Ibrahima Sène était une conscience vive et irrésistible de la lutte des classes et de nos combats communs. Bien au-delà des frontières du Sénégal, Sène a marqué de son empreinte l’histoire des luttes des peuples pour leur émancipation. Ses exposés, en tant qu’intervenant, dans les agoras de la fête de l’Humanité à Paris, ont fortement contribué à renforcer parmi nos camarades du monde entier, réunis sur trois jours dans la plus grande fête des progressistes de la planète, l’intelligence des luttes en Afrique et au Sénégal.
De l’intellectuel et du militant qu’il était tout à la fois, sans jamais cloisonner l’un et l’autre, je me rappelle et retiens son rapport critique aux ressources théoriques de nos convictions politiques et de sa récusation constante des réflexes dogmatiques, d’où qu’ils venaient.
Alors que certains veulent imposer à l’avenir de notre pays le choix moribond entre patriotisme étroit et impérialisme aménagé, mon camarade Sène articulait patriotisme et internationalisme progressiste.
Son sens de la discussion politique, ses intuitions militantes, ses analyses éclairaient d’une lumière qui ne s’éteindra jamais l’orientation de notre parti et celle de nos luttes.
Avec son immense culture générale et politique bien ancrée à gauche, Ibrahima Sène était un rempart irrésistible à la contagion sournoise et diffuse du poison du catéchisme néolibéral dans l’opinion.
Je me souviens de l’une de ses remarques, à l’occasion d’une conversation politique et amicale, sur la notion de « résistance », une catégorie passée dans l’usage populaire depuis quelques années. Il soutenait que si cette notion valait son pesant de stratégie, elle n’a pas vocation à devenir l’horizon des luttes d’émancipation. Il ajouta qu’à ce titre il est temps qu’elle cède la place à celle d’alternative, celle dont notre projet et nos propositions sont porteurs.
Depuis près de deux ans les espaces sociaux d’expression de Sène sont assaillis par un nouveau type de phénomène.
Des activistes, se voyant en révolutionnaires, y déversent leurs invectives et chérissent sans le savoir les causes des conséquences qu’ils prétendent combattre.
Des médecins entrepreneurs et intéressés qui caressent le rêve de créer un gouvernement des médecins dans notre pays ; De jeunes entrepreneurs libéraux qui piaffent d’impatience d’accaparer les marchés publics ; De jeunes diplômés friands de « gestions rationnelles mais endogènes » … Avec ces fêlés qui aspirent à diriger notre pays, précisons que nous n’avons aucun mépris pour ceux qui souffrent de pathologies psychiques mais plutôt une sincère empathie et solidarité, nous sommes littéralement dans la maison des fous.
En bref, un mouvement d’individualisme populaire avec comme seule et unique visée le remplacement de l’oligarchie actuelle par de nouveaux riches qui viendront de leurs rangs.
Ils prenaient d’assaut la page de Sène et l’intimidaient pour le réduire au silence.
Quel soit ce que pensent ces activistes égarés, pour qui, comble de leur tyrannie, la politique n’a besoin ni de la pensée, ni des idées justes, Ibrahima SENE est resté ferme dans ses convictions, face à leurs violences, leurs menaces, leurs insultes, droit dans ses bottes quant à leurs implications et orientations politiques. Sans jamais rien en rabattre.
Militant de l’anéantissement du capitalisme, combattant infatigable de la justice, camarade Sène aura laissé des traces certaines dans la mémoire de nos luttes passées et servi de balise pour celles à venir.
Sène savait que le travail nécessaire au but final de nos convictions est au long cours et laborieux. Il savait surtout que la poursuite de ce but appelait à trouver des appuis dans les contextes politiques précis, nécessaires par moments, mais insuffisants et transitoires. Il savait et expliquait sans ambiguïté que ces appuis pouvaient mener à des alliances politiques difficiles, mais légitimes et utiles à faire avancer notre mouvement vers l’émancipation collective et individuelle. Comment expliquer à ces tard-venus à la politique que l’une des figures emblématiques contemporaines du camp du progrès, de la justice et de l’égalité sociale a fait alliance avec un parti de centre droit, c’est-à-dire une formation libérale, pour reconquérir en 2022 le pouvoir au Brésil. Comment leur expliquer que l’urgence des enjeux l’emportent sur les orientations idéologiques initiales ? Que les dernières impliquent la prise en charge des premières ? Que les deux se confondent dans le long processus des luttes sociales et politiques.
Le devoir de vérité et de franchise impose de leur dire clairement que le nouvel enjeu et la nouvelle urgence auxquels notre pays fait face, auxquels doivent répondre les mouvements progressistes de notre pays, avant toute chose, c’est de conjurer le danger qu’ils représentent, eux et leur projet.
En dépit des violences qui le prenaient pour cible, Ibrahima Sène restait sur le pont, ferraillant à l’appui d’arguments avec ses adversaires, tout en faisant valoir et grandir dans l’opinion les motifs des politiques qu’il soutenait.
La tâche était pénible et grosse de dangers, surtout quand on est pris à partie par des fanatiques agités, des activistes identitaires et individualistes qui crient « vive la violence brute, à mort la discussion politique et la raison » !
Ibrahima Sène le savait, mais n’entendait pas renoncer au combat, ni aux causes, justes, qu’il portait. Ce serait pour lui se livrer pieds et mains liés à la pire des morts que de renoncer à l’effort politique pour rendre meilleur le monde, en changer la base actuelle, cause de tous nos malheurs, « ventre fécond des monstres » qui s’en prennent aux voix discordantes dans notre pays.
Je salue le courage irrésistible de Sène, « refusant de se retirer en silence », pour saluer tous les apports, dont il a été pour notre combat commun, que je ne peux énumérer ici.
Étant resté fidèle à nos convictions, ainsi qu’à notre projet démocratique et républicain d’émancipation de notre peuple, malgré l’injonction ambiante, violente et folle qui se répand dans notre pays et somme tout le monde de rejoindre le messie crétin inculte en chef à la mode, dont le projet exclusivement fiscaliste et moraliste dévoie les aspirations légitimes des masses laborieuses, Ibrahima Sène est désormais le nom propre d’une exigence qui s’adresse à tous les progressistes de notre pays : continuer, continuer le combat contre le capitalisme et les monstres qu’il enfante.
Il était un exemple vivant de l’engagement politique, du bon côté de la barrière, tel que le monde en a besoin pour endiguer la vague de dépolitisation qui y déferle et alimente les politiques de mort, destructrices de « l’Homme et de la nature ».
Camarade Sène, en écrivant ces lignes, depuis un amphithéâtre du palais du Pharo à Marseille, où je me trouve pour le congrès du PCF, que tu reconnaissais et appelais « parti-frère », montent en ce moment même à l’assaut de toutes les transcendances, de celle du capital et de la finance comme du ciel, ces mots de l’Internationale: « Le monde va changer de base. Nous ne sommes rien, soyons tout. » Un militant, un camarade, disons-nous dans notre jargon, ce sont des tâches. Les tâches qui étaient les tiennes, camarade, pour ce changement de base du monde qu’appellent ces vers d’Eugène Potier, tu les as accomplies, avec science, fraternité et générosité, malgré la férocité de la résistance des tenants de l’ordre dominant, la violence de la bêtise de leurs nouveaux idiots utiles sous nos cieux au Sénégal.
Merci, camarade !