Du rien des politiciens est née une complexité du pays. Méritent-ils encore qu’on leur murmure ? Aider des adultes intelligents, hier une voix douce et pleine, à se débarrasser de leurs camisoles de forcenés fanatiques pris dans une folie destructrice. Pétrifiés par une splendeur du pouvoir, une volonté de puissance, portés par leurs ambitions, ils ne sacrifient plus aux us des bonnes gens. La ligne rouge imaginaire, tracée par la raison, a été franchie depuis l’aube. Mais les voici qui s’échinent à vouloir débarrasser une route qu’ils n’ont pas encore tracée. Ils ne voient point qu’ils sont en train de se ravager dans des « plaisirs » qui abîment. Le sacrifice des martyrs ne les a pas rendus heureux et les pleureurs n’ont plus de larmes à verser.
Dans leurs vanités plus hauts que des intérêts du pays, dans des illusions qui les galvanisent, une vérité. Triompher est se tromper. Le pays reste un avec les mêmes défis. Ce peuple qu’ils ne pourraient fractionner aura les mêmes exigences. Leur idée d’un nouveau jour, une naissance envisagée hors fécondation, est dans l’incertitude d’un danger qu’ils ne sauraient conjurer. Tant le réveil serait pénible pour leurs ombres noyées dans un chaos. Des honnêtes gens, ébranlées, sont comme des oiseaux qui gazouillent sans que les ténèbres s’étirent. Des politiciens surgissent çà et là dans leurs songeries douteuses. Ils sont confusément unis dans une vitalité dont la preuve est dans un éclatement à venir.
Vivre sans sombrer dans des travers liés aux désirs et autres plaisirs de pouvoir et de régence est une fonction honorable. Une noblesse, une grandeur qui n’habillent pas n’importe qui. Elles ne peuvent pas être ciselées dans cette banalité qui ferait dire : rien de plus normal. Parce que le jeu politicien, qui a tué le rêve, détruit toute forme d’idéal, broyé l’humain, a soufflé le sacerdoce. L’angoisse ne finit plus. La sincérité et la justesse ont quitté des âmes de ces prêts à trôner sur des cendres brûlantes. Avec leur addiction à des pensées obtuses, une frénésie lugubre, ils pétillent à lapider le bien et les biens publics et privés. Ils se prennent en mépris les uns les autres et sont si dopés qu’ils ne savent plus se parler.
« Échapper aux idéalismes préfabriqués, aux optimismes de commande »
Tout les indigne qui contredit leurs rêves. Ils font procès à qui ne les applaudit pas. Exigent des populations qu’elles leur sacrifient une vie en désaccord avec leurs opinions. Peut-être poursuivent-ils une ambition vide que le réel les a abandonnés. Ils sont incapables de lire au-delà des hasards partisans, des visiteurs inhabituels. Comprendre que des marches et autres manifs, des caillassages, des pillages, des incendies… sont plus des aventures, des actions qui, dans le désœuvrement, deviennent croustillantes. Seulement, un simple besoin de s’affirmer contre, une forte volonté de négativisme n’ont jamais suffi comme engagement politique. Ça n’a jamais supprimé une souffrance d’un peuple qui végète dans un néant parce qu’il faut toujours faire sauter ce qu’il se tue à construire et à reconstruire. Ce peuple à qui on n’a pas fini de dénier son besoin de tranquillité, ne peut même plus espérer un simple calme.
Ne leur faut-il pas songer à l’ampleur des contraintes qui pèsent sur les perspectives où ils voudraient se placer ? Ont-ils honte de le faire ? « Notre monde n’a pas besoin d’âmes tièdes. Il a besoin de cœurs brûlants qui sachent faire à la modération sa juste place », écrivait Albert Camus dans le journal Combat. Camus avait été exclu du Parti communiste pour avoir défendu des militants algériens. Dans son livre Le courage de la nuance, Jean Birndaum de rappeler : « Dans une magnifique lettre adressée à Jean Grenier, le professeur qui l’avait poussé à rejoindre le Parti communiste, le jeune révolté avait annoncé très tôt sa volonté d’échapper aux idéalismes préfabriqués, aux « optimismes de commande », et tracé ces lignes décisives : « Je ne dis pas que ceci est orthodoxe. Mais précisément dans l’expérience (loyale) que je tenterai, je me refuserai toujours à mettre entre la vie et l’homme un volume du Capital. »
Pour le révolté lucide qu’était Albert Camus « qui reconnaît ses erreurs n’est pas un tiède, mais un homme d’honneur. Qui affronte ses contradictions intimes ne mérite pas le nom de lâche. Il y a un courage des limites, une radicalité de la mesure. (… Mais) comment concilier indignation et lucidité ? Un être humain peut-il donner libre cours à son goût pour la justice » et en même temps « tenir les yeux ouverts » ? Ces questions, Camus ne cessera plus de les poser… », d’après Jean Birndaum.