Selon le FMI, l’année 2023 est prévue pour être plus difficile que la précédente du fait du ralentissement de la croissance aux États-Unis, en Chine et en Europe, pays moteurs de la croissance mondiale.
Nous assistons à divers bouleversements portant sur le commerce international avec les réorientations des flux commerciaux suite au conflit actuel entre la Russie et l’Ukraine, des changements du système financier international promouvant d’autres circuits de règlement des transactions, mais aussi de valorisation des monnaies nationales(roupie, yuan, rouble etc.) avec comme objectif de « dédollariser » les transactions portant sur l’énergie et les céréales.
Par rapport au conflit géostratégique actuel en Europe, rien ne se dessine en termes de fin du conflit en 2023, et, par conséquent, de retour à la normale des agrégats économiques et surtout de l’inflation qui s’est largement diffusée dans l’économie mondiale.
Saisissant l’opportunité du conflit russo-ukrainien, les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) s’organisent en leur sein dans la perspective de mettre fin à ce qu’on appelle le « privilège impérial » qu’offre le dollar aux USA dans l’organisation actuelle du commerce international.
Si l’on y ajoute les tensions inflationnistes conduisant à des crises budgétaires dans les pays d’Europe, et à la récession économique dans certains pays, on peut admettre effectivement que 2023 sera une année particulière d’ajustement d’une économie mondiale grosse de l’avènement annoncé d’un pôle économique, monétaire et financier alternatif à celui en force depuis Bretton Woods. Un pôle qui induira une division du monde en blocs économiques distincts.
Dans un tel contexte, les plans d’émergence basés sur des capitaux extérieurs sont à l’arrêt. Les augmentations de taux directeurs des banques centrales pour ralentir l’inflation, et par conséquent des taux d’intérêts bancaires et financiers en Europe et aux Etats Unis, créent un effet de réorientation des capitaux à la recherche d’une meilleure rémunération.
Pour le Sénégal, 2023 s’annonce donc comme une année d’impasse économique marquée par un essoufflement à financer les grands projets présidentiels et à combler les déficits budgétaires aggravés parles dépenses publiques de protection du pouvoir d’achat et de remboursement de la dette extérieure.
Au plan social, l’impact le plus marquant de la guerre Russie-Ukraine est la hausse des prix du carburant, de l’électricité et des denrées alimentaires, dont les plus pauvres font les frais du fait de l’affectation d’une grande partie de leurs revenus aux dépenses de consommation et de transport.
Quand le PSE a du plomb dans l’aile !
Le Plan Sénégal Emergent a du plomb dans l’aile. En convenir pourrait ouvrir la voie à une large concertation nationale et populaire, incluant l’opposition, pour réactualiser ou revoir les fondamentaux afin d’en faire une orientation économique concertée.
En particulier, les Sénégalais doivent se mettre d’accord sur la question de l’agriculture. Celle-ci revient au premier plan des préoccupations pour deux raisons fondamentales : la rareté des produits alimentaires constatée lors de la pandémie du COVID, en particulier des engrais et des céréales dans le sillage de la guerre russo-ukrainienne, le rythme du croît démographique en Afrique prévue pour abriter 2 milliards d’individus dans 30 ans, dans un contexte où l’essentiel de l’alimentation est importé. L’agriculture au Sénégal est au confluent de toutes les contraintes. Elles ont pour noms: imbroglio sur les régimes fonciers, pressions sur la ressource en eau, dégradation des sols, coûts élevés des investissements en aménagements hydroagricoles et en matériels d’exploitation, faible implication du secteur privé et des partenaires financiers internationaux, dispersion de la production du fait que l’agriculture familiale, qui représente 90 % des exploitations agricoles, est subdivisée en parcelles d’1/2 hectare en moyenne, manque de compétitivité internationale au regard des subventions occidentales pour leur propre agriculture, de la faible part des produits agricoles du cru dans l’industrie de transformation alimentaire.
Nonobstant ces contraintes, il est essentiel de convenir que le Sénégal et l’Afrique ne peuvent plus compter sur les autres pour la nourriture de leurs populations au rythme de croissance démographique actuel.
Le paradoxe devra nécessairement être résolu car la structure d’une croissance économique tirée pour l’essentiel par les exportations minières, les services et les investissements se rapportant aux hydrocarbures, n’inclut pas la dimension agricole handicapée par les facteurs supra.
L’industrie sénégalaise demeure encore caractérisée, entre autres, par l’absence de compétitivité du fait de coûts des facteurs en général prohibitifs et de la question du change monétaire, du retard technologique, de la faiblesse du capital humain, de l’absence d’une politique de promotion et de protection des PMI et d’institutions de financement dédiées.
Des programmes portant sur le parc industriel, les Agropoles, le Hub minier sont annoncés, mais nous avons la conviction qu’une stratégie d’industrialisation à l’échelle du seul Sénégal se heurterait à la faiblesse de son marché intérieur.
Le Sénégal devrait donc être à l’avant-garde d’un projet de développement industriel communautaire concerté, dans le cadre des espaces régionaux naturels comme la CEDEAO. Cette option ferme devrait nous pousser à appuyer des initiatives allant dans le sens de la recherche de consensus forts sur l’avenir que notre continent souhaiterait se réserver, au regard de ses défis économiques, démographiques et militaires (lutte contre le terrorisme) dans un contexte géopolitique annonçant le repli de l’ordre économique mondial issu de de Bretton Woods et de la chute du mur de Berlin.
