Fin 1894 en France sous la Troisième République, la condamnation du capitaine Alfred Dreyfus, accusé faussement d’avoir livré des documents secrets à l’Empire allemand, avait défrayé la chronique. Ce prétendu dossier d’espionnage, reposant sur le travestissement délibéré de la vérité des faits au nom de la raison d’Etat – du complot d’Etat pourrions-nous dire, avait suscité le célèbre article de l’écrivain Emile Zola : « J’accuse ! », entrainé la mobilisation de la presse et de l’opinion publique dans un contexte de crise politique et sociale aigue. Cette affaire, considérée comme un symbole avéré de l’injustice au nom de la raison d’État, reste l’un des exemples les plus marquants d’une erreur judiciaire difficilement réparée. Elle finira douze longues années plus tard, par faire ‘’pschitt’’, avec l’acquittement et la réhabilitation du capitaine Dreyfus.
Au Sénégal, plus d’un siècle après, la tragi-comédie mal montée et présentée sous l’appellation « Affaire Adji Sarr-Ousmane Sonko » ou plus exactement « Complot de l’Etat APR/ BBY contre Ousmane Sonko », va connaitre son épilogue à l’issue, nous dit-on, de ce qu’un journal de la place a désigné comme « le procès du siècle ». Le juge d’instruction Oumar Maham Diallo vient en effet de signer l’ordonnance de renvoi et de mise en accusation du leader de Pastef-Les Patriotes devant la chambre criminelle pour une affaire qui aurait dû se conclure sur un non-lieu ou même être classée sans suite dès l’enquête préliminaire, s’il ne s’agissait que de dire le droit et de rendre la justice. Qui aurait donc peur du procès, d’un vrai et non d’un simulacre de procès ? Certainement pas Ousmane Sonko qui, dès qu’il a été arraché des griffes de l’appareil répressif de Macky Sall par la résistance et la mobilisation populaires, a formulé lors de sa conférence de presse instantanée du 8 mars 2021, la ferme exigence, entre autres, de tenue au plus vite d’un procès équitable et impartial, pour faire la lumière sur cette sombre affaire. Et le président de Pastef-Les Patriotes d’ajouter alors : « La révolution est déjà lancée, rien ni personne ne pourra l’arrêter. Il faut garder cette mobilisation, il faut qu’elle soit beaucoup plus importante même, mais il faut surtout qu’elle soit pacifique », qu’elle respecte même le mandat du président en exercice jusqu’à son terme normal de 2024 et qu’en plus, elle soit accompagnée du dépôt des armes dans les six mois auprès des forces nationales de sécurité, en vue du retour définitif de la paix en Casamance. Voilà le message profondément républicain, d‘attachement à la paix et à l’unité nationale, lancé par le président de Pastef. C’est pourtant cet homme qui est inlassablement dépeint sous toutes les coutures, par les thuriféraires du système en place, comme l’incarnation du diable, de la violence, du terrorisme djihadiste, du populisme, du rejet des valeurs de la démocratie et de la république- heureusement que le ridicule ne tue point !
Ce même jour du 8 mars 2021, dans la soirée, le Tartuffe en chef du Macky, faisant écho au message de Sonko, appela nos compatriotes «au calme et à la sérénité », en exhortant à laisser la justice « suivre son cours en toute indépendance ». Simple allocution de circonstance : en lieu et place d’un procès dans les règles de l’art, le régime champion du wax waxet, s’est employé deux ans durant, à présenter à l’opinion sénégalaise, africaine et internationale une sordide affaire de viol, montée de toute pièce par une jeune fille manipulée et une officine de malfaiteurs.
