Alors que j’étais jeune avocat, un de mes premiers gros dossiers fut un trafic international de voitures de luxe, livrées par les chefs de ce gang mafieux à des pontes (hauts fonctionnaires, gradés militaires, etc.) de pays africains dont je tairai le nom. J’assurais la défense du chef de ce réseau mafieux, et cette histoire m’avait passionné, de la part de ce jeune voyou à la vie d’aventurier digne d’un film de Belmondo.
J’avais travaillé mon dossier d’arrache pieds, j’avais soulevé je ne sais combien de nullités, ayant passé des nuits blanches dans mon code de procédure pénale, j’étais sûr de moi, et sûr de mon travail. Le procureur, qui n’était pas un tendre, mais que je respectais car ses réquisitoires étaient flamboyants (il s’agissait d’un ancien -et très brillant- avocat, qui avait dévié sur la magistrature par amour pour une magistrate, afin d’avoir une vie de famille plus compatible avec le métier de magistrat, ce que ne permettait pas la profession d’avocat pénaliste dont je peux dire par expérience qu’elle est souvent…très mouvementée!), ce procureur, donc, à ma grande surprise, reconnaissait qu’il ne pouvait requérir que la relaxe pour mon client! Résultat: trois ans ferme. Et comme cela n’a pas suffit, en appel, quatre ans ferme.
La raison, que je n’ai connue qu’après: il existait une guerre intestine entre le procureur et le magistrat instructeur! Et circonstance aggravante, une des voitures volées, une superbe Mercedes 500SL appartenait à un chirurgien français…ami intime du magistrat qui présidait l’audience!!! Et en appel, le Président était très fier de son surnom: « double dose! ». Ce jour là, j’ai appris à mes dépens ce que voulait dire le mot « humilité »!!! Bon, passons, ce n’était pas mon jour.
En fait, je m’étais fait avoir sur toute la ligne! Car j’avais oublié (ou je ne connaissais pas encore) toutes les petits ficelles de la vie d’un palais de justice, et qu’un jugement ne dépend pas seulement comme on le voudrait, du droit, et du droit pur. Tout simplement parce qu’il ne faut jamais oublier qu’un magistrat (ou une magistrate), c’est avant tout un homme (ou une femme), avec ses qualités et ses défauts.
Pour en revenir au réquisitoire qui nous intéresse, j’avoue que, sur le plan du droit, il me laisse dubitatif.
Mon premier réflexe serait de dire que le Procureur ne croit pas à la thèse du viol, ou en tout cas n’a pas trouvé, dans le dossier, la preuve pouvant étayer la thèse du viol. C’est une porte plus qu’entre ouverte pour la défense -qui n’a pas pu plaider en raison de l’absence de leur client. Sinon, il aurait requis 10 ans, pour viols répétés, la présence des armes n’étant pas non plus apparemment prouvée. Aller solliciter un autre motif de condamnation, qui existe dans le Code pénal sénégalais certes, mais quelque peu « tiré par les cheveux »: en gros, on reprocherait au présumé coupable d’avoir perverti une fille qui lui proposait elle-même des jeux sexuels, apparemment tarifés, alors qu’elle n’avait que 20 ans au lieu de 21! Comme si, dans ce genre d’établissement, le client demandait la carte d’identité de la masseuse!!! De qui se moque-t-on? Et comment peut-on reprocher à une personne d’avoir corrompu une jeune fille alors même que les actes de corruption (agressions sexuelles, viols) ne peuvent pas être prouvés? Qui nous dit que les deux présumés coupable et innocent, ne se livraient pas à des jeux sexuels, comme reprochés, mais au contraire, que le présumé coupable se rendait dans cet établissement, pour apprendre à lire à cette jeune fille en perdition? Pourquoi pas???
Bon, depuis le début, on peut sans grand risque de se tromper, dire que cette affaire qui dès le départ était « très mal ficelée » est télécommandée, mais ce qui est surprenant, c’est que ce réquisitoire « de doute » émane d’un parquet qui a quand même démontré, et ce n’est pas lui faire injure que de le dire, qu’il était quand même, en tout cas pour certains parquetiers, « aux ordres ».
L’institution judiciaire aurait-elle décidé de s’affranchir de la politique (et surtout des politiciens), et requérir et juger en fonction d’un dossier, à charge et à décharge, et condamner « en son âme et conscience, en raison d’un faisceau de preuves irréfutables et concordantes? C’est possible (ce serait en tout cas une heureuse nouvelle pour tous les justiciables).
Les ordres « venus d’en haut », seraient-ils devenus contraires, et pour ne pas se trouver embarrassés dans ce dossier, (dont je suis persuadé qu’il n’a pas été au début contrôlé ni même décidé par Macky SALL, mais par des sous-fifres désireux de se faire bien voir du patron) et décision a-t-elle était prise de « laisser filer » d’autant que le but recherché étant d’éliminer SONKO pour l’élection de 2024 est pratiquement obtenu dans la première affaire NIANG (qui elle, est un véritable scandale d’Etat, preuves à l’appui!) : c’est possible aussi…
Querelle de magistrats, comme j’ai eu à le vivre aussi: pourquoi pas?…
Mais ce qui est clair, c’est que la cour pénale est bien embarrassée avec ce réquisitoire « d’acquittement présumé »! Je sais bien qu’elle n’est pas tenue par les réquisitions, mais un arrêt dans un sens ou dans un autre risque de poser beaucoup plus de problèmes à tous, que d’apporter des solutions…
Décidément, cette affaire du « Sweet beauty » n’a pas fini de nous livrer tous ses secrets! Et dire que je n’ai jamais mis les pieds dans cet établissement, malgré un mal de dos tenace (mais dû, je le sais, à l’usure d’une carcasse que je n’ai pas ménagée au fil du temps!).
Conclusion: on croit tout savoir et tout connaître, mais en fait, la seule chose dont on soit certain, c’est que l’on ne sait jamais rien! Humilité, humilité, vertu que l’on a tendance à trop oublier, mais qui elle, ne vous oublie pas!!!
Me François JURAIN