A la faveur de la célébration de l’accession du Sénégal à la souveraineté internationale, il nous est apparu, suffisamment à propos, de consacrer une contribution à la réflexion, sur les notions fondamentales d’indépendance et de souveraineté ainsi qu’au lien entre celles-ci et les PME. Car il existe, parfois, une grave et dangereuse confusion entre indépendance et souveraineté, qui est renforcée par les crises, notamment celle à Covid-19 ou la guerre russo-ukrainienne, et entretenue par certains acteurs, groupes de pression ou partis politiques.
En Europe, le Royaume-Uni a fait les frais de cette confusion. Ses dirigeants ont proposé le Brexit au peuple ou la sortie de leur pays des instances supranationales telle que l’Union Européenne. Il s’agissait, selon eux, de mieux répondre à la menace que cette dernière ferait peser sur l’exercice de leur souveraineté nationale. Le Brexit a finalement été acté, et ses affres notamment économiques n’en finissent pas. Car comme le disait le Professeur d’économie Hélène Ray « la vraie souveraineté est la capacité à répondre aux besoins des citoyens, à contrôler les destinées. On peut avoir l’illusion de l’indépendance et édicter ses propres lois sans avoir aucune prise sur les événements : on perd alors sa souveraineté. »
Ailleurs aussi, d’autres acteurs entendent conduire le peuple vers des voies incertaines à partir de cette même confusion. Ils prétendent renforcer l’indépendance desdits pays en appelant à se couper des institutions supranationales et même des échanges internationaux. La zone monétaire ouest-africaine (UEMOA) connait cela, où ses détracteurs se nourrissant du rejet de la mal-nommée monnaie en font le parfait bouc-émissaire. Ainsi, ils appellent à jeter d’une part le bébé de notre monnaie commune, cause selon eux de tous les maux ; et d’autre part, l’eau du bain de nos institutions supranationales – la BCEAO en particulier – dont la crise a démontré de nouveau toute l’importance, notamment sur l’inflation. Les performances d’autres économies ouest-africaines dites plus indépendantes suffisent à clore le débat.
Répétons-le : « la vraie souveraineté est la capacité à répondre aux besoins des citoyens, à contrôler les destinées ». Il s’agit donc de la capacité d’entreprendre, d’être et de rester le capitaine de son destin. Les crises ayant bien montré les conséquences de ne pas l’être au niveau alimentaire ou sanitaire et pharmaceutique notamment. Répondre à cette promesse est justement l’ADN de la première puissance économique au monde, les Etats-Unis d’Amérique. Dans leur déclaration d’indépendance du 4 juillet 1776, ils placent au rang de droits inaliénables de l’homme, la vie, la liberté et la recherche du bonheur. La traduction au niveau économique est le texte fondateur de leur politique en faveur des PME, voté le 30 juillet 1953 par le Congrès : le « Small Business Act ». Cette loi-cadre, modifiée régulièrement, affirme la nécessité d’orienter prioritairement l’action des pouvoirs publics vers la PME, conçue comme l’élément le plus dynamique de l’économie; la loi évoque même la sacralité de la PME. Dans la section 202 du Small Business Act, le Congrès déclare que « le Gouvernement doit aider, conseiller et protéger dans toute la mesure du possible les intérêts de la petite entreprise, afin de préserver l’esprit de libre concurrence, d’assurer qu’une proportion équitable des marchés publics soit passée avec de petites entreprises, et de maintenir en la renforçant l’économie de la Nation dans son ensemble « .
Cette loi et son institution associée la Small and Business Administration (SBA) ont été et demeurent un cadre puissant d’inspiration pour nombre de nations notamment émergentes ; ainsi NSIC en Inde, SME Corp en Malaisie, SMEA au Japon, KOSGEB en Turquie… Au Sénégal, le premier président Léopold Sédar Senghor, à la suite d’un voyage aux Etats-Unis d’Amérique décide en 1969 de doter le Sénégal d’une institution similaire à la SBA : la Société Nationale d’Etudes et de Promotion Industrielle (SONEPI). Le président Senghor opère alors un changement radical avec la politique de promotion du secteur privé national qui est un échec. Elle est essentiellement protectionniste et à base de stimulants monétaires, mais qui bénéficie surtout aux entreprises étrangères, alors que celles nationales restent quasi-inexistantes. En 2012, en appelant à mettre en place un Small Business Act Sénégalais, le président Macky Sall a su renouer avec cette forte ambition. Ainsi faut-il comprendre la mise à niveau ou la création des outils de souverainetés indispensables pour y parvenir :
- la restructuration en 2012 de l’ADEPME, leader continental dans l’appui aux PME, elle est l’héritière de la SONEPI et a (re)construit son positionnement de tiers de confiance en développant sa capacité, certifiée ISO 9001/27001 par le bureau Véritas, à évaluer/suivre-réévaluer la performance des entreprises et ainsi à sécuriser les ressources publiques ou privés mise à disposition des PME,
- la création de mécanisme financiers souverains comme celui de garantie (FONGIP), de prises de participations (FONSIS), d’appuis spécifiques aux jeunes et femmes (DER/FJ), de finance islamique (PROMISE), d’accès aux marchés publics (CDMP), ou à la formation professionnelle (3FPT), etc.
- le renforcement du financement de l’économie avec le dispositif de refinancement bancaire PME/PMI de la BCEAO pour mobiliser les principaux financeurs de l’économie et des PME
Le Sénégal a réuni les conditions pour parachever son cadre de développement des PME, son Small Business Act Sénégalais, où celles-ci constituent 99,8% du secteur privé et sont « le socle de notre vie économique et le levier primordial de notre développement » comme le rappelle le président Macky Sall. Les PME peuvent jouer pleinement leur rôle pour la création massive d’emplois décents et le maintien d’une croissance forte et inclusive.
L’exploitation prochaine des hydrocarbures comme l’a souligné dans son adresse le chef de l’Etat mais surtout la mise en œuvre effective d’une part de la loi n°2019 -04 du 1 février 2019 relative au contenu local, par le Comité National de Suivi du Contenu Local (CNSCL) et ses partenaires, et d’autre part de la loi n°2020-02 du 7 janvier 2020 relative aux PME, notamment du statut de la PME et des incitations associées, constituent une opportunité historique d’aligner l’ensemble des acteurs dans une démarche, appelée des vœux du président de la République, de la réingénierie des processus en vigueur autour du paradigme de la satisfaction des besoins de la PME pour grandir et devenir un futur champion, à l’instar de nations modèles, dont nous n’avons à envier que le passage à l’échelle. Alors, sans démagogie ni populisme, nous aurons conquis nos souveraineté(s) et assuré, grâce aux PME, le bien-être (yokkuté en wolof) de nos populations. Et encore, très bonne fête de l’indépendance du Sénégal.
Idrissa Diabira est directeur général de l’ADEPME
Rappel Utile : Nous vous appelons à postuler pour « e-PME », notre projet d’adoption de technologies plus avancées pour les PME sur financement ETER (Banque Mondiale) et PAAICE (BAD), dans lequel nous ciblons 5000 PME d’ici juin 2025, qui recevront au total 20 milliards de FCFA de fonds mis en œuvre. A date, 2 milliards 900 millions ont été engagés pour les PME sénégalaises entre octobre 2022 et fin mars 2023.