L’Amérique veille au salut de l’Afrique. Tu parles… ! Washington s’épanche très peu sur le continent noir perçu comme un sac de nœuds voire un univers clos où rien ne paraît simple.
Au contraire tout y est compliqué voire complexe comme l’Orient ! Erigée en doctrine, cette méfiance se double d’un désintérêt fondé sur un préjugé aussi tenace qu’un atome.
C’est à croire qu’un principe abstrait gouverne l’esprit de tout pouvoir qui s’installe à la Maison Blanche. Le mystère n’a jamais été percé. Le sera-t-il un jour ? Dieu seul sait. Il règne ainsi une sorte d’opacité transmise de générations en génération. Peut-être qu’un jour pas lointain, l’Afrique cessera d’être un « lieu vide » pour redevenir une destination fréquentable parce que digne d’intérêt.
Pour toute chose, les Américains raisonnent en termes d’avantage. Ils ont horreur du préjudice. Ils détestent les contraintes, à moins d’y être… contraints. Or il y a bien longtemps que le « rocher bien placé ne modifie plus le tracé du fleuve ».
Les Etats-Unis restent encore forts et puissants. Mais ils ne règnent plus en maître absolu du monde. Tout redevient relatif. Car entretemps, d’autres puissances montantes leur contestent ce monopole et, de concessions en perte d’influence, le « jeu » s’équilibre ou se rééquilibre avec de nouveaux enjeux qui redistribuent les cartes du leadership mondial.
Pour s’éviter des soucis et ainsi échapper au chaos qui se profile, l’Amérique se redéploie en Afrique où se dessinent de nouvelles perspectives. Bien évidemment, ce regain d’intérêt est synonyme d’appétence avec une folle envie de convoiter des ressources et des positions dites stratégiques sur un fluctuant théâtre d’opérations.
Les hésitations de Washington lui coûtent cher. La lointaine Chine marque des points et offre une alternative que les Africains examinent non sans intérêt. La différence d’approche, même si elle n’est pas très lisible, s’apprécie mieux par l’offre qu’elle présente et qui repose sur le séduisant crédo du « gagnant-gagnant ».
Certes, le concept présente une ambiguïté. Mais celle-ci est vite balayée par des résultats « palpables » obtenus dans des délais relativement courts. Pas de longs ni coûteux préalables. Lesquels ne sont, aux yeux des Africains, qu’une « sèche perte de temps » et pire, une volonté surnoise de dissimuler des sentiments dans une intention somme toute malveillante.
Kamala Harris, la vice-présidente américaine arrive en Afrique dans ce contexte de doute et de soupçons. Elle visite des pays qu’elle a bien connus dans une précédente vie. Sûrement ce vécu antérieur en Tanzanie et en Zambie la prédispose à jouer la carte de proximité pour espérer grapiller des dividendes politiques, diplomatiques et économiques. Pourquoi pas même militaires pendant qu’on y est !
Dans le fond, Washington s’est toujours méfié des dirigeants africains post indépendance. Ils ne trouvent pas grâce aux Etats-Unis qui les considèrent comme des dictatures, des autocrates, des phallocrates, en un mot, des jouisseurs…
Dans l’esprit des dirigeants américains, les régimes africains méprisent l’économie qu’ils ont pliée à l’idéologie et à leurs fantasmes au détriment des peuples maintenus dans l’arriération, le dénuement, la paupérisation et avec les conflits, une errance sans fin notamment dans la partie orientale du continent où se rend justement la vice-présidente US avec un ciblage circonstancié des centres d’intérêt. Kamala Harris va ainsi découvrir un continent qui se change.
Par un effet générationnel, de nouvelles forces émergent, une nouvelle lecture de la marche du monde se décline. Les jeunes d’Afrique constituent une force d’appoint, un socle de transformation et un atout majeur dans les dynamiques démographiques qui s’annoncent.
Combiné aux richesses, l’atout-jeune sera déterminant dans l’ordre des priorités si la formation à bonne école est planifiée avec plus d’aptitude à prendre son destin en main, plus de compétence technique pour rivaliser avec d’autres aires géographiques et plus d’assurance parce que les jeunes seront ainsi biberonnés à l‘amour de l’Afrique à la fois « mère et sève nourricière ». Plus que d’autres puissances étrangères, les Etats-Unis auraient pu revendiquer plus d’attachement au continent noir en misant sur sa communauté afro-américaine.
A l’image des Américains d’origine irlandaise, italienne, anglaise, écossaise, allemande ou française, les Afro-Américains représentent une force de légitimation du soutien à l’Afrique. Marshall a donné son nom au Plan qui a permis à l’Europe, à genoux, de se redresser au lendemain de la seconde guerre mondiale. Le passé esclavagiste de l’Amérique n’aide pas le pays à se surpasser en se débarrassant de ses lourdeurs historiques.
En outre la culture anglo-saxonne, nourrie de suprémacisme, appréhende le rapprochement avec l‘Afrique comme la renaissance (si ce n’est la réhabilitation) de l’Africain-Américain qui découvre par ce biais sa profondeur historique et une lancinante base de reconquête d’une fierté enfouie.
A ce sujet, la Présidence Obama a été correcte et rectiligne. Sans relief toutefois. Il lui a manqué de l’audace pour percer le rideau et aller à l’assaut des immobilismes. Son passage a certes marqué les esprits au plan symbolique, mais il a fait moins que Clinton et Bush Junior qui ont impulsé des dynamiques ayant valu des progrès tangibles tant dans la croissance (Agoa) que dans la santé avec le Plan Malaria.
La société américaine est traversée de lignes de démarcation identitaires. Elles fragilisent une nation déjà traumatisée par des violences inouïes souvent d’ordre racial. Sa démocratie elle-même vacille à force de concessions faites à des catégories de populations au détriment d’autres qui se sentent lésées, donc marginalisées. Conséquence : la violence explose !
Vis-à-vis de l’Afrique, les Etats-Unis sont dépourvus de vision cohérente. En d’autres termes, il manque à ce grand pays des visionnaires de la trempe de Jefferson, de Lincoln, de Martin Luther King. Mais quand on eu Trump, il ne faut pas espérer une Amérique des « Nouvelles frontières », une projection bien kennedienne en pleine guerre froide.
Trump a été un joueur de comédie de boulevard. Egoïste, il ne pense qu’à lui en premier. Jamais aux autres. Sa politique de courte vue a privé les Etats-Unis de l’internationalisme, terrain sur lequel excellaient de prestigieux diplomates américains : Henry Kissinger, Colin Powell, Condoleeza Rice, John Kerry, Hilary Clinton et maintenant Anthony Blinken, pour ne citer que ceux-là. En outre Trump Donald a ruiné l’image de l’Amérique en sapant et sa notoriété et son prestige.
Ce rang dégradé profite quelque peu à la Chine qui avance partout des pions : route de la soie, technologies, communication, connectivité, espace, diplomatie active, investissements et indiscutable puissance financière. Pékin travaille son attractivité et ne lésine pas sur les moyens pour davantage séduire.
Quelle Amérique vient à la rencontre de l’Afrique ? Difficile de le deviner dès lors que persiste l’illisibilité de sa démarche.