Une guerre sans nom, sans raison, sévit au Soudan. Dans la fantomatique capitale Khartoum, un indescriptible déluge de feu s’abat sur les populations cloitrées à domicile.
Les batailles de rues, par milice interposées, s’offrent comme seule activité quand tout est à l’arrêt. Deux officiers supérieurs, longtemps rivaux, mais complices pour « jouer le jeu » des civils, décident d’en découdre au prix d’un carnage abject, pour qu’un seul taureau règne autour de l’abreuvoir. Le pays brûle.
Stupéfait devant ces tueries « à huis clos », le monde entier assiste impuissant à l’escalade. Les deux généraux, Abdel Fattah al-Burhane et Mouhammed Hamdane Daglo, à la tête de réelles forces militaires, s’affrontent désormais. L’un dirige les blindés, l’autre pilote l’aviation.
Au « pays des Noirs », ainsi s’appelait le Soudan, devenu indépendant en 1956, jamais la paix n’a été au rendez-vous. Un chapelet de conflits en ont rythmé la vie, se démultipliant à l’infini pour faire accroire que cette instabilité permanente est de l’ordre de la normalité. Pays maudit des Dieux ? Pas vraiment.
Par son histoire et sa géographie, il symbolise le trait d’union entre peuples que tout différencie : ethnies, culture, culte, confession, origine, langue, stratification sociale, croyances et préjugés. Immense par sa superficie et riche en mine et en minerai puis axialement situé, le Soudan revêt une importance stratégique qui n’échappe pas aux superpuissances militaires.
Pour preuve, sa souveraineté, même incontestable, a toujours été exercée par condominium avec l’Egypte et l’Angleterre sur un même territoire. Ce paradoxe congénital s’est diffusé à une vaste échelle semant des divisions qui allaient s’accentuer pour devenir des « lignes Maginot » entre citoyens qui se regardaient avec méfiance.
Le découpage du Soudan aggravait la complexité de la situation dans un contexte de belligérance qui laissait libre cours aux influences extérieures. L’arabe et l’anglais menaient une sourde bataille en arrière-plan par élites interposées. Puis survient une longue et terrible dictature qui a pris fin grâce à l’union sacrée des forces démocratiques et des officiers militaires dit « clairvoyants ».
La suite est connue : les armes tonnent et hypothèquent toutes chances d’écourter le conflit pour amener les protagonistes à une table de négociation. Un moment pourtant l’espoir renaissait avec l’apport inestimable de Khalife de Médina Baye, Sérigne Mahi Niasse qui avait réussi la prouesse diplomatique de réunir les belligérants sous un même chapiteau pour s’engager devant lui à privilégier le dialogue politique en renonçant à l’usage des armes.
Mais les vanités orchestrées par des forces maléfiques n’avaient pas cessé de semer le trouble dans les esprits. Les frontières-gruyères du Soudan ne facilitaient guère le contrôle des armes en provenance de la Libye au lendemain de son implosion et de sa partition depuis la chute du colonel Kadhafi en 2011.
Là-bas aussi le maréchal Khalifa Haftar, venu de l’est, s’attaque à Tripoli où trône Fayez al-Sarraj à la tête d’un Gouvernement d’Union nztionale (GNA). Les similitudes situations sont frappantes. La dissémination des armes libyennes a entraîné une rapide diffusion sur de vastes zones, allant du Tchad à la Centrafrique jusqu’à la zone des Trois-frontières dans le Sahel.
L’instabilité tchadienne suite au décès d’Idriss Déby Itno a encouragé les milices armées à croire en leur étoile avec la conviction chevillée au corps « qu’aucun régime »ne résiste à leurs assauts. Le chaos actuel au Soudan n’échappe pas à ce prisme.
Même lointaine, la guerre en Ukraine nourrit et entretient des fantasmes à Khartoum, méconnaissable capitale où est née l’Organisation de l’unité africaine (OUA). L’Union africaine, qui s’est substituée, ne pèse d’aucun poids dans la tragédie en cours au Soudan. Par un incessant ballet aérien, les forces étrangères évacuent les ressortissants de leurs pays vers Djibouti. Les Africains, eux, ne bougent pas.
Plus grave, l’organisation faîtière se tait. Son lourd silence frise la lâcheté ou la faiblesse ou les deux à la fois. L’opinion internationale, lassée par tant d’animosités, se montre distante voire indifférente au calamiteux sort des populations soudanaises victimes expiatoires des hommes en armes. Sous le chaud et brûlant soleil, les enfants meurent de déshydratation quand les adultes trépassent pour cause d’épuisement.
Craint-on un embrasement en l’absence de toute autorité reconnue ? Quelles sont les urgences ? Des analystes redoutent un exode massif des populations vers le Lac Tchad qui n’est plus d’ailleurs que l’ombre de lui-même ? De 250 000 hectares, l’étendue s’est réduite aujourd’hui à 25 000 ha, presque le dixième.
La catastrophe écologique, combinée à une catastrophe humanitaire, risque d’aggraver fortement le déséquilibre en jetant sur les routes des millions de gens en quête de cieux cléments. Bon nombre de couloirs sont à l’examen sous les pauvres abris provisoires où se raréfient l’aide et les soins. Les associations caritatives n’interviennent qu’avec parcimonie. La générosité, elle-même, se rétrécit puisque les donateurs se rebiffent.
Excédés par les enlisements, ils remettent en cause l’efficacité de leur soutien d’autant que dans leur environnement immédiat, la pauvreté et l’indigence se télescopent sous des yeux médusés d’Occidentaux qui exigent désormais de leurs dirigeants une rectification de trajectoire pour s’occuper de leur « tiers-monde » à eux. La Corrèze avant le Zambèze sonne le glas de l’assistanat.
En écho à ces phénomènes qui impactent les économies, les banques centrales d’Europe et d’Amérique, comme si elles s’étaient entendues, claironnent partout que les rigueurs budgétaires sont de retour. Un, il faut mobiliser plus de ressources. Deux, s’impose une utilisation plus rationnelle de ces ressources. Il n’y a pas de raison qu’eux s’astreignent à plus de discipline quand d’autres « dépensent sans compter » et vivent au-dessus de leurs moyens. L’époque change.
Un renforcement des politiques monétaires prudentielles et de couverture n’est pas à exclure. L’hypothèse est sérieusement envisagée. Sorte de Bâle IV en quelque sorte… Au lendemain des crises bancaires, les établissements financiers avaient été contraints de s’engager en cas de défaillance des débiteurs à assumer l’obligation ou à assurer les annuités des prêts consentis.
Les nouveaux dirigeants des grandes puissances sont moins attachés à l’histoire, à la repentance, aux regrets ou aux sentiments. Occulter cette lecture d’un monde en mutation c’est compromettre le futur des jeunes générations africaines. Les inégalités entre pays sont une chose.
Mais les inégalités à l’intérieur d’un pays sont si criantes qu’aucune politique audacieuse n’est en vue pour compenser les disparités. Français, Anglais, Américain crient à tue-tête les écarts qui se creusent, synonymes, selon eux d’inégalités, donc d’injustice.
Les populismes s’expliquent par ce ras-le-bol qui ne s’explique pas ! Ils dénoncent les politiques d’exclusion et militent pour plus d’inclusion sans clairement dire par quel bout prendre ces défis des temps nouveaux.