Les propos insultants du président tunisien éclairent davantage, et de manière plus crue, une série de malentendus historiques qu’il convient de revisiter pour restaurer, définitivement, la réalité de plusieurs impostures intellectuelles qui servent de soubassement au mépris dont fait l’objet l’homme noir depuis des siècles. La marginalisation du continent africain et l’exploitation éhontée de ses populations reposent en effet, sur des ressorts violents et injustes qu’il convient de démonter pour rétablir nos droits, revendiquer et conquérir notre place dans l’histoire du monde.
Mépris culturel, viol et pillage du continent noir, massacres récurrents de ses peuplades sans émoi, accaparement des ressources, la liste des calamités non naturelles qui accablent l’Afrique et les africains est infinie… Au fil du temps, et abusivement, même un éboueur blanc se considère supérieur à un Prince noir ! Et il semble acquis que cette équation soit juste, licite et définitive ! Les manuels scolaires, écrits dans des langues jusqu’ici étrangères distillent, savamment, le venin pour entretenir un complexe d’infériorité définitif à l’homme noir. En dépit de tous les apports consentis à l’essor de l’espèce humaine par l’Afrique, berceau de l’Humanité. Bien des fois sous la contrainte et les humiliations, les meurtres en série, le travail forcé et j’en passe, les Africains ont subi et subissent encore les contrecoups de l’Histoire.
L’esclavage industriel, plus connu sous le nom de « traite atlantique » et dont il va bien falloir mesurer l’impact sur le sort fait à l’Afrique dans le désordre mondial actuel, aura durablement plombé l’essor du continent noir. Avant cela et l’heure semble venue d’aborder, « de manière haute, lucide et conséquente » le sujet, les pays arabes ont eu pour la plupart, une histoire complexe qui se conjugue au présent (!) avec l’asservissement de l’homme noir. Et ce, sous les formes les plus dégradantes, les plus avilissantes. A l’ère des harems de triste mémoire, les eunuques, dont il va bien falloir un jour conter l’Histoire tragique, étaient castrés pour, d’une part être inoffensif dans les cours où ils servaient mais, pire encore, pour ne laisser aucune descendance qui pourrait se reproduire et perpétuer…la race (!?) La minorité numérique des populations noires, et leur faible représentation dans les hiérarchies du pouvoir au Maghreb, pourraient trouver là un début d’explication.
Par un subtil amalgame entre l’Islam, comme religion universelle, et la langue arabe par laquelle le Coran été révélé, un terrorisme intellectuel sévit qui empêche de purger les relations entre l’Afrique et le monde arabe. Remettons les choses à l’endroit. Sans complexes.
Oui, le temps est venu de crever les abcès, de drainer les mensonges qui ont pris droit de cité et de construire un monde nouveau sur des bases de respect mutuel.
Le temps est venu de travailler à décoloniser nos esprits mais aussi et surtout, à montrer notre capacité d´indignation, d´engagement et de mobilisation partout à travers le monde. Pour sortir de l’anesthésie mentale des élites formatées aux normes « occidentales » ou « orientales », afin de guider notre jeunesse hors du labyrinthe des modèles en vigueur. Pour que la dignité de l´homme noir soit restaurée, pour qu´émerge, enfin (!) une grande opinion publique africaine décomplexée et exigeante. Afin que cette question fondamentale soit le ciment fédérateur de toutes nos énergies, le fondement de la véritable renaissance africaine.
La banalisation de l’horreur que constitue les noyades récurrentes de milliers de jeunes africains dans les eaux de la méditerranée, est suffisamment éloquente de la barbarie du monde et de ses élites dirigeantes. L’opinion publique internationale se contente d’une comptabilité macabre du nombre de morts dans les journaux télévisés, sans se préoccuper de comment renverser cette tendance morbide. Il se dit même que des organisations criminelles de trafic d’organes des jeunes africains ainsi suicidés, fournissent à des cliniques huppées à travers le monde, cœurs et reins à la demande, pour prolonger la vie de malades fortunés. Quelle infamie !
La refondation de nos États et la modélisation d’un nouveau destin pour l’Afrique ne se feront pas à longueur de discours convenus dans les forts internationaux. L’Afrique doit se relever, affirmer sa différence et exiger le respect, par tous de son identité et de ses choix.
Je lance un appel à tous ceux qui sont interpellés par l’urgence de ce vaste chantier à prendre part à de larges concertations pour lancer une initiative internationale sur ces enjeux capitaux !
À cette fin, les voies et les moyens vont faire l’objet d’une conférence de presse pour annoncer un plan d’action à la mesure des enjeux et des défis de l’heure.
Et j’ouvre par là la liste des signataires de cet appel, dont le titre est :
Initiative de Gorée / Gorée Initiative
Amadou Tidiane Wone est ancien ministre, ancien Ambassadeur du Sénégal.