Maintenant que le tombeau se referme sur cette terre de Yoff, la vie remporte la seule victoire possible sur la mort : le monument des souvenirs bâti dans la mémoire collective. Et là, d’un samedi de tristesse à un dimanche de recueillement, je vois que Less n’a pas fait son dernier bouclage. Il n’a ni fermé la dernière page du journal de sa vie encore mois l’antenne de sa légendaire et bienveillante rigueur. Intellectuelle. Les témoignages qui défilent depuis l’annonce de sa disparition sont les hommages de la profession et, au-delà, ceux de citoyens unis dans la douleur de la perte de ce Sénégalais fondamental.
Le baobab n’est pas tombé. Le monument ne s’est pas affaissé. L’un et l’autre restent des majestés dans le grand livre de notre compagnonnage avec cet intellectuel à l’aise dans la conceptualisation. Less sait nommer les choses et décrire les situations. Devant une telle œuvre, je m’interdis toujours de conjuguer au passé, m’accrochant toujours à la dialectique entre l’âme et la matière pour vaincre l’oubli. L’empreinte d’une vie reste debout face au défi du temps. C’est l’ultime pacte entre le temps si fugace d’une vie et le temps si élastique de la postérité. C’est enfin l’éloge du Bien.
Le Bien est ce que je retiens de lui. Pour cela, il restera toujours debout dans mon souvenir au-delà de la dernière image d’un géant de la presse couché sur le support en bois pour rejoindre sa dernière demeure à Yoff. Il a su devenir un trésor vivant par-delà les temps et les limites de la corporation.
UN SEIGNEUR EN VRAI, UN SERVITEUR DANS L’ÂME
Less a un parcours de seigneur tout en s’employant à devenir le serviteur de tous, de sa classe des pionniers hier meurtris par sa disparition à la pépinière des continuateurs reconnaissants à cette icône du journalisme. Grâce à cette philosophie de vie, Mame Less Camara a été Abdou Sow, son célèbre pseudonyme à Walf Quotidien, pour rester simplement Grand Less pour son urbanité, son professionnalisme, sa disponibilité, son humilité et sa générosité. Des intellectuels de grande envergure achetaient le journal pour cette chronique très percutante de l’animateur de « Face à face » sur Radio Sénégal. Rien que le nom de cette émission est un appel d’air dans un service public invité à s’adapter au multipartisme intégral et, surtout, aux nouvelles expressions de la participation citoyenne.
Entre nous, il y a au moins une génération de journalistes formés au CESTI. Et ensuite, à son actif, une réputation de probité intellectuelle et morale déjà établie, des faits d’armes de porte-voix des professionnels dans un SYNPICS à l’avant-garde, un militantisme du pluralisme médiatique à l’heure où le pays aborde le virage de la FM « polyphonique », entre autres. Tout, vraiment tout pour faire un modèle que le groupe de stagiaires du CESTI attendait, à l’heure du thé, sur le balcon du siège de Wal Fadjri Quotidien, à Sacré-Cœur. Hier, Seynabou Mbodj en a parlé dans son post. Il était le miroir de ce que nous voulions être plus tard. A l’époque, il écrivait sur du « beefsteak », ce doux papier d’imprimerie. Boubacar Boris Diop, son ami, a été une passerelle entre Less et moi. Voilà qui explique que, sans avoir été son étudiant ou son agent, j’ai pu bénéficier de son expérience.
AU-DELA DU JOURNALISME, UNE FINE CULTURE LITTERAIRE
A la fin de ma formation, je me suis retrouvé à Walf Quotidien et lui, avait rejoint Walf FM comme Directeur. Sans cloisons! Il me prêtait des livres dont nous devions parler dans les quinze jours. Et j’ai compris cela comme une incitation à la lecture. Au fil du temps, j’ai découvert la fine culture littéraire de l’homme qu’a confirmé le poète Amadou Lamine Sall dans son hommage. En 2011, nous nous sommes retrouvés dans l’émission « Impressions » de Sada Kane sur la 2S TV. Moi pour présenter mon recueil « Le Chapelet de rêves » et lui pour intervenir sur une autre œuvre. Face à deux lecteurs pour le moins critiques, le débat s’est animé sur l’univers jugé « glauque » de ce texte par endroits. Less s’est emparé du micro pour plaider l’authenticité en écriture, loin des clichés d’un certain romantisme tournant à vide. Il faut dire qu’il m’a bien tiré d’affaire et j’ai pu recentrer le débat sur le procédé de création. En privé, et gentiment, il m’a reproché de ne l’avoir pas informé de ma participation à cette émission afin qu’il se préparât mieux.
Auparavant, Directeur des Rédactions du Soleil, j’ai eu le bonheur de l’accueillir dans les colonnes de « Zénith Hebdo » pour sa chronique « Choses vues », grâce à la volonté du Directeur général, Mamadou Sèye et l’entregent du Rédacteur en chef de ce magazine du groupe, Sidy Diop. «Choses vues », le nom de cette chronique, a été un fort moment d’analyses. Assurément, la vie de ce formateur dans l’âme est une Masterclass sans fin. Que le Paradis soit sa demeure éternelle !