Ce qu’ils peuvent donc être ingrats et chiants, ces Sénégalais ! Des gens difficiles à satisfaire et qui n’ont assurément pas la reconnaissance du ventre, voilà ce qu’ils sont. Voilà donc 17 millions d’hommes et de femmes que l’on aide à traverser presque sans encombre la terrible pandémie de Covid-19, qui a fait tant de ravages sanitaires et économiques ailleurs avec des dizaines de milliers voire des centaines de milliers de morts selon les pays, contre à peine un millier dans ce Sénégal béni des dieux. Dix-sept millions d’hommes et de femmes pour qui l’on se décarcasse pour trouver 1000 milliards de francs en pleine tourmente sanitaire mondiale et les aider à faire face aux conséquences sanitaires mais aussi économiques de la pandémie, à être résilients donc, comme on dit, et qui trouvent à redire pour quelques malheureux milliards de francs perdus en cours de route dans les poches ou les comptes bancaires des agents publics chargés de gérer cette manne. Plus exactement, 6.686.784. 410 francs seulement qui manquent à l’appel et les voilà en train de brailler, de faire un raffut de tous les diables, de tympaniser la République alors qu’ils devraient se confondre en remerciements et exprimer chaque jour que Dieu fait, au réveil, leur reconnaissance infinie à un si bon Président et à de si dévoués ministres de les avoir sauvés de la famine et de la mort et leur pays, de la récession. Mais enfin, on ne sait pas ce qu’ils veulent finalement ces gens qui nous font chier. Ils ne vont quand même pas demander au bon Dieu sa barbe pendant qu’on y est ! Vous vous rendez compte : 6,7 milliards (arrondissons), ça ne représente que 0,7 % de la fabuleuse somme débloquée parle président de la République pour soigner les gens malades de la pandémie, effectuer des tests, créer des centres de traitement des épidémies, acheter des médicaments et des réactifs, venir en aide aux ménages vulnérables, aux entreprises en difficulté, aux secteurs économiques impactés parla crise, subventionner le prix du carburant, soutenir les monde sportif et culturel etc. Une « déperdition » de 0,7 % seulement et ça hurle comme des démons. Vous nous emmerdez à la fin ! » Ainsi peut-on résumer la réaction du Gouvernement à ce très gros scandale révélé par le rapport d’audit de la Cour des comptes sur l’utilisation du Fonds de riposte et de solidarité contre les effets de la Covid-19 (ou Force-Covid 19)
Un rapport qui a fait apparaître un véritable carnage, un pillage en règle des ressources publiques débloquées à l’occasion de cette pandémie. Un véritable « tong-tong » des finances publiques où l’on a vu des gestionnaires surfacturer allègrement, dépenser sans justificatifs, procéder à des détournements d’objectifs — comme par exemple « production de bacs à fleurs et travaux d’aménagement et de sécurisation » à hauteur de 239 millions de francs !, donner des marchés à des copains et des coquins — des coquines surtout! — sous forme de partage de l’hyène à des entreprises « Bouki », « Ndiour » et « Samba » appartenant à la même personne pour mieux capter les ressources publiques etc. En tout, on l’a dit, et pour se contenter du chiffre admis par le Gouvernement (alors que le montant du préjudice subi parles pauvres Sénégalais est de loin supérieur à ce chiffre), 6,7 milliards environ détournés. Et pendant que le peuple s’indigne, s’étrangle, rue dans les brancards, réclame à très juste titre des comptes mais aussi que les voleurs soient pendus haut et court ou passent devant un peloton d’exécution, le président de la République, qu’un si petit détournement ne saurait émouvoir, voyons, lui qui vient de serrer la pince à l’homme le plus puissant du monde, le président des Etats-Unis d’Amérique, Joe Biden, de se rendre au pays du Soleil levant et de faire ami-ami avec le sultan ottoman Erdogan en sa qualité de président de l’Union africaine, le président Macky Sall, donc, ne saurait se rabaisser à parler de détournement portant sur six milliards de francs seulement. Il a donc demandé presque avec mépris à son Premier ministre d’éclairer les Sénégalais sur ce rapport de la Cour des comptes dont il a entendu parler. Comme si les Sénégalais avaient besoin de la lanterne de Diogène d’Amadou Ba pour voir clair dans cette histoire de détournement à grande échelle ! Diogène étant ce philosophe grec qui se promenait en plein jour avec une lanterne allumée. A ceux qui l’interrogeaient sur cette incongruité, il répondait : je cherche l’Homme !
Un point de détail !
Amadou Ba, prié d’éclairer les Sénégalais sur cette histoire, a jugé à son tour ne devoir pas condescendre à parler d’une affaire aussi minable qu’un détournement de moins de sept milliards de francs et a donc demandé à son ministre des Finances flanqué de son homologue du Commerce d’aller entretenir le bon peuple de ce sujet qui distrait le Gouvernement ! Voyez-vous donc, on leur parle de 1000 milliards et ils viennent nous embêter avec six malheureux milliards qui, au pire, relèvent de la Cour de discipline budgétaire et ne méritent même pas des poursuites pénales. Encore une fois, un détournement portant sur une somme aussi minable — pour un pays qui va être un producteur de gaz et de pétrole, et va donc tutoyer le richissime Qatar dans quelques mois — c’est un péché véniel, un pet de lapin. Un « point de détail » pour paraphraser l’homme politique français Jean-Marie Le Pen, fondateur du parti d’extrême droite Front national, à propos des chambres à gaz dont il avait dit que c’est « un point de détail de l’histoire de la Deuxième Guerre mondiale ». Des propos qui lui avaient valu plein de condamnations judiciaires.
Alors que l’on s’attendait à ce que le président de la République lui-même montât au créneau pour annoncer des poursuites judiciaires contre les personnes épinglées parles vérificateurs de la Cour des comptes en martelant qu’un seul franc des deniers publics ne saurait être détourné impunément, voilà qu’il nous joue le coup du mépris. Lui, il est juché sur son Olympe et ne venez surtout pas lui parler de ces affaires mesquines de détournement de quelques milliards. Et tant pis si ces milliards ont été soustraits d’une manne acquise à force de « mastata » sur le plan national et de « fi sabililahi » à l’international, le Sénégal étant l’un des plus grands mendiants de la planète. Circonstance aggravante, ils ont été détournés en période de guerre puisque le président de la République lui-même était monté au créneau pour déclarer la guerre à la pandémie de covid-19. Il ne s’agit donc pas d’un détournement de deniers publics ordinaire mais bien d’un crime de guerre car intervenant à un moment où des gens mouraient dans les hôpitaux et centres de traitement d’épidémies souvent par manque d’oxygène ou de médicaments, le plus souvent les deux, où les populations étaient confinées chez elles sur fond d’état d’urgence, où toutes les activités économiques étaient arrêtées ou singulièrement ralenties. Mais bon, les gestionnaires de deniers publics savent au moins une chose désormais: ils pourront détourner jusqu’à hauteur de 0,7 % des sommes qui leur seront confiées, ce sera passé par pertes et profits il ne leur arrivera absolument rien dans ce pays de Cocagne !