Procès pour dire le droit et faire éclater la vérité, ou alors véritable simulacre de procès pour éliminer à tout prix un adversaire politique empêcheur de tourner en rond ? Où est le droit quand le certificat médical dûment établi écarte scientifiquement non seulement le viol mais même tout rapport sexuel deux jours au moins avant cette date du 2 février 2021 ? Où est le droit quand le médecin gynécologue, Alfousseynou Gaye, incorruptible et courageux, auteur du rapport médical, dénonce, résultats des réquisitions de la Sonatel et autres preuves à l’appui, les pressions et menaces subies avant, pendant et après l’acte supposé, laissant pourtant insensibles les autorités politiques et judiciaires ? Où est le droit quand le juge d’instruction entend se suffire des seules déclarations – d’ailleurs contradictoires – de la plaignante, alors que pour l’opposant candidat à la présidentielle de février 2024 Ousmane Sonko, il ignore soigneusement le certificat médical, pièce maitresse dans un dossier de viol ? N’est-ce pas pourtant le certificat médical qui a été pris en compte – pour n’évoquer ici que deux cas récents – pour accabler et faire incarcérer le sieur Sitor Ndour ou pour innocenter un certain Kaliphone Sall d’une accusation de viol ? Où est le droit quand le juge d’instruction et son procureur veulent écarter royalement deux pièces à conviction majeures versées au dossier, sous prétexte qu’elles n’auraient rien à voir avec l’affaire (sic !), à savoir d’une part, le rapport interne officiel de la gendarmerie nationale donnant les clés du complot et les pièces du puzzle mis au point jusqu’en haut lieu de l’Etat central ; d’autre part les audios authentifiés par la prétendue victime, au demeurant méticuleusement planquée, couvée et coachée, mais qui désigne elle-même le complot, les commanditaires, complices et comparses ? A-t-on rangé dans les placards des oublis volontaires la récente condamnation du rappeur Kilifeu sur la base d’enregistrements privés effectués à son insu et aussitôt ‘’fuités‘’, ce sans aucune objection d’illégalité ? Où sont le droit et la justice quand « les lieux du crime » sont ‘’effacés’’ avec empressement au lieu d‘être mis sous scellé pour l’éventuelle reconstitution des faits, comme s’il fallait détruire tout de suite tout indice de … non culpabilité de l’accusé !? En un mot comme en mille, où sont le droit, la justice et le procès équitable quand le juge choisit délibérément d’instruire uniquement à charge, écartant systématiquement toute pièce ou tout témoignage à décharge ?
Peut-on raisonnablement demander aux citoyens de notre pays de se laisser injustement écraser au nom du devoir de respect d’une Constitution ou d’institutions constamment manipulées et piétinées impunément par les plus hautes autorités de l’Exécutif, du législatif et du judiciaire pataugeant dans la même mélasse ? Peut-on reprocher à un honnête citoyen de refuser de se laisser conduire à l’échafaud sans résistance ? Comme le soulignait un patriote l’autre jour, même le bœuf à abattre n’attendrait pas le moment du couteau sur la gorge pour se rebiffer si, sur le chemin vers l’abattoir, il était conscient du sort qui l’y attendait !
La menace est là, le bateau Sénégal tangue dangereusement au bord du précipice judiciaire, politique, intellectuel, moral, social et pourtant certains se frottent les mains et se lèchent les babines, devant « la ronde des hyènes autour des cimetières, la terre gorgée de sang, les képis qui ricanent… » (David Diop). Ce sont, entre autres, ces politiciens professionnels prédateurs et spoliateurs, les ‘’intellectuels du ventre’’ grands couturiers pour Constitutions à la taille du client, les agités qui appellent ouvertement et impunément au meurtre ! Il y a les renégats-capitulards, les ralliés et les mercenaires de la plume, de la voix ou de l’image qui font les yeux doux au Prince pour de juteux privilèges ou prébendes. Il y a les adeptes du ‘‘tout sauf Sonko’’ qui piaffent d’impatience à l’idée de se frotter vivement les mains en clamant : bon débarras !
