Les conclusions accablantes du Rapport de la Cour des comptes sur la gestion criminelle des fonds dédiés à la lutte contre le coronavirus sont promises à un traitement politique et administratif qui éloignera les ministres et leurs collaborateurs de toutes poursuites judiciaires. C’est le sens des attaques du ministre de la Justice contre l’organe de contrôle.
Les organisations de la société civile en ont sûrement pris acte. Le rassemblement qu’elles ont organisé le 30 décembre à la Place de la nation pour exiger la reddition des comptes dans le carnage d’Etat opéré sur les fonds de la Covid-19 n’aura (presque) servi à rien. Dans son message du 31 décembre 2022, le président de la république n’a eu besoin que de 39 mots (216 caractères) pour « signer » l’autorisation d’enterrement du Rapport de la Cour des comptes. Quelques heures plus tard, c’est son ministre de la Justice qui s’attaque violemment aux compétences des magistrats de l’institution et décrète les voies par lesquelles il n’y aura plus d’affaire liée à la gabegie d’Etat perpétrée sur les fonds Covid.
Dans les colonnes du quotidien « Source A », le ministre Ismaila Madior Fall oriente les traitements du dossier vers plusieurs pistes dont médiation pénale, enquête complémentaire, remboursements.
Dans leurs recommandations aux autorités, les enquêteurs de la Cour des comptes demandent, entre autres, l’ouverture d’une douzaine d’informations judiciaires contre les personnes épinglées dans le Rapport définitif.
Mais selon le ministre de la Justice, « l’article 79 de la loi organique sur la Cour des comptes ne dit pas que la Cour peut demander l’ouverture d’une information judiciaire », rapporte le journal précité.
Le raisonnement du ministre Ismaila Madior Fall est plus que curieux : si cette même loi organique « ne dit pas que la Cour peut demander l’ouverture d’une information judiciaire », on peut penser en retour qu’elle n’interdit pas également à la Cour des comptes de requérir une information judiciaire sur la question ! Et c’est sans doute cette possibilité laissée ouverte par la loi qui a incité les enquêteurs à saisir la justice. Pas besoin d’être juriste pour sentir l’hypothèse. Les enquêteurs de la Cour ont eu du nez !
En réalité, l’option du pouvoir exécutif est de laisser l’affaire à la discrétion totale du parquet afin d’éviter toutes mauvaises surprises dans la gestion d’un scandale d’Etat qui implique des ministres, des DAGEs et des hauts fonctionnaires. C’est pourquoi, à l’ouverture d’informations judiciaires formulées par la Cour des comptes, le ministre de la Justice oppose « une information judiciaire (ouverte) par le parquet. »
Comme d’autres enquêtes produites par d’autres organes de contrôle de l’Etat, le Rapport de la Cour des comptes prend le chemin irréversible du traitement politique et administratif. Avec un objectif fondamental qui vise à soustraire des ministres et leurs collaborateurs de toutes poursuites judiciaires devant les tribunaux. La « doctrine Macky » en gouvernance sobre, vertueuse et reddition des comptes en sera le point final : zéro coupable car zéro responsable. Au nom de la continuité de l’Etat et des institutions, les contribuables sénégalais paieront la note d’une façon ou d’une autre. Elle n’est pas belle, la vie en Mackyland ?