Le Sénégal et le Mali ont eu une proximité historique unique.
Ils ont failli être le même pays. Ils ont même été le même pays pendant quelques mois au sein de la Fédération du Mali (janvier 1959-août 1960), même capitale (Dakar), même parti politique (PFA : Parti de la fédération africaine), même Chef de gouvernement (Modibo Keïta), même gouvernement fédéral, même parlement, même président de parlement fédéral (Léopold Sédar Senghor), le tout sous la figure tutélaire de Lamine Koura Guèye, président de l’Assemblée nationale du Sénégal. Ce natif de Médine que les Soudanais voulaient porter à la présidence de la Fédération !
Mêmes députés, mêmes ministres ! Mêmes symboles, mêmes couleurs du drapeau, même devise (Un peuple, un But, une Foi).
Malheureusement cette généreuse réalisation panafricaine n’a pu tenir et prospérer. Les relations humaines entre les peuples des deux pays n’ont, cependant, pas pris une ride.
Tout au long de notre histoire commune, des Sénégalais ont témoigné leur solidarité et leur fraternité à tous les Maliens sans distinction. Ce fut le cas du Bourba Jolof, l’illustre Albouri Ndiaye qui a volé au secours de la résistance anti-impérialiste en participant à la défense de Nioro (Nouroulahi), la capitale menacée de l’Empire. Il a été le héros de la bataille de Mayel en décembre 1890. La mare de Katia, le baobab centenaire sous lequel campaient le QG de la résistance et l’Emir El Moumines, témoignent encore de la solidarité agissante, à l’égard du Mali, d’ Albouri Ndiaye et de ses hommes qui ont suivi Ahmadou Saïkou dans son exil vers le Maasina et Dosso où il finit ses jours.
C’était le cas du général Abdoulaye Soumaré, ce Saint-Louisien devenu, dès janvier 1961, chef d’État-major général de la nouvelle armée de la République du Mali.
D’autres Sénégalais sont arrivés au Mali après l’éclatement de la Fédération. Parmi eux : le Docteur Doudou Guèye, Mamadou Talla, Racine Kane et Djibril Kane. Plusieurs ont servi au plus haut niveau du nouvel État malien en gardant leur nationalité sénégalaise.
Que dire d’Ibnou Tall, le chauffeur sénégalais du président Modibo Keïta ? Symbole de fidélité et de loyauté. Chargé de déposer Modibo à la gare, il a pris place dans l’historique train du retour et est demeuré aux côtés du président jusqu’ au coup d’État de novembre 1968. Le Mali fraîchement indépendant était devenu un refuge, une terre d’accueil pour nombre de militants sénégalais.
Ainsi des leaders du PAI (parti africain de l’ indépendance) dont Majemout Diop, Ly Tidiane Baïdy ou Demba NDiaye ont fait partie, pendant plus d’une décennie d’exil, du paysage politique et social du Mali.
Majemout Diop et ses camarades ont pesé sur l’évolution politique du Mali en ordonnant aux dissidents du PAI-Soudan qui ne voulaient pas rejoindre l’US-RDA (le parti du président Modibo) de ne pas utiliser le nom du PAI. Ainsi est né le Parti malien ouvrier et paysan qui deviendra le PMT (parti malien du travail) principale composante de l’ADEMA qui jouera un rôle décisif dans l’avènement de la démocratie au Mali.
C’était aussi le cas de la figure emblématique d’Omar Blondin Diop et de son frère jumeau Alioune Sall Palooma venus à Bamako en mai 1971 des camps palestiniens de Baït Naïm, près de Damas en Syrie.
Repérés par les polices sénégalaise et malienne, les deux jeunes radicaux de Bamako-Kura furent arrêtés en novembre 1971, enfermés dans les cachots de la police jusqu’en février 1972 avant d’être expédiés au Sénégal. Jugé et condamné à trois ans de prison, OBD est mort en détention, le 11 mai 1973, dans des conditions suspectes.
Libéré en 1974, Palooma effectua entre 1979 et 1986 de fréquents séjours au Mali où il a travaillé à l’Institut du Sahel comme expert des Nations Unies.
Landing Savané et Abdoulaye Bathily font partie des rares hommes politiques sénégalais qui ont fréquenté l’arrière pays qu’est le Mali, connaissant sur le bout des doigts ses réalités et ses acteurs.
Ce tropisme a conduit Abdoulaye Bathily en 2013 à participer aux efforts de stabilisation du Mali dans le cadre de l’ ONU. Ce fut aussi le cas de Mamadou Lamine Diallo Tekki, membre fondateur de l’Union des luttes Tiémoko Garan Kouyaté (ULTGK) qui, par la création du Club Nelson Mandela, de l’ADIDE (association des diplômés sans emploi), du CNID, et de l’AEEM (syndicat des élèves et étudiants), a joué un rôle de tout premier plan dans la révolution démocratique de mars 1991.
Alioune Tine, le Jambar des libertés et des droits démocratiques, dont Bamako est devenu la « seconde maison ».
Que dire de Maky Sall qui a sauté dans un avion dès le lendemain de l’attentat sanglant contre le Radison Blu (22 morts) en novembre 2015 pour venir consoler le Mali en pleurs ?
Les rails du Dakar-Niger ont aussi constitué un cordon ombilical de la relation féconde entre les peuples de deux pays. Il en est de même des navétanes, ces travailleurs saisonniers qui faisaient le va-et-vient entre le Soudan et le bassin arachidier du Sine Saloum et dont les descendants restés au Sénégal constituent aujourd’hui des relais vivifiants de la relation entre nos pays. Wolofobougou, le quartier du président Modibo à Bamako n’est-elle pas la réplique humaine de M’Bambara à Thiès ?
Diop-Traoré-Dembélé, Ndiaye-Diarra, Guèye-Sissoko pour ne prendre que ces exemples illustrant des rapports anciens remontant à la nuit des temps, aux relations établies entre les peuples ayant composé les empires du Ghana, du Mali et du Songhoy, aux contacts parfois tumultueux entre le Mandé et le Jolof ainsi que les mouvements de populations initiés et impulsés dans le sillage du mouvement omarien parti du Fuuta sénégalais au 19 ème siècle.
Les Sénégalais du Mali font partie de l’histoire du Mali comme les Maliens du Sénégal font partie de l’histoire du Sénégal. Avec eux, tous ensemble, avec les autres peuples de la région, nous bâtirons l’avenir…