrer que l’histoire ne s’arrête pas, qu’elle continue à s’écrire dans le sens de transformer la vie des pauvres et des opprimés, ceux que le politique est censé défendre et protéger. Il revient en revanche à la tête d’un pays divisé. Il ne gagne que de 2 millions de voix face à son adversaire. Avec 49,1% des suffrages, 58 millions de citoyens brésiliens ont voté pour un président ouvertement raciste, un homme d’extrême-droite nostalgique des années sombres de la dictature.
Le défi pour Lula est de réconcilier un pays divisé. Comme Trump, battu après un seul mandat, Bolsonaro partira mais ses idées vont continuer à pourrir le corps social de son pays. Par la violence, les excès et la division de leurs concitoyens, les populistes autoritaires détruisent leur pays après être arrivés au pouvoir à force de mensonges et de promesses irréalistes et irréalisables. Ils finissent par partir mais leurs idées demeurent fortes dans les consciences et nourrissent des destins et des ambitions. Il faut observer comment le parti républicain aux Etats-Unis s’est trumpisé. Il est devenu un repaire de leaders qui n’ont plus aucune limite, ne reculent devant aucune abjection raciste voire conspirationniste pour plaire à une base sociale devenue hystérique. Au sein du Gop, l’on se débrouille même pour purger les figures modérées à l’image de Liz Cheney, poussée à la sortie car opposée à Trump.
Bolsonaro a été soutenu et est soutenu par les puissances d’argent, des stars riches du foot comme Neymar et ne perd que de justesse malgré un bilan catastrophique et des orientations extrémistes. Ses idées sont devenues banales au Brésil, comme toutes les idées extrémistes, enrobées dans le mensonge, la violence, la haine des élites et le complotisme, sont devenues normalisées partout. En Afrique, nous n’y échappons pas. Apprenons de ces échos qui nous parviennent du Brésil pour espérer éviter le précipice du populisme autoritaire qui peut arriver au pouvoir par le canal des élections. Mais ensuite, il dévitalise la démocratie car opposé à la pluralité des opinions que les libertés publiques confèrent et garantissent.