Site icon Senexalaat

Marine Le Pen Et L’audience Sous-marine

Cheikh Hadjibou Soumaré sort de sa zone de confort de manière fracassante. Il crée un tsunami en posant la question qui fâche. « Avez-vous donné récemment de l’argent à une personnalité politique française » ? L’interpellation du technocrate d’habitude taciturne s’adresse au président de la République. Elle est digne du journaliste qui porte sa plume sur la plaie. Sa question est simple mais elle est chargée. Son destinataire n’est pas n’importe qui. La première institution est particulièrement bien protégée. Une réponse simple et non simpliste par oui ou par non à cette question fermée n’est pas évidente. Refuser de répondre à la question-piège est plus commode. L’ancien Premier ministre n’est pas connu pour être un homme vétilleux. Son questionnement n’est pas un détail. Il est incisif, insidieux, voire désobligeant. Il sème le doute dans l’esprit de beaucoup de Sénégalais. Rumeur perfide, selon le communiqué menaçant du gouvernement dans lequel le mot « lâcheté » est lâché. Un manque de sang-froid notoire. Hadjibou Soumaré pointe une nébuleuse. Ses points d’interrogation édulcorent son propos. Il ne va pas au bout de son idée. La prudence n’est pas le contraire du courage ni une main qui tremble. On peut y voir une certaine sagesse. Le principe de précaution qui est le sien jure d’avec le manque de principe et de conviction dont Marine Le Pen fait étalage.

La forêt de questions est dense

La visite impromptue qu’elle a effectuée au Sénégal n’avait rien d’historique en raison de la psychologie de la visiteuse. Elle a été rangée aux oubliettes sitôt qu’elle a tourné les talons. Moins de deux mois après son passage en cachette, le film est rembobiné et défraie la chronique. La présidente du Rassemblement national de France était prétendument venue défendre l’obtention par l’Afrique d’un siège au Conseil de sécurité des Nations unies. Nouvelle âme charitable, elle serait repartie du pays de la Téranga comme une princesse avec un jackpot de près de 8 milliards sur la base d’un cadeau présidentiel. Est-ce vrai ? Est-ce le fait du prince ? Est-ce que dans sa démarche épistolaire, son auteur a parlé gratuitement ? La forêt de questions est dense.

Hadjibou se ferait mal tout seul si tel était le cas. Sa sortie inquiète et ne passe pas comme lettre à la poste. On comprend pourquoi. Tout d’abord, le montant de l’offrande est extravagant pour un pays dont la plupart des citoyens tirent le diable par la queue. Ensuite, la personne bénéficiaire des largesses est la caricature la plus abjecte de la négrophobie et de l’islamophobie. C’est elle-même qui avait comparé les prières de rue des musulmans de France à l’invasion nazie lors de la deuxième guerre mondiale. Beaucoup de ses amis assimilent aussi les minarets des mosquées à des fusées. Enfin, la réception de Madame Le Pen le 18 janvier dernier, arrivée en tenue de camouflage, en rappelle les heures les plus sombres de la Françafrique, un laboratoire du mal incarné par l’homme de l’ombre Jacques Foccart, aujourd’hui dans les décombres de l’histoire. Comment alors s’étonner que la France soit à ce point honnie par les jeunesses africaines ?

Epée de Damoclès

Le ton menaçant du communiqué gouvernemental à l’encontre d’un ancien chef du gouvernement est également intelligible. Le but est de placer une épée de Damoclès et de réduire au silence. La stratégie du sparadrap est bien connue. Hadjibou pose une question de gouvernance. Il faut y répondre par des arguments sérieux et non par la chape de plomb de la justice. La révolte du leader de Démocratie et République est inédite. On n’y était pas habitués. Il a dû forcer sa nature. Lui qui tressait des lauriers au président au sortir d’une audience pour les mesures teintées de lucidité prises contre le covid-19. Il pourrait être rattrapé par une rancœur personnelle. Son départ de la tête de commission de l’Uemoa n’était pas glorieux. Il a été humilié et traité comme une variable d’ajustement. Son nouveau combat pour la transparence ouvre les yeux sur l’addiction de ceux qui se réclament du libéralisme à l’argent, bon serviteur et mauvais maître. Celui qui fait l’étonné aujourd’hui est sans doute au courant de carnages financiers bien plus horribles. Il a été ministre du budget puis à la primature de 2007 à 2009 sous Wade qui a décomplexé les Sénégalais en matière d’argent facile. Lettre ouverte ou pas. C’est l’éternel recommencement de l’histoire. En règle générale, les palais africains ne sont pas des palais de verre.







Quitter la version mobile