Le remboursement régulier de la dette est devenu un sujet pressant pour le FMI, qui a récemment fait montre d’une intransigeance sur la question des subventions au point de communiquer directement avec les Sénégalais, à la place des communiqués de presse habituels. Ses interventions pour soutenir le rapport de la Cour des Comptes sur l’affaire du « COVIDGATE » sénégalais et recommander un plus grand recours au code des marchés publics pour la passation de contrats laisse présager une plus grande implication de cette institution dans le processus de la dépense publique, préoccupée qu’elle est par le souci de préserver la capacité de remboursement du Sénégal qui semblerait s’affaiblir.
Quand le FMI demande la pédale douce voire le frein sur les subventions !
Pour appuyer la politique de réduction des subventions — dont la suppression est exigée à terme —, le représentant du FMI au Sénégal a précisé ce qui suit : « Cette réduction se justifie parce que le statu quo était devenu intenable pour les finances publiques. Quelques chiffres : en 2021, les subventions à l’énergie ont coûté 150 milliards de FCFA ; en 2022, elles se sont élevées à 750 milliards de FCFA absorbant près de 23 % des recettes propres de l’Etat. Un tel niveau de subvention est supérieur à ce que l’Etat du Sénégal va engranger en termes de recettes issues de l’exploitation des hydrocarbures en 2023, 2024 et 2025. En l’absence des mesures, les subventions auraient coûté 800 milliards de FCFA en 2023 représentant 22 % des recettes budgétaire de l’Etat. Cessubventions ont été le principal moteur du déficit élevé en 2022 ».
Par cette déclaration du représentant-résident du Fmi, le doute s’installe en nous quant à l’impact des revenus attendus de l’exploitation des hydrocarbures. Pour cause, l’institution prévient que, pour sentir l’effet des revenus additionnels issus des hydrocarbures sur l’économie, il faut réduire les subventions. Cela revient à dire que le poids de l’inflation internationale doit être supporté par le consommateur, pour la pleine mesure de l’impact des recettes budgétaires nouvelles.
La vraie question est quels effets attendre de ces ressources d’hydrocarbures que l’on sait inférieures de moitié à l’apport à l’économie des transferts de l’émigration ?
Quel sort leur est réservé dans les programmes budgétaires valant que la hausse généralisée qu’entraîne celle de l’énergie soit supportée par des budgets familiaux durement éprouvés ?
Conscient toutefois du poids de la charge sur les épaules du consommateur, le représentant du FMI invite les différents acteurs à « à l’union sacrée avec le gouvernement afin de soutenir cette décision car elle vise à maintenir la qualité de la signature du Sénégal sur les marchés internationaux »
Pour que cette sollicitation soit entendue, il faudrait également que l’affectation budgétaire des levées de fonds effectuées sur les marchés financiers soit clairement identifiée.
Des investissements de prestige sans impact sur l’économie ne sauraient justifier des augmentations sur des secteurs aussi sensibles que le carburant et l’électricité qui sont à la base de toutes les hausses de prix. En arrière-fond demeure la question de la viabilité de la dette.
Le Fmi considère que la réduction de la dette publique demeure une priorité pour les prochaines années et laisse escompter un surcroît de recettes publiques avec une « mise en œuvre accélérée de la stratégie de mobilisation des recettes intérieures et la suppression progressive des subventions à l’énergie. A notre sens, renforcer la pression fiscale sur une base réputée étroite a ses propres limites.
Priorité à l’agriculture !
Le Sénégal doit plutôt être encouragé et soutenu pour la mise en place d’une stratégie de croissance permettant une collecte de recettes fiscales et non fiscales à la hauteur de ses ambitions de développement. Cela ne peut être généré que par un surcroît de valeur ajoutée, lequel dépend d’une politique de transformation industrielle à la place du modèle économique actuel d’exportation brute de matières. Des matières dont les prix sont fixés ailleurs et de toutes façons sans rapport avec celui des produits finis issus de leur transformation.
Il est loisible de constater que les investissements directs étrangers(IDE) vont là où ils estiment que leur rémunération est la plus optimale. Le mode d’industrialisation doit être choisi et dépendre de la volonté politique des dirigeants et de la disponibilité des ressources financières nécessaires
Développer une capacité d’autofinancement propre est un préalable. Cette capacité est fortement dépendante de la qualité de la dépense publique tant en investissement qu’en fonctionnement
En définitive, l’agriculture vivrière s’avère incontournable pour assurer la sécurité alimentaire. L’état de faiblesse des investissements dans l’agriculture est symbolisé par la répartition des sources d’eau utilisées, à hauteur de 98 % en eaux pluviales et seulement à 10 % par voie d’irrigation.
La rareté des céréales sur les marchés lors de la période lourde du COVID nous a instruits que les déficits de produits alimentaires relèvent du champ des possibles
Pour faire face aux besoins alimentaires à court, moyen et long termes, il faudra nécessairement injecter des ressources financières dans le monde rural, au nom de la sécurité alimentaire du pays menacée par la facilité de l’importation « tous azimuts »
Les investissements doivent être orientés vers la refertilisation des sols usés par l’avancée du biseau salé dans les zones côtières, du chlore, du fluor, des nitrates et l’utilisation non maîtrisée de pesticides.
Malgré toutes ces contraintes, la nécessité d’assurer la sécurité alimentaire surdétermine toute autre considération.
Il revient à l’Etat de mettre ensemble les experts de ce pays en vue de trouver les solutions idoines. Il est enfin de l’intérêt de l’Occident de comprendre l’urgence et de faciliter les financements bilatéraux et multilatéraux vers l’agriculture, secteur prioritaire par rapport à la mobilité urbaine.
En effet, si d’aventure l’abandon de l’Afrique à elle-même devait se poursuivre jusqu’en 2050, période vers laquelle le continent atteindrait les 2 milliards d’individus, aucune barrière frontalière ne pourrait contenir les déferlantes migratoires qui résulteraient de la déflagration démographique, vagues dont le rythme actuel n’est qu’un avant-goût de ce qui profile à moyen et long termes.