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La Saga

La mort vendredi à Dakar de Ibra Mamadou Wane clôt la saga d’une génération exceptionnelle d’hommes politiques qui ont marqué l’histoire du Sénégal.

Leur arrivée aux affaires a coïncidé avec l’indépendance de notre pays sous la houlette de dirigeants dotés de vision et non de visée, intègres et probes, soucieux de laisser pour la postérité une empreinte et non une trace avec en bandoulière le sens élevé de l’honneur, de la dignité (de charge et de rang).

Ils n’étaient pas boulimiques. Au contraire, toute leur vie durant, ils se sont imposé une conduite irréprochable mêlant droiture et mesure, obsédés qu’ils étaient de participer à la construction d’une nation en devenir.

Derrière la placidité, se profilait chez docteur Ibra Mamadou Wane la douceur d’une éminente personnalité nantie d’une riche mais discrète carrière jalonnée de hauts faits qui l’ont assurément rendu célèbre sans qu’il l’ait cherché ou voulu toutefois.

Un bel homme s’en est allé. Sa carrure et son élégance vestimentaire ont fantasmé les foules qui s’enhardissaient à chacune de ses tournées dans le pays profond. Son tempérament frisait la romance agrémentée d’une allure qui le rendait seigneurial.

Jamais pris en défaut moral, Samba Defa, comme on l’appelait familièrement, savait en tout garder la tenue et donnait de lui l’image d’un homme de vertu, équilibré entre passions et désirs. En un mot la sagesse l’a très tôt habité pour ne jamais le quitter.

Dès 1962 il est nommé Ministre de l’Education, le premier à ce poste d’ailleurs pour être plus tard remplacé, en 1966 précisément par Amadou Mahtar MBow, l’autre géant. Il aura néanmoins été la cheville ouvrière du fameux Festival mondial des Arts nègres de la même année avec un éclatant succès qui réjouit encore les témoins.

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Un fait de l’histoire : lui et son frère (même père et même mère) Birane Mamadou Wane étaient à la même période de sémillants ministres dans les gouvernements du Sénégal et de Mauritanie… Ils ont travaillé au rapprochement économique et culturel des deux pays.

« Tout ce qu’il touchait se transformait en or », disaient de Dr Ibra Mamadou Wane amis et admirateurs, nombreux à lui reconnaître des qualités d’Homme d’Etat par les fonctions ministérielles occupées jadis et, devenu député six législatures durant, par son remarquable travail à la tête de la prestigieuse commission de Affaires étrangères de l’Assemblée nationale.

Il conciliait avec un égal bonheur action et réflexion, se montrant à l’aise sur les terrains de lutte politique dans son Fouta natal qu’il arpentait (pistes boueuses, sablonneuses ou caillouteuses) à longueur d’année avec ses compagnons de route.

Chez lui, les sorties d’alors étaient à la fois un événement et un moment de pédagogie qui enjolivaient ses prestances face aux jeunes de l’époque, aux femmes et aux adultes. Il avait le sens de la répartie. Et de la pondération aussi.

Sans doute était-il tribun, mais il n’haranguait pas les foules. En revanche, l’enchaînement de ses mémorables poignées de mains en disait long sur son goût du contact, de l’échange ponctué d’un désarmant sourire chanté par les jeunes femmes sous les chaumières ou en clair de lune.

Combien de villages du Diéri ou du Walo a-t-il sorti de l’anonymat ? Combien de collégiens ou de lycéens vivant dans des bourgades reculées ont pu bénéficier de sa mansuétude pour poursuivre des études au-delà des espérances familiales.

Pour ce médecin de campagne, ancien des facultés de science et de médecine de Montpellier toute charge ou fonction requièrent de la dignité qui n’est respectée que par le dévouement qu’elle exige ou suggère.

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Il transpose ce code voire ce sacerdoce en politique et parvient avec panache à devenir une figure tutélaire dans le remuant département de Podor face à de redoutables adversaires dont le plus proéminent n’était autre que feu Amadou Malick Gaye.

Les deux, malgré leur opposition frontale, entretenaient des relations franches servies par une exquise courtoisie dont l’exemplarité devrait être inspirante pour les générations politiques suivantes. Au terme d’une belle carrière, Dr. Ibra Mamadou Wane se retire en 1988 de la scène politique.

Cette année charnière était annonciatrice de mutations profondes de l’échiquier politique avec de nouveaux acteurs obsédés par l’idée de renverser les hiérarchies ou, à tout le moins, de bousculer l’orthodoxie qui prévalait encore.

Les grandes avancées démocratiques sont ponctuées de rencontres. De quel leg politique sommes-nous bénéficiaires aujourd’hui ? Il ne s’agit pas à proprement parler d’une dévolution successorale mais de la préservation d’acquis que le monde démocratique nous envierait.

Autant dire que les bâtisseurs de la nation ont forgé des instruments de cohésion qui ont transcendé le temps et l’espace, parvenant à asseoir dans la durée un esprit éclairé voué à « dissiper les ténèbres… »

Pour ces hommes d’ancrage et de racines, l’engagement avait une finalité émancipatrice. Dans leurs fiefs respectifs ils s’imposaient comme des figures emblématiques de la politique locale : Makha Sarr (Dagana), Valdiodio Ndiaye (Kaolack), Amadou Racine Ndiaye (Dakar), Mady Cissokho (Tambacounda), Emile Badiane, Ibou Diallo, Assane Seck (Casamance), Maguette Lo, Mansour Bouna Ndiaye (Louga), Demba Diop (Thiès). La liste est longue…

Sans toutefois verser dans la nostalgie inhibitrice, ces noms, et d’autres, avaient une puissance d’évocation légitimée par des parcours honorables au point de s’assimiler à de véritables épopées. Toute action à entreprendre était sujette à discussion. Il en était de même du propos à tenir.

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En clair, la mesure était le baromètre pour observer l’évolution du temps, des mœurs et des comportements. Naturellement les quolibets foisonnaient à cette époque mais jamais de phrases assassines, de parjure, d’injures ou de déni de réalité.

Justement par réalisme, les politiques d’alors, savaient mettre en sourdine leurs divergences pour donner priorité à la logique de développement. Lequel n’est rien d’autre qu’un cumul de progrès. Qu’un lycée ou un hôpital soient construits ici ou là, avaient valeur d’acquisition au profit de la population sans discrimination aucune.

Ils inscrivaient leurs actions dans une longue temporalité moyennant des ajustements dictés par des considérations autres que politiciennes. En d’autres termes, les politiques d’alors avaient l’œil rivé sur les nouveautés aux fins de les adapter aux nécessaires évolutions, notamment les techniques agricoles, la vulgarisation, le machinisme et les bouleversement qu’il entraînait ou l’essor des organismes de crédit qui ont révolutionné les rapports des populations à l’argent ou aux biens.

Bien des évolutions ont eu pour cadre les coulisses où tout se jouait entre vice et vertu. La dignité recule quand se répand le déshonneur qui avilit, hélas ! Le déplacement du curseur entre-ouvre une grosse parenthèse d’incertitudes où l’empressement et le raccourci, érigés en dogmes, transfigurent notre société sens dessus dessous.

La disparition des figures interroge notre temps et notre monde, nos valeurs et nos rapports désormais empreints de violence. Certes le monde lisse est une page tournée. Mais la nouvelle page qui s’ouvre est truffée d’aspérités et de complexités. Le merveilleux se replie.

 







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