Le Sénégal se trouve à la croisée des chemins. Les événements récents du mois de mars ont suscité des inquiétudes et des peurs, et rien ne nous indique que les nuages se soient parfaitement dissipés.
Notre constat majeur est que la vie politique sénégalaise est en train de se polariser autour des trois principales entités suivantes : le pouvoir en place incarné par Macky Sall, YAW avec Ousmane Sonko au cœur et le reste de l’opposition. Cet article propose à Ousmane Sonko quelques conseils qui pourraient contribuer à apaiser les tensions, à éviter les risques de chaos dans le pays et à élever davantage le niveau de maturité du parti Pastef. Ils sont énumérés ci-dessous :
– bien identifier le principal ennemi de Pastef : le retard économique du pays ;
– ajuster la communication de Pastef ;
– s’ouvrir au dialogue et à la négociation ;
– opter pour un traitement spécifique des dossiers issus des corps de contrôle (nœud gordien de la question du troisième mandat) ;
– renforcer la culture de feedback, pilier essentiel des démarches inclusives.
Pastef dispose d’un atout important auprès des jeunes électeurs. Toutefois, sa communication, qui galvanise cette population avec des mots d’ordre tels que « gatsa-gatsa », peut être mal perçue par d’autres segments de l’électorat. L’audience d’Ousmane Sonko dépasse de plus en plus les frontières du Sénégal, attirant une jeunesse africaine avide de patriotisme. Il est probable que le Pastef utilise des moyens de recueil du feedback via des sondages ou des études pour comprendre les perceptions de tous ces acteurs et moduler sa communication en conséquence. S’il ne le fait pas déjà, il serait utile et urgent d’initier ou de multiplier ces actions.
Conseil N° 1 : bien identifier le principal ennemi de Pastef : le retard économique du pays
Il s’agit d’afficher clairement à travers tous les supports de communication que le principal ennemi de Pastef est : le retard économique du pays et ses diverses conséquences sociales telles que la pauvreté, le chômage des jeunes, l’émigration, etc. En outre, il faut éviter de stigmatiser les individus. « On peut simplement considérer que les tenants du pouvoir actuel ou leurs prédécesseurs ont fait le maximum de ce dont ils étaient/sont capables dans les contextes qui étaient/sont les leurs. Aujourd’hui, ce contexte a changé ; la jeunesse est avide de progrès économique, de transparence, de démocratie, de justice sociale et voici ce que nous proposons. » Ceci constitue un argument-massue pour Pastef.
Conseil N° 2 : ajuster la communication
Il est important de continuer à privilégier les manifestations pacifiques organisées sous l’égide de YAW ou de la plateforme F24. L’indignation peut être exprimée avec fermeté, mais sans violence verbale (ce qui peut être difficile). Ousmane Sonko devrait envisager de gagner la confiance d’une partie de l’électorat féminin – sensible à la forme du discours – et de séduire les cadres et autres acteurs économiques ayant des exigences plus fortes en matière de programme.
L’urgence actuelle est d’occuper intelligemment l’espace médiatique en montrant de la fermeté pour éviter le rejet de sa candidature. Il est également important de rassurer toutes les composantes de l’électorat sur sa capacité à s’ériger en homme d’État capable d’apporter les ruptures nécessaires à la prochaine alternance. Chaque mois, le président du Pastef pourrait communiquer sur deux ou trois thèmes choisis parmi ceux énumérés ci-dessous :
– vision sur l’émergence du pays ; grandes orientations (vision panafricaniste mais réaliste) ;
– renforcement de la démocratie et de l’État de droit ;
– changements institutionnels pour entrer dans une ère nouvelle ;
– lutte contre le népotisme et la corruption (avec un regard critique sur nos systèmes de valeurs et nos réflexes partisans) ;
– lutte contre l’indiscipline (avec une posture d’auto-examen de nos tares) ;
– nouvelle politique économique et coopération multilatérale équitable ;
– refonte de notre fiscalité (sans laquelle on ne pourra financer les programmes sociaux) ;
– mise en place d’une nouvelle ville pour décongestionner Dakar ;
– souveraineté monétaire ;
– souveraineté sur nos ressources minières, pétrolières et gazières ;
– amélioration des infrastructures de transport ;
– transformation digitale des services ;
– industrialisation du pays ;
– grande distribution et les différents commerces ;
– ambitions pour le tourisme ;
– pêche au service du développement ;
– réinsertion des Sénégalais de l’extérieur dans le tissu productif ;
– santé, horizon 2030 ;
– éducation, horizon 2035 ;
– sécurité à l’intérieur de nos frontières.
L’idée ici est surtout de dresser des axes sur l’ambition qu’on pourrait se fixer et les modalités de réflexion menant aux plans et programmes. Le principe de s’appuyer sur les acquis (plans et ressources compétentes existants) doit être clairement annoncé.