L’adage le souligne bien, « qui ne dit rien consent » (« seetaan ci sat la bokk »). Il avait raison cet auteur, de tenir aussi pour responsables du drame infligé à Albert Dreyfus, tous ceux qui, à l’époque, n’ont osé ni lever le petit doigt ni élever la voix. Fort heureusement, les patriotes dignes et debout sont présents dans toutes les sphères du tissu social national et africain : il y a des professeurs émérites de la trempe de Kader Bôye, il y a jusqu’au Bâtonnier de l’Ordre des Avocats Mamadou Seck s’adressant en ces termes aux magistrats du siège comme du parquet lors de la toute récente audience solennelle de rentrée des Cours et Tribunaux 2022-2023 : « Les principes essentiels de votre profession ne sont pas des slogans que l’on brandit comme un étendard, ils sont les conditions cumulatives et nécessaires du respect et de l’acceptation des décisions de justice par les justiciables ». Une justice qui veut se faire respecter est celle-là qui commence par se respecter soi-même, jalouse de son indépendance au nom de sa propre crédibilité et de sa capacité à inspirer confiance aux justiciables. Il y a le valeureux Capitaine Touré et la brave dame Ndèye Khady Ndiaye, il y a les journalistes debout, comme il y a tous les citoyens anonymes des couches populaires des villes et des campagnes, qui comprennent que le peuple est supérieur aux institutions, que la justice est rendue au nom du peuple, et qui se mobilisent vigilants et déterminés face au monstre du palais du gouverneur général : halte là, vous ne passerez pas ! Où se trouve la légitimité d’un pouvoir prêt à brûler son pays afin de s’octroyer par la dictature un 3ème mandat présidentiel, de cinq ans, trahissant toutes les normes de la Constitution et de l’éthique, après s’être arrangé auparavant pour décerner un mandat de dépôt de cinq ans contre son principal opposant ? Où se trouve la légitimité d’un pouvoir prêt à empêcher la révision légale ordinaire des listes électorales, du 1er février au 31 juillet 2023, susceptible de permettre l’enrôlement de plus d’un million de jeunes en âge d’aller voter ? Où se trouve la légitimité d’un pouvoir capable de dilapider les milliards du fonds Covid, tel que mis en lumière par le récent rapport de la Cour des comptes, au grand dam des malades, des personnels et structures de santé ? Un pouvoir expert dans l’art de brader nos ressources foncières, minières, pétrolières, gazières et autre ? Un pouvoir incapable de donner, onze années durant, les réponses adéquates face aux inondations récurrentes, à la vie chère, au chômage des jeunes, aux inégalités sociales criardes, aux accidents meurtriers de la route, aux crises cycliques du secteur public de l’école et de la santé, au blanchiment de l’argent sale, aux scandales à milliards jamais punis, à l’insécurité ambiante, aux assassinats et aux disparitions forcées sans suite, et j’en passe ? Où se trouve la légitimité d’un pouvoir qui accorde en catimini une audience de plusieurs heures, révélée par la presse française elle-même, à Marine Le Pen tête de file de l’extrême droite française raciste, qui voue aux gémonies nos compatriotes africains et afro-descendants vivant en France ? Où se trouve la légitimité d’un pouvoir qui s’autorise de ‘’démissionner’’ et d’exclure de l’Assemblée nationale, en violation préméditée de la Constitution et du Règlement intérieur de cette ‘’auguste institution’’, une députée dont le tort est de s’affilier, en toute légalité, au Groupe des non-inscrits en lieu et place de l’APR-BBY et de ramer à contre-courant de la vague du 3ème mandat ?
En attendant « le procès du siècle »: résistance, résistance de l’est à l’ouest, du nord au sud ; car comme Godot qui dans la pièce de Samuel Becket ne viendra pas ce soir-là, « le procès du siècle » n’aura pas lieu. Tous les faits le démontrent amplement : dans la société d’oppression et d’exploitation, il n’y a qu’un Etat de classe et qu’une justice de classe au service des classes de domination. « Le procès du siècle » n’aura pas lieu, d’autant plus que le seul procès qui vaille, c’est celui des systèmes autocratiques de servitude volontaire, de prédation et d’injustices dont il est urgent de débarrasser le Sénégal et l’Afrique toute entière.
Madieye Mbodj est membre du bureau politique de Pastef-Les Patriotes, vice-président chargé de la vie politique nationale.