De Pape Alé Niang, l’histoire retiendra sans doute sa brillante contribution au journalisme d’investigation dans une démocratie qui a pris des rides. Au firmament de son art, Pape Alé a choisi de se promener dans les champs de mines de la mal gouvernance et les sentiers administratifs bouffis du vol et du pillage des biens et des richesses publics dont dépendent la survie et l’avenir de millions de Sénégalais. Un avenir largement compromis par les mandats politiques remplis du venin de la tromperie dirigée contre des populations exsangues.
Ce jeune journaliste, formé dans les académies à l’ombre d’ainés dont certains ont marqué l’histoire pionnière du journalisme au Sénégal et en Afrique de l’Ouest, n’a jamais tourné le dos aux miséreux des villages décharnés et des banlieues tristement démunies. Il s’est pleinement investi, jour après jour, et à travers ses fameuses chroniques hebdomadaires toujours attendues par des dizaines de milliers de téléspectateurs et les assidus des nouveaux amphithéâtres que sont les réseaux sociaux, dans une forme de guérilla qu’il savait dangereuse mais à portée de main pour la manifestation de vérités enfouies dans les décombres des « secrets d’État » et les « deals » administratifs maladroitement ensevelis.
Ce qui rend si exceptionnel et cruel à la fois la mise au mitard de Sébikotane de Pape Alé, c’est que ses interventions pédagogiques ont toujours été attendues par des audiences de plus en plus avides d’informations de qualité et de vrais scoops qu’elles savaient ne pouvoir trouver que dans les éditoriaux et les investigations de cet intellectuel organique qui ne s’est jamais laissé griser par un succès mérité. Il tordait le cou aux commis de la malfaisance financière, aux spécialistes des coups tordus politiques et à tous ces bonimenteurs publics qui exercent leur carrière dans les mensonges grossiers et les reniements qui gomment cyniquement les promesses électorales ou envoient dans les cachots et les culs-de-basse-fosse tristement célèbres, les dignes fils d’un pays mis en pièces au bénéfice des centurions de la néo colonie. Aux faux scoops de la démagogie populiste sur une prétendue émergence de notre économie déjà naufragée et comptable de la multiplication des décharnés de l’extrême pauvreté et de la misère la plus indigne, il a toujours opposé un discours mesuré mais ferme toujours soucieux de ne jamais perdre de vue l’équilibre des unités d’information.
Pape Alé n’a fait aucune concession sur la possibilité d’une troisième candidature du président Macky Sall et sur le harcèlement devenu très largement impopulaire du président Ousmane Sonko. Ces deux épines dans le pied du président Macky Sall auxquelles on peut ajouter le détournement présumé de 94 milliards de francs Cfa par l’un de ses collaborateurs les plus proches sont sans doute à l’origine de la querelle engagée contre Pape Alé.
C’est ce journaliste émérite que le président Macky Sall, chef de l’Alliance pour la République, a décidé d’embastiller depuis plusieurs semaines. Des manifestations internationales, nationales et les voix autorisées d’éminents confrères s’exprimant avec compassion sur le sort d’’un Pape Alé dangereusement affaibli par une grève de la faim qu’il s’est imposée et qui commence à perdurer, n’ont pas décidé le président Macky Sall à se départir de ses ritournelles familières sur la prétendue séparation entre les pouvoirs exécutif et judiciaire dans le système de gouvernance du Sénégal.
Pape Alé Niang est désormais arrivé au carrefour de la vie. Son état de santé déclinant est devenu alarmant. Son épouse nous a tous alertés de cette triste situation. Le peuple sénégalais et l’opinion internationale tiennent déjà le président Macky Sall pour responsable de tout ce qui pourrait advenir quant à la santé de Pape Alé Niang. Ils demandent sa libération sans délai et rappellent que la place d’un journaliste est dans sa salle de rédaction et non dans un cachot.
Il se fait déjà tard, monsieur le président de la République. Rendez-nous notre Pape Alé et rappelez-vous qu’il vous a maintes fois tiré du naufrage électoral et politique en vous tendant généreusement son micro. Par souci du respect de l’information équilibrée qui l’a toujours habité, Pape Alé Niang vous a déjà devancé devant l’histoire. Ressaisissez-vous pendant qu’il est encore temps, monsieur le président de la République. Libérez Pape Alé Niang, en vous rappelant que l’appât d’un troisième mandat n’en vaut pas du tout la peine comme le rappellent les récents évènements si tragiques de la scène politique africaine qui a envoyé au rebut de l’histoire tous ceux qui se sont essayé à la dictature et à la confiscation de la station présidentielle.
Jacques Habib Sy est Professeur en Communication.