Conseil N° 3 : s’ouvrir au dialogue et à la négociation
En politique, la cohérence est très importante. Cependant, celle-ci n’exclut pas une certaine souplesse sans laquelle il y a des risques de perception de rigidité. Ousmane Sonko ne devrait pas exclure une négociation avec Macky Sall. Nous pensons que les actions préalables réalistes pourraient être :
– l’arrêt des poursuites judiciaires ;
– la libération des prisonniers politiques ;
– la transparence du processus électoral devant mener à l’échéance de 2024 (avec comme requête la nomination d’un ministre de l’Intérieur neutre).
Cette ouverture au dialogue et à la négociation est également fonction du rapport de force. Dans le contexte actuel, les actions préalables citées plus haut sont assez réalistes pour démarrer le processus. Dans ces négociations, il serait judicieux d’écouter subtilement le camp d’en face et d’essayer d’entendre éventuellement ce qu’il veut dire sans le dire.
Conseil N° 4 : opter pour un traitement spécifique des dossiers issus des corps de contrôle (nœud gordien de la question du troisième mandat)
La question du troisième mandat cache d’autres préoccupations qu’un dirigeant a beaucoup de peine à avouer. Dans notre environnement africain, généralement, les chefs d’État refusent l’alternance par peur des poursuites judiciaires dont eux-mêmes ou des membres de leur entourage immédiat peuvent faire l’objet.
Népotisme, corruption, malversation et détournement sont des maux profonds de notre société qui tirent leur origine (ou leur exacerbation) dans la nature de nos systèmes de valeurs (ceddo et capitaliste). Le népotisme n’est que la face inversée de la réciprocité et du partage très ancrés dans la culture traditionnelle. Le népotisme et la corruption existent dans les pays développés, mais ils prennent des proportions plus importantes sous nos cieux, encouragés par un croisement entre la courte vue liée à la conscience clanique et la cupidité qui prévaut au cœur du système de valeurs du capitalisme. Pour les éradiquer, il faudrait une évolution des mentalités et cela nécessite des dispositifs de prévention, de pédagogie et de coercition.
Ce point est délicat, mais il est peut-être central pour enclencher un mouvement d’apaisement. L’idée est d’annoncer que ceux impliqués dans des dossiers issus des corps de contrôle ne feront pas l’objet de poursuites judiciaires.
L’idée n’est pas de ruser avec les lois. Dans la limite des possibilités offertes par celles-ci, on décrète une remise à zéro des compteurs. Les poursuites judiciaires démarrent avec le pouvoir de 2024. Le président n’aura même pas la possibilité d’intervenir sur les dossiers en provenance des corps de contrôle. Pour les anciens dossiers, le recouvrement à l’amiable, sans esprit d’humiliation, sera largement mis en avant.
Conseil N° 5 : renforcer la culture de feedback, pilier essentiel des démarches inclusives
L’idée ici est d’introduire la culture du feedback avec une symétrie des attentions. Il faut écouter l’électorat dans ses divers segments, mais aussi les militants et les sympathisants. Pastef pourra s’appuyer sur des études et des sondages rapides pour régulièrement peser l’impact de toutes les actions du parti sur son écosystème. Une segmentation assez fine permettrait de moduler la communication. Les questions qui pourraient faire l’objet de sondage auprès des différents segments de l’électorat sont :
– la notoriété du parti et de son président,
– ce que les populations retiennent du projet Pastef,
– l’image d’homme d’État d’Ousmane Sonko,
– la communication du Pastef,
– les mots d’ordre du style « gatsa-gatsa »,
– la confiance aux leaders de Pastef,
– le fonctionnement des structures,
– le leadership interne,
– le partage des informations, etc.
La mise en œuvre de ces conseils peut contribuer à apaiser l’interaction conflictuelle entre les deux protagonistes. Ousmane Sonko devrait renforcer la mobilisation pacifique pour créer un rapport de force favorable et en même temps offrir des portes de sortie au camp d’en face. On espère bien que cela va renforcer le processus d’apaisement, d’autant plus que malgré les déchaînements de violence, les Sénégalais sont fondamentalement pacifiques et ils oublient vite. « Masla » et « Yeurmandé » sont très ancrés dans nos conduites quotidiennes. Il suffit de voir comment Aminata Touré a été accueillie par les leaders de YAW lors du meeting de Parcelles et ses nouveaux liens avec Guy Marius Sagna pour en être convaincu. Demain, rien n’exclut de voir assis côte à côte Macky Sall, Ousmane Sonko et leurs épouses respectives. Si le principal ennemi de Pastef est le retard économique, mises à part les personnes impliquées dans des dossiers de meurtre, quelle serait l’utilité de mener des poursuites ou de tenter d’humilier qui que ce soit ? À Macky également d’avoir foi en le génie et en la sagesse de ce peuple sénégalais en général et en la magnanimité de l’opposition en particulier.