Jamais la situation politique du Sénégal n’avait été aussi crispée et porteuse d’un avenir chargé de violences que ces temps-ci. Notre pays sort des rails posés par ses présidents successifs. L’esprit de dialogue pacifique qui caractérisait le champ politique et social a cédé le terrain au monologue et à la confrontation.
Sous Macky Sall, la prison est devenue un lieu de passage que les politiciens les plus en vue ne craignent plus de fréquenter. Nous avons le sentiment que, sous Abdou Diouf puis Abdoulaye Wade, l’emprisonnement politique était l’exception. A présent, la privation de liberté est devenue la règle. Les leaders et militants de l’opposition qui se succèdent dans nos geôles à un rythme jamais atteint auparavant, commencent à en connaître les moindres recoins.
Abdou Diouf, qui gouverna le Sénégal durant une vingtaine d’années, n’aura pas eu la main aussi lourde que Senghor, adepte du monopartisme et du présidentialisme. Rappelons qu’avec la liquidation politique de Mamadou Dia et l’ingestion du PRA Sénégal, Senghor avait fait entrer notre pays dans une période de glaciation politique d’une dizaine d’années, durant laquelle le parti UPS régnait en maître.
Il faut rendre à César ce qui appartient à César, notre démocratie politique telle que nous la vivons, au-delà des entités politiques comme le PRA/Sénégal, le PAI, les syndicats et les mouvements de jeunes à l’avant-garde de la lutte pour l’indépendance, a été ancrée dansla pratique politique de notre pays par la volonté d’hommes politiques comme Abdou Diouf et Abdoulaye Wade, mais aussi avec la participation des leaders politiques de gauche.
Arrivé au pouvoir en 1981, Abdou Diouf se garda bien de revenir au parti unique, et, l’eût-il voulu, Abdoulaye Wade avait bien fermé la porte à un tout repli démocratique par sa stratégie efficace, voire exceptionnelle, de mobilisation des masses, son sens de la communication politique et sa souplesse dans la mise en œuvre de ses principes.
Parlant de souplesse, n’oublions pas qu’Abdoulaye Wade a, si l’on peut dire, « dribblé » Senghor en présentant le PDS comme un parti de contribution et non d’opposition (au pouvoir de Senghor), ce qui a certainement mis le président Senghor dans une confiance qui le poussera par la suite à étendre l’ouverture démocratique à d’autres partis, avec la réforme instituant la « loi sur les courants de pensée ». C’est au congrès de l’OUA à Mogadiscio, en 1974, que l’avocat avait fait part au poète-président de sa volonté de créer un parti politique.
Les présidents Diouf et Wade ont permis l’instauration du multipartisme intégral au Sénégal, dans un contexte qui n’était pas forcément favorable, si l’on se rapporte à ce qui prévalait à l’époque en Afrique où les allers/retours démocratiques, ponctués de coups d’Etat étaient, et deviennent hélas depuis quelques années, encore la règle.
Le duo DIOUF/WADE a été une grande avancée dans la consolidation de la démocratie politique au Sénégal. Ces deux hommes politiques ont été aidés en cela par des leaders de gauche comme Amath Dansokho, Abdoulaye Bathily, Landing Savané qui avaient gardé une liberté de ton apte à leur assurer l’oreille attentive du duo.
Ils n’hésitaient donc pas à servir d’interface lorsque la situation politique devait être décrispée pour le bien du pays.
Ces leaders de gauche étaient vraisemblablement les visiteurs du soir dont parlait François Mitterrand, ayant pour rôle de dire la vérité au Prince sur l’état réel du pays et aider à l’identification et à la formulation de solutions.
Pour être efficaces, ceux-là ne devaient donc pas appartenir au premier cercle réunissant courtisans et autres laudateurs, ni tenir à la conservation de leurs privilèges en cas de désaccord.
Malgré les violences et emprisonnements qui ont ponctué le déroulement de leurs mandats, Diouf et Wade ont tenu à ne pas franchir les lignes rouges de leur propre gré.
Sous leurs magistères, on avait le sentiment qu’un mouvement de balancier permettant un retour à l’équilibre s’opérait dès que les bords du précipice étaient atteints. Ce balancier, on a le diffus sentiment de l’avoir perdu, ce qui nous fait entrevoir le précipice. Ces temps-ci, le « jusqu’au boutisme » prend le dessus sur la préoccupation de préserver l’essentiel.
Abdoulaye Wade savait, en son temps, « poser des bombes » et les désamorcer en cas de nécessité. On a souvenance du fameux mot d’ordre d’accueillir Abdou Diouf, devant rentrer de voyage et atterrir à l’aéroport, tout le long du parcours Yoff/Palais de la République, que les jeunes avaient décidé d’appliquer à la lettre.
Informé des dangers encourus, Abdoulaye Wade aurait annoncé l’annulation du mot d’ordre pour cause de discussions avec Abdou Diouf sur des modalités de partage du pouvoir, ce que Abdou Diouf démentira par la suite.
L’entrée d’Abdoulaye Wade dans le gouvernement de majorité présidentielle élargie d’Abdou Diouf porta un coup au parti présidentiel que les caciques eurent du mal à accepter. Le sens du repli stratégique de Wade, la volonté d’Abdou Diouf de s’entourer d’une majorité lui permettant de partager le poids social de la politique d’ajustement structurel, vieille d’une dizaine d’années, créèrent les conditions de la participation du PDS, de la LD et du PIT au gouvernement d’Abdou Diouf.
La proximité des deux hommes dans la gestion du pouvoir expliquera par la suite les inflexions dans la tendance à l’affrontement qui caractérisait leurs rapports, et le caractère pacifique de la passation de pouvoir en 2000.
Abdoulaye WADE avait d’entrée de jeu agité la menace de la prison pour les dirigeants du PS vaincu, mais on comprit plustard que l’objectif était plutôt de s’appuyer sur eux pour élargir les bases politiques d’un PDS en réalité minoritaire dans le pays.
Les « transhumants », non seulement migrèrent du PS vers le nouveau pouvoir mais encore durent mettre la main à la poche pour financer les campagnes politiques. Le revers de cette stratégie fût le dévoiement de la rupture politique attendue et le retour aux affaires de ceux qui symbolisaient les affres de la gestion PS.
Avec l’arrivée de Macky Sall, la radicalité dans le traitement de l’opposition aura primé sur toute autre considération. Nul n’est besoin de s’y appesantir. Il faut juste constater la propension effrénée du pouvoir actuel à conduire ses opposants en prison.
Le dialogue politique, notre marque de fabrique, est jeté aux oubliettes. Il est remplacé par le fameux « Force restera à la loi ».
Réduire les opposants par la force et non par la conviction est devenu la règle. Une opposition qu’il faut réduire à sa plus simple expression.
Les institutions comme l’Assemblée nationale sont devenues des lieux d’invectives, de bagarres, de tractations politiques pour faire basculer des majorités acquises par les urnes
Présentement, la question qui interpelle est celle du sort réservé à la candidature d’Ousmane Sonko à la présidentielle de 2024 au regard de sa situation judiciaire, et la position définitive du Président actuel sur sa propre candidature.
Cette consultation électorale va intervenir dans un contexte défavorable pour le parti au pouvoir, marqué par la hausse insupportable du coût de la vie consécutive à aux crises alimentaire et énergétique mondiales, à l’échec des politiques d’emplois et d’auto-emploi jusque-là mises en œuvre, à l’origine de la radicalité de la jeunesse et à la mal gouvernance ambiante faite de scandales financiers de tous ordres demeurés impunis. S’ils ne sont pas encouragés.
Concernant le 3ème mandat, il faut convenir qu’au-delà des réformes constitutionnelles engagées à son initiative, le président Macky Sall s’est clairement exprimé en tous lieux pour préciser que son dernier mandat est celui qui va de 2019 à 2024.
Dans notre société traditionnelle, la parole donnée est sacrée, et on ne peut que s’y fier
A mon humble avis, la parole du président de la République prime sur les dispositions de la Constitution, dont il a été prouvé que le champ des interprétations pouvait être vaste, au vu des commentaires des spécialistes sur la question.
Aussi, faudrait-il laisser au président Macky Sall le choix du moment approprié qui, de toutes façons, ne saurait aller au-delà des délais requis en matière électorale.
Pour ce qui concerne Ousmane Sonko, il faut déplorer la lenteur de la machine judiciaire qui, telle un sablier, prend son temps pour boucler son cycle. Le revers d’une telle lenteur est que le dossier est devenu public.
Le peuple s’en est emparé avec ses propres procureurs, juges, enquêteurs, avocats, ses influenceurs, s’appuyant sur des audios, des publications d’informations sensibles ou secrètes comme des rapports d’enquêtes, déclarations d’avocats, déclarations de médecin etc.
Ce qu’il faut en retenir, c’est qu’avec cette procédure populaire, cette affaire qui empoisonne la vie du pays depuis près de deux ans a fini par forger, chez chacun d’entre nous, une intime conviction qu’aucune décision judiciaire ne pourra effacer ou modifier.
La jeunesse a pris fait et cause pour Sonko si l’on en juge par la détermination, la capacité de mobilisation, le suivi de mots d’ordres, les levées de fonds dont elle fait montre.
Pour sortir de l’embrouillamini actuel, il faut restaurer le dialogue et mettre la force de côté. Les adversaires politiques doivent se rencontrer
Des hommes de valeur crédités d’un haut sens de la vertu et du patriotisme doivent s’impliquer pour arriver à des consensus forts et éloignés de la compromission.
Par ailleurs, les discours politiques doivent être vidés de leur virulence et les attaques ad hominem bannies. La vie privée d’autrui doit être respectée.
Laisser filer les choses selon la formule politicienne « on va suivre… » ne ferait que reculer l’échéance. Il n’y a aucun intérêt à gérer le pouvoir dans le chaos ou sur des décombres. Le Sénégal vaut mieux que cela.
Nous sommes au bord du précipice, il faut reculer et se parler pendant qu’il est encore